Tendance inratable sur TikTok, mais aussi genre musical branché, international et inventif, l’Hyperpop ne cesse de faire parler d’elle. Avec la sortie en physique du deuxième album d’une des stars de cette scène, Caroline Polachek, revenons sur la genèse et les ramifications de ce courant qui symbolise une pop hypertrophiée, amplifiée et diablement représentative de notre époque.
Hyperpop : quand une chanson vaut mille mots
Que vous soyez l’heureux propriétaire du cd ou du vinyle de Desire, I want To Turn Into You de Caroline Polachek, positionnez-vous sur la septième plage de l’album, Fly To You. Là, vous vous retrouvez plongés dans le cœur de ce que l’hyperpop signifie. Débutant par un synthé ambient, le titre se poursuit par une rythmique jungle/drum’n’bass, sur laquelle vient se poser la voix modifiée de la chanteuse canadienne Grimes, dont l’organe se mêle à celui de Caroline Polachek sur le refrain. Au bout d’une minute, intervient un arpège à la guitare, introduisant l’interprète suivante, Dido, avec son timbre nostalgique. En deux minutes, deux décennies de la pop (Grimes a émergé dans les années 2000, Dido dans les années 1990), trois ou quatre genres musicaux et autant d’astuces mélodiques ont emporté définitivement votre adhésion. Car c’est là que réside le charme de l’hyperpop : réussir à créer du neuf avec des musiques familières, dans une recomposition post-moderne.
Genèse de l’hyperpop : PC Music
Si le terme « hyperpop » a été appliqué dans les années 1980 à certains groupes britanniques, son acception moderne naît trente ans plus tard à la faveur de l’émergence du label PC Music. Fondée à Londres par le producteur A.G. Cook, cette structure aux allures de collectif underground s’est fait connaître à travers Soundcloud, la plateforme de streaming prescriptrice de tendances.
Le melting-pot caractéristique de ce qui est alors une esthétique balbutiante apparaît dès les premiers singles des artistes de cette mouvance. Fusionnant les productions efficaces d’un Max Martin (l’homme derrière Baby One More Time de Britney Spears, les tubes de Katy Perry et ceux de Taylor Swift) avec les codes de la dance des années 1990, de l’EDM des années 2000, et intégrant des voix féminines modifiées dignes de la J-Pop ou de la K-Pop la plus synthétique, des titres comme Every Night d’Hannah Diamond se distinguent.
Au milieu des années 2010, des artistes réinventent également des genres mainstream en les hypertrophiant, comme Fka Twigs, SZA, Janelle Monae, Solange ou Banks dans le R&B. Leur manière de complexifier cette musique populaire s’accompagne aussi d’une certaine esthétique queer, ou tout du moins ambivalente, qui transparaît aussi en France avec le succès des premiers titres de Christine and the Queens.
Symbole de cette synthèse entre prise de position identitaire et esthétique musicale, Sophie, disparue tragiquement en 2021, a d’abord travaillé non loin de la sphère PC Music (en particulier avec A.G. Cook et la chanteuse GFOTY) avant de devenir l’icône de la pop avant-gardiste mondiale dès son disque Products. Artiste trans à l’aura mystérieuse, elle est considérée comme la pionnière de l’hyperpop, et son album Oil of Every Pearl’s Un-Insides comme l’un des chefs-d’œuvre du genre.
De 2015 à 2023 : l’hyperpop sur toutes les lèvres
Dès son deuxième album, Sucker, et les excellents singles Break the Rules et Boom Clap, Charli XCX avait montré son jusqu’au-boutisme pop, compatible par la variété de ses inspirations avec le caractère foutraque et inventif de l’hyperpop. En 2016, l’artiste apparaissait en compagnie des artistes de PC Music lors de l’événement Pop City, signe de ses accointances avec les Hannah Diamond et autres QT (projet commun de Sophie et A.G. Cook).
Signant une collaboration remarquée avec A.G. Cook, l’interprète britannique jouait à fond le jeu de l’hyperpop avec le single Vroom Vroom puis sa mixtape Pop 2, véritable laboratoire du genre, où apparaissaient notamment la nouvelle venue Caroline Polachek, l’artiste Kim Petras (très proche de Sophie), le trublion queer Dorian Electra, le producteur Easyfun… Autant de noms associés dès lors à l’hyperpop, qui devenait un genre trendy à mesure que les curateurs et curatrices du monde entier intégraient ce type de musique à leurs playlists d’influence, notamment sur les plateformes de streaming.
En 2019, Charli XCX persévérait dans le genre avec son disque Charli, encore une fois produit par A.G. Cook. Avec le single 1999, dont le clip présentait des références culturelles à l’ensemble des nineties (des Spice Girls à Matrix en passant par Titanic). La chanson connaissait même un prolongement encore plus nostalgique, avec un remix signé des Vengaboys.
Chris de Christine and the Queens, Pang de Caroline Polachek, Reflections d’Hannah Diamond, 1000 Gecs de 100 Gecs (dont vient de sortir le deuxième album, 10.000 Gecs), Apple d’A.G. Cook : de 2018 à 2021, la popularité de PC Music et des artistes s’approchant de l’hyperpop n’a cessé d’augmenter à travers la sortie d’albums remarqués. Phénomène parallèle, le genre devient aussi un tag particulièrement usité par les vidéos de danse ou de lipsync proposés par le réseau social TikTok, sur lequel on assiste à une surenchère. Des titres comme Kismet de Whokilledxix ou Never Met! De CMTEN, synthétisent le genre en devenant, le temps de quelques semaines, de microphénomènes sur la plateforme.
Oklou, artiste française ayant ouvert pour Caroline Polachek, ou Shygirl, collaboratrice de Sophie, Arca et Sega Bodega, représentent actuellement la nouvelle génération de l’hyperpop côté grand public. Mais la fluidité du genre et sa volonté de phagocyter toutes les influences pour en garder l’efficacité la plus grandiloquente ne peut se résumer à ces figures déjà établies. D’une semaine à l’autre, en fusionnant trap, hard-rock et musique de générique d’anime, quand ce n’est pas en mixant r&b, grime, drill et pop 90’s, les artistes hyperpop contribuent au renouvellement infini de ce genre dont on n’a pas fini d’entendre parler.
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