Décryptage

Les prêtres orthodoxes : quand les religieux s’intéressent au profane !

28 juillet 2021
Par Mathieu M.
Les prêtres orthodoxes : quand les religieux s’intéressent au profane !

Après un disque avec Vincent Niclo, les Prêtres Orthodoxes font à nouveau vibrer leurs voix profondes pour leur album Chronos, à découvrir ce 6 août. Les cinq religieux s’inscrivent à cette occasion dans la longue tradition des prêtres, moines et bonnes soeurs qui sont passés du chant d’église aux concerts profanes. Retour sur quelques exemples célèbres.

Le gospel : une musique d’église inspirant les night-clubs

Dans la longue histoire du lien entre musiques religieuse et chanson profane, la musique afro-américaine a une place de choix. Il faut dire que la conversion forcée des esclaves africains au christianisme a induit des mélanges culturels particuliers. Les musicologues émettent ainsi l’hypothèse que le blues pourrait trouver son origine dans la réinterprétation de cantates protestantes par des travailleurs capturés en Afrique, qui en reprenaient les airs selon des gammes qui leur étaient propres.

L’invention du gospel, au XIXe siècle, s’explique en partie par le processus d’évangélisation des noirs américains : à travers ce type de chant, la foi et la souffrance des esclaves et de leurs descendants avaient trouvé un terrain d’expression. Contrairement aux « negro spirituals », plutôt ruraux et chantés a cappella, le gospel s’interprétait principalement accompagné (d’orgue, d’harmonium, de guitare), au sein des églises communautaires des ghettos des villes américaines. Une donnée qui devait pousser cette musique hors des enceintes sacrées : rapidement, les jolies harmonies vocales et les chœurs déchirants ont infusé dans la musique profane.

Une figure émergea ainsi, dans les années 1930 : Sister Rosetta Tharpe, qui, bien que portant le titre de « sœur », avait de longue date adopté un style de vie laïc. Entre blues et gospel, elle fit entrer Dieu dans les night-clubs, au point de choquer l’Amérique, et le blues dans les églises. À travers elle, et de nombreux représentants ordonnés » de ce qu’on appelait holy blues (Sister O.M. Terrell, Reverend Dan Smith, Reverend Elder Utah Smith), les mélodies sacrées ont croisé les chart «s. Aboutissant à un mélange des genres intéressants, qui devaient influencer notamment la soul et le R&B, dans les années 1960.

Du père Duval à Sœur Sourire, la francophonie a aimé la musique de « religieux »

De ce côté-ci de l’Atlantique, certains « coups » médiatiques ont favorisé l’arrivée des chants religieux sur les ondes des radios grand public. Dans les années 1950, la France découvrait ainsi l’étonnant curé originaire des Vosges, Aimé Duval, dit « le Père Duval », ordonné prêtre en 1949 et devenu célèbre dans ses paroisses pour ses sermons chantés. S’accompagnant à la guitare, ses chansons passèrent à la radio. Ami de George Brassens, qui le surnomme « la calotte chantante » dans Trompettes de la Renommée, le prêtre lorrain popularisa sa voix accorte et sa gentillesse auprès d’un large public. Même si la question de Dieu et de l’Évangile n’est jamais loin dans son oeuvre, l’homme avait la faculté de parler également aux laïcs à travers de beaux textes toujours interprétés avec une grande sincérité. Si l’alcoolisme a pu ternir sa fin de carrière, ce vrai personnage aura marqué non seulement son temps, mais permis à un véritable prêtre d’entrer dans les « charts ».

Son destin peu commun est à rapprocher d’un « one-hit-wonder » des années 1960 : Sœur Sourire. Cette religieuse belge connut un succès mondial avec son tube Dominique. Cette chanson innocente à la mélodie imparable avait été conçue au départ pour financer une partie des bonnes œuvres de son couvent, mais ouvrira à la jeune dominicaine les portes de la gloire. Lasse, cependant, des contraintes de la religion, elle s’est émancipée à la fin des années 1960, continuant sa carrière avec des paroles nettement plus engagées et profanes, prouvant la difficulté à mener de front un parcours musical avec la vocation et la vie cloîtrée.

Les groupes de prêtres, une tendance désormais bien implantée

Pour la pop moderne, la musique religieuse paraît lointaine. Pour autant, les groupes constitués de prêtres évoquent rapidement au grand public un chant pur, avec des harmonies vocales poussées. Dans la sphère anglo-saxonne, au milieu des années 2000, la formation en Irlande de The Priests fut ainsi un petit miracle. En interprétant des thèmes classiques et sacrés, les prêtres frères O’Hagan et leur ami, le père David Delargy, ont trouvé une formule susceptible de plaire aux auditeurs cherchant à la fois à écouter le répertoire religieux et à voir ce type de chœurs revisiter des morceaux pop.

En France, le groupe Les Prêtres s’inspire directement de ce projet musical. Avec trois albums sortis dans les années 2010 (Spiritus Dei, Gloria et Amen) de nombreux concerts et une popularité internationale, ce trio a su retranscrire en version francophone la grâce vocale de The Priests.

Le mélange de spiritualité et de musique explique le parcours d’un artiste comme Grégory Turpin, ancien novice au Carmel mais également figure des nuits toulousaines, qui a réalisé des albums collectifs avec une religieuse, Sœur Laetitia, et foulé les planches de l’Olympia. Faisant dialoguer la variété et les grands classiques de la musique sacrée, cette figure de la scène chrétienne française a notamment fait un duo avec Natasha St-Pier (pour un album sur Thérèse de Lisieux) et publie de nombreuses chansons.

ChronosIntroduisant à un public occidental les mélodies des églises orientales, et leur sens particulier du chant et de la liturgie, Les Prêtres Orthodoxes adaptent le concept de The Priests en emmenant les auditeurs autre part. Leur « exotisme » a pu s’apprécier sur leur album commun avec Vincent Niclo, ou lors de leur passage dans The Voice 2020. Pour cet été, sur leur disque Chronos, il nous livre un assortiment de reprises allant des airs religieux à la pop, pour le plus grand bonheur de ceux pour qui la séparation du sacré du profane n’est qu’une vue de l’esprit !

Article rédigé par
Mathieu M.
Mathieu M.
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