Il est des évidences auxquelles il est difficile d’échapper. Faire ressentir des émotions à travers sa musique et ses mots, tel était le chemin tout tracé de Claire Pommet dite Pomme. Études de solfège, chorale, apprentissage de divers instruments… La musique a toujours fait partie intégrante de sa vie. Après deux albums, Pomme revient nous consoler avec sa voix, sa poésie. L’occasion de faire un petit retour en arrière pour voir à quel point elle a offert nombre de petits trésors.
Des débuts prometteurs…
Bien qu’elle estime que ce premier album ne lui ressemble pas totalement, A peu près reflète déjà en partie un univers très sensible. Si la pop domine, le folk très intimiste effleure déjà quelques titres. Dans On brûlera, Pomme aborde sa relation avec la chanteuse québécoise Safia Nolin. Plus qu’une chanson d’amour, celle-ci ouvre une très grande porte, celle d’assumer ses attirances sexuelles quitte, non pas à brûler sur un bûcher comme cela aurait été le cas auparavant, mais peut-être à s’attirer quelques remarques de la société bien pensante. Le but : se libérer, libérer la parole, la sienne mais aussi celle de celles et ceux pour qui affirmer son homosexualité est encore tabou.
L’amour est le coeur palpitant des chansons de Pomme mais l’ombre de la mort traîne parfois. Dans De là-haut, Pomme offre une vision romantique sinon apaisée de la mort. Le personnage observe du ciel celles et ceux qu’il pleure. Pas de mélancolie, la voix de Pomme nous emmène non pas dans un requiem lugubre mais elle nous envoûte avec délicatesse.
Mais tout ça ce n’est que le début, car pour son deuxième album, Pomme va encore plus loin. Exit d’obéir à des gens qui vous poussent vers des chemins qui ne vous ressemblent pas. Pomme se retire, seule, pendant deux semaines dans une maison en Bourgogne. Pas facile de se retrouver face à soi avec pour seuls amis et répondant à sa solitude, ses questionnements, ses émotions : la nature, des murs, des livres et une petite chapelle. Ce qui va en ressortir, c’est un deuxième album Les Failles.
… au succès des Failles
Aidé par Albin de la Simone, Pomme s’épanouit dans ce deuxième opus. Il sonne tel qu’elle l’a entendu dans sa tête et son coeur. Très folk dans sa facture musicale, Pomme signe un album qui touche au sublime. Ni le public, ni les médias, ni la profession ne s’y sont trompés en lui décernant deux Victoires de la musique : album révélation – 2020 et artiste féminine – 2021. Pomme est un diamant à l’état brut. Dans cette retraite en Bourgogne, Pomme a exploré son moi et curieusement, il ressemble parfois au nôtre.
On savait l’artiste sensible avec le premier album, là, cette sensibilité éclate, éclabousse. Pas de faux semblant chez Pomme, la vérité nue guide son errance de femme, d’être humain, d’artiste et donc les mots qu’elle choisit de faire venir jusqu’à nous. On découvre une Pomme anxieuse, peu sûre d’elle-même qui préfère l’obscurité au plein soleil. Le doute, le manque de confiance, la peur de soi autant que des autres, tels sont les thèmes abordés dans Anxiété ou Je ne sais pas danser.
L’artiste revient aussi à travers le sujet de la maternité sur le regard moralisateur de la société. La jeune fille rêvait déjà très jeune d’être maman et elle le désire autant. Cependant, sa vision de la maternité a quelque peu changé car sa vie a changé. L’idée de la maternité que la société idéalise (un mari, un chien, un monospace et des enfants) ne ressemble pas à la maternité d’une femme lesbienne et artiste en plein succès. Il est peut-être temps de se poser la question de ce qu’il en est aujourd’hui. Pomme y contribue avec intelligence, courage, constructivité et pudeur dans Grandiose.
Il est d’autres sujets sociétaux qui touchent Pomme. L’écologie en fait partie. Cette chanson, dont le personnage parle à un beluga, s’excuse de la violence des hommes, ressemble à Pomme. « Je voulais parler des baleines parce que leur existence me transperce le cœur, et que la menace qui pèse au dessus de leurs têtes me jette à terre. » Faire s’immiscer dans un sujet global, sa poésie, sa force fragile, son émotion. Un piano, une voix, et ce chant qui ressemble à celui des géants des océans. Rien de plus.
Toutes les recettes de la chanson seront reversées à Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins – GREMM pour aider à la recherche et à la préservation des bélugas.
Le moment de la Consolation
Avec son deuxième album, Pomme est partie explorer ses failles. Forte de son succès, est venu le temps du troisième album. Après Tombeau, Pomme présente d’abord Nelly, un titre fort aussi puissant émotionnellement que la femme que Pomme évoque. Cette chanson est dédiée à Nelly Arcan, autrice québécoise, malheureusement disparue. Pomme dit avoir « pleuré tout au long de la lecture de ses livres. Parce que la beauté de ses écrits et la fatalité de son suicide m’ont anéantie (…) Frappée par son honnêteté et par la véracité de ses propos encore à notre époque. Découvrir que l’on est connecté à ce point à quelqu’un.e alors qu’il/elle n’est plus là, c’est toujours aussi douloureux que beau. (…) Nelly c’est moi, c’est vous. C’est celles et ceux à qui on coupe la parole alors qu’ils crient la vérité. »
Titre tout simplement bouleversant qui montre toute l’amplitude de la force narratrice et musicale de Pomme. Avec Nelly, Pomme a voulu laisser s’envoler la pesanteur du regard de la société sur la femme qui peut alourdit la vie de ces dernières et qui malheureusement peut mener au suicide comme pour Nelly Arcan. Un titre presque féministe, tout du moins très humain, humaniste.
Ce qui fascine dans l’art de Pomme, c’est la façon d’allier la simplicité, la délicatesse, la complexité et la profondeur aussi. Le côté épuré donne à l’oeuvre cette légèreté, cette douceur alors que les sujets sont tout sauf légers. Pas de dramaturgie chez Pomme.
Saisons, un retour attendu
Deux ans après Consolations, la touchante Pomme nous dévoile son nouveau projet Saisons, un album conceptuel et orchestral pensé comme un opéra moderne qui se déclinerait en quatre mouvements, comme les quatre saisons. Le projet sera d’ailleurs divisé en deux éditions : automne-hiver, qu’on a déjà pu découvrir depuis décembre et printemps-été. Le 23 février dernier, l’artiste nous avait offert un court-métrage bluffant où elle nous plongeait au coeur de l’hiver. Maintenant que le printemps est revenu, on peut enfin accéder à l’intégralité de l’opus et aux différentes facettes de l’artiste.