Dans le précédent épisode, qui raconte comment Bill Gates s’est laissé convaincre par le projet Xbox, on a déjà pu constater que l’équipe de développement n’avait pas peur de filouter pour convaincre le boss. Mais une arnaque de trop a bien failli convaincre Bill Gates de tout arrêter…
>> Le premier épisode est à retrouver ici !
Convaincre Bill Gates, persuadé que Microsoft ne ferait jamais de hardware, de se lancer dans la construction d’une console de jeux, n’était que la première étape. L’équipe en charge du projet se retrouve face à un défi considérable et dresse un premier constat : absolument personne ne sait comment marche une console de jeux, même dans l’entreprise la plus puissante du monde. Microsoft se tourne alors vers des constructeurs de hardware confirmés. Dell, Compaq, NEC, Toshiba, tout le monde y passe. Et la réponse est toujours la même.
L’humiliation Nintendo
Car ce que Microsoft n’avait visiblement pas anticipé, c’est que le marché des consoles repose sur un principe simple, appliqué par Sony et Nintendo : les consoles doivent être vendues à perte, afin de pouvoir vendre des jeux à un public le plus large possible. Or tous les constructeurs approchés ne veulent pas construire une machine qu’il faudra vendre à perte, sans récolter les profits liés à la vente de jeux dans la foulée. Microsoft va donc devoir investir massivement pour devenir capable de fabriquer une console viable, sans pour autant en faire un business rentable tout de suite. En interne, on parle d’un coût de 2 milliards de dollars, et de premiers profits arrivant plusieurs années plus tard.
Quitte à dépenser une somme pareille, les équipes imaginent rapidement la possibilité de racheter un acteur déjà en place sur le marché. Tous les regards se tournent alors vers SEGA, le choix le plus naturel, dans la mesure où Microsoft a déjà travaillé avec l’entreprise japonaise pour la conception de la Dreamcast. Mais l’échec commercial retentissant de cette machine a convaincu Microsoft de se tourner vers un autre acteur du marché : Nintendo.
Dès que l’idée est évoquée, c’est l’effervescence dans l’équipe. En achetant Nintendo, Microsoft mettrait la main sur une équipe déjà très expérimentée sur le hardware, le plus beau catalogue de jeux vidéo de la planète, et probablement sur Shigeru Miyamoto, star mondiale et génie créatif à l’origine de Mario.
Mais Nintendo comme Miyamoto sont des trésors nationaux pour le Japon. Encore aujourd’hui, le papa de Mario n’a pas le droit de se déplacer sans son chauffeur, et la moindre rumeur sur sa santé a un impact direct sur l’action Nintendo à la bourse… Si le premier rendez-vous avec Nintendo America se passe bien, la visite de Microsoft à la maison mère de Kyoto est vécue comme une humiliation. Et pour cause, devant l’offre de Bill Gates, le board japonais explose de rire. Et ce n’était clairement pas une question d’argent.
Le hack de Windows
Pour la partie hardware, Microsoft va donc devoir se débrouiller seul et investir massivement. Pour le software en revanche, pas d’inquiétude en interne : la promesse des équipes à Bill Gates est que la future console embarquera le système d’exploitation Windows, pour lui permettre de conquérir tous les salons du monde.
Le problème, c’est que Windows n’a pas été pensé pour être installé sur une console. Son principal atout est de pouvoir faire tourner plusieurs programmes à la fois. Une aubaine pour le monde du travail qui peut ouvrir Excel, Word, et naviguer sur internet en même temps. Or une console de jeu a besoin de dédier toute sa puissance sur un seul programme : le jeu.
L’équipe de développement cherche donc à utiliser le système Windows et à le modifier pour le rendre compatible avec leur projet Xbox. Mais pour avoir accès au code source, ils doivent en demander l’accès. Et chaque service veut sa part du gâteau Xbox. Par exemple, l’équipe Excel refuse de donner accès à son code si aucune application Excel n’est prévue sur la Xbox. Une option qui fait moyennement rêver les gamers…
L’équipe Xbox va donc devoir une nouvelle fois jouer avec les règles, quitte à se mettre en grand danger. Trois semaines avant l’arrivée d’une mise à jour majeure sur Windows, l’équipe Xbox réussit à s’introduire dans des locaux interdits, et vole le code source de la nouvelle version Windows, sans aucune autorisation. Ils passeront les prochaines semaines à hacker de fond en comble le système d’exploitation, pour n’en garder que ce qui les intéresse. Après beaucoup de bidouilles, ils réduisent la taille du programme et le font passer de 4,5Mb à 200kb : il ne reste donc plus grand-chose du bébé de Bill Gates.
Le massacre de la Saint-Valentin
Arrive alors le moment fatidique. Une réunion est fixée au 14 février 2000 pour annoncer à Bill Gates que la future Xbox n’embarquerait pas son Windows adoré. Avec un bon quart d’heure de retard, Bill Gates débarque dans la salle de réunion en furie, et balance sur la table la présentation de l’équipe Xbox.
« C’est une insulte à tout ce que j’ai fait pour cette entreprise ! Pourquoi cherchez-vous à tuer Microsoft ? ». Rapidement, tout le monde comprend qu’il n’y aura pas de Saint-Valentin pour les personnes présentes dans la salle, et que la réunion est bien partie pour durer une éternité. Pendant de longues minutes, Bill Gates et Steve Ballmer expriment leur déception à l’égard du travail effectué par des cris et des coups sur la table.
Exténuées et humiliées, les équipes proposent alors de mettre un terme au projet. Après tout, rien n’a été annoncé à la presse. Seuls les organisateurs de la GDC (Game Developers Conference) sont au courant, car c’est là-bas que Microsoft comptait présenter sa console. Pendant plus d’une heure, la réunion se transforme en enterrement du projet Xbox.
Mais alors que la décision semble actée, une voix s’élève : « Et Sony ? ». Bill Gates et Steve Ballmer savent bien que sans concurrence de leur part, Sony va définitivement s’installer dans toutes les maisons, et reléguer Microsoft et ses outils de bureautique au travail. Une option inenvisageable pour les deux hommes à la tête de l’entreprise la plus puissante du monde.
En quelques minutes, Gates change d’avis et accepte que la future Xbox n’embarque pas de système Windows. Mieux, il donne 1 milliard de dollars à l’équipe Xbox, et présentera lui-même le prototype à la GDC prévue moins d’un an plus tard ! La réunion est toujours célèbre aujourd’hui, connue sous le nom de Massacre de la Saint-Valentin. Une référence que l’on retrouve même dans GTA…
Reste à construire une console de jeu en partant de zéro, le tout en moins d’un an… Une mission impossible, que l’on vous racontera au prochain épisode !