Œuvrant dans une niche – le rock dit « néo-progressif » – Marillion dispose de l’une des fanbases les plus fidèles de la planète. Et pour cause : en ayant inventé le crowdfunding musical et réussi à créer de la musique en totale indépendance, le groupe anglais, qui sort son nouvel album An Hour Before It’s Dark début mars, a inventé le rapport actuel des artistes à leur public. Décryptage.
Marillion, deux chanteurs pour l’Histoire
Au début des années 1980 paraît Script for a Jester’s Tear, le premier album d’un groupe alors inconnu, Marillion. L’Angleterre baigne à cette époque dans la new wave et la synthpop, la formation prend le pari de percer avec une musique différente. Cet opus convoque en effet le passé, avec ses réminiscences du rock progressif pratiqué dix ans plus tôt par Genesis. La voix du chanteur Fish et sa théâtralité rappellent celles de Peter Gabriel, et la presse associe vite les nouveaux venus à une étiquette de « rock néo-progressif » pour signifier l’émergence d’un revival.
Marillion traverse ainsi les eighties, livrant quelques albums importants, comme Misplaced Childhood, et atteignant le haut des charts britanniques avec le single Kayleigh. Puis, à la fin de la décennie, Fish décide de tenter sa chance en solo, laissant ses ex-collègues chercher un remplaçant. Ils le trouveront en la personne de Steve Hogarth, dont le goût pour la pop et la voix suave seront à l’origine d’un renouvellement musical du groupe.
Une décennie pour tout changer
Avec ce nouveau frontman, Marillion change de registre : Brave ou Afraid of Sunlight s’avèrent plus éthérés et leurs chansons plus courtes qu’à l’accoutumée. Au milieu des années 1990, la formation rompt son contrat avec la major EMI. Les rockeurs britanniques rêvent depuis longtemps d’indépendance artistique totale. Ils la trouvent en se faisant distribuer par une petite structure. Pourtant, leur désir de jouer la tournée de l’album This Strange Engine en Amérique ne peut aboutir, faute de moyens. Les fans décident donc de se cotiser pour leur offrir le voyage et la logistique. Ce sera le premier exemple de crowdfunding de l’Histoire de l’industrie musicale.
Très actif sur Internet (ce sont les fans hexagonaux de Marillion qui détiennent le nom de domaine TheWebFrance.com), alors naissant, le fan club est extrêmement développé à l’époque. Conscient que ce sont leurs plus fidèles admirateurs qui sont le plus à même de soutenir leur indépendance, Marillion choisit de faire financer leur disque Anoraknophobia par le public. L’album fait un carton, montrant la pérennité du modèle. Deux ans plus tard, en 2003, le groupe se démarque en organisant un Marillion Weekend, sorte de conventions permettant de réunir tous les membres du fan-club pour trois jours de concerts. Ensuite, pour Marbles, les souscripteurs et fans abonnés bénéficient en exclusivité d’une version deluxe à la sortie de l’opus.
Un modèle pérenne
Vingt ans après, les pionniers de l’internet musical continuent de s’appuyer sur une fanbase réactive : durant l’épidémie, les fans ont ainsi avancé l’argent engagé pour la tournée 2021, afin d’aider le groupe à organiser des concerts malgré les restrictions sanitaires. Des innovations qui font de Marillion l’un des groupes les plus pérennes du rock anglais sur le plan du modèle économique, avec Radiohead.
Côté musical, la formation reste attachée à son genre de prédilection : An Hour Before It’s Dark, leur nouvel album, fait la part belle au rock progressif dans sa dimension virtuose et mélodieuse, tout à la fois. Ce disque est le signe de la longévité d’un des meilleurs exemples de la bonne intelligence entre fans et artistes !