« France : one point ! ». Le concours de l’Eurovision se déroule ce samedi 11 mai et pourrait consacrer, une fois n’est pas coutume, le candidat français, Slimane. Il faut dire que cette fameuse compétition musicale n’en est plus à une surprise près : son histoire en est émaillée. On rembobine.
L’Eurovision, une naissance technologique
Le boom de la télévision en Europe débute dans les années 1950. La petite lucarne s’impose petit à petit dans les foyers, grâce à la technologie hertzienne. À l’époque, et contrairement à ce qui se passe aux États-Unis, ce sont les États eux-mêmes qui gèrent la production et la diffusion de contenu. Au début de la décennie est fondée l’Union européenne de radiotélévision, qui rassemble tous les acteurs du milieu en Europe de l’Ouest. Ils définissent un premier protocole de télévision continentale : l’eurovision. Ce réseau permet la retransmission en simultané du couronnement d’Élisabeth II en 1953 dans tous les pays membres.
À une époque de construction et de paix, en Europe occidentale, le concept d’événements culturels multinationaux fait son chemin. Tout s’accélère en 1955, lorsque producteurs suisses et italiens ont l’idée d’un festival de chansons à l’échelle européenne. Un an plus tard, en direct de Lugano, le premier concours Eurovision de la Chanson se déroule, dans une atmosphère on ne peut plus sobre. Chacun des sept pays membres présente deux artistes, les groupes ou duos sont interdits (de même que les chorégraphies), et les votes (d’un jury) sont entièrement opaques. Même si l’événement est un grand pas pour l’idée d’une télévision « européenne », il n’est encore que confidentiel : au milieu des années 1950, moins de 5 % des foyers français sont équipés d’un poste. Il faudra attendre les années 1960 pour que ce type de retransmission devienne populaire, à l’instar du concert du Nouvel An de Vienne (diffusée en eurovision depuis 1958), ou des matchs de football organisés sur le continent.
De Marie Myriam à Slimane, des candidats sérieux, mais malheureux à l’Eurovision
À ses débuts, l’Eurovision ne comptait qu’une dizaine de nations candidates, dont quatre pays partiellement ou totalement francophones : la France, le Luxembourg, la Belgique et la Suisse. Même si, très vite, les jurés n’ont pas eu le droit de voter pour leur propre pays (une règle prolongée depuis), la langue de Molière domine la compétition. La chanson Refrain, pour la Suisse, remporte la première édition, Dors mon amour, d’André Claveau, pour la France, la troisième, Tom Pilibi, de Jacqueline Boyer, la cinquième…
Cette domination s’accentue par l’emploi de chanteurs français par les pays limitrophes. Le plus fameux exemple en est France Gall, qui triomphe à l’Eurovision 1965 avec la chanson Poupée de cire, poupée de son, signée Gainsbourg, en portant fièrement les couleurs… du Luxembourg. Et la Principauté de Monaco, candidate à une vingtaine de reprises depuis la création du concours, a même gagné le trophée en 1971, alors que ni l’interprète (Séverine), ni le chef d’orchestre, ni les auteurs-compositeurs du titre Un banc, un arbre, une rue n’avaient un quelconque lien avec la cité-État.
L’ouverture progressive du concours à un nombre croissant de nations et la volonté des organisateurs de montrer que la musique transcende les frontières, ainsi que la part prépondérante du vote public (instauré en 1998), bousculent la domination francophone des premières décennies. Ainsi, la dernière victoire française remonte à 1977, et le sacre de Marie Myriam pour L’Oiseau et l’Enfant, le dernier titre d’une artiste de nationalité française date de 1983 et la victoire de Corinne Hermès pour le Luxembourg. Quant à la dernière chanson francophone couronnée, elle se nomme Ne partez pas sans moi, et a été l’occasion pour Céline Dion de conquérir le cœur des Européens ! Slimane, à la suite des tentatives signées Amaury Vassili, Bilal Hassani, Fatals Picards, Patricia Kaas, Amir et autres Barbara Pravi ou Madame Monsieur, mettrait fin quelque 47 ans de disette en remportant le concours samedi !
Le sacre d’ABBA, quand l’Eurovision devient une cérémonie excentrique et inclusive
Jusqu’aux années 1970, le Concours de l’Eurovision ressemblait à des événements comme le Festival de San Remo des débuts, avec orchestre, protocole et commentaires monocordes. C’est à cette période, cependant, que les artistes commencèrent à subvertir la cérémonie. En 1974, le chef d’orchestre d’Abba se présenta coiffé d’un bicorne napoléonien au moment où Agnetha Fältskog et Anni-Frid Lyngstad interprétaient Waterloo. L’année suivante, la victoire des Suédois faisait des émules, avec le triomphe de Teach-In pour son tube Ding-a-Dong. Dès lors, la disco aura eu une place de plus en plus prépondérante dans les concours jusqu’au milieu des années 1980.
Par la suite, une véritable révolution culturelle changera à jamais l’image de la compétition : d’une mise en scène un peu poussiéreuse, elle deviendra un show à grand spectacle dans les années 1990, pour aboutir à son statut actuel. Monument de kitch pour les uns, manière de montrer une Europe progressiste et inclusive à coup d’europop décomplexée pour les autres, la cérémonie de l’Eurovision figure de toute façon parmi les moments incontournables de la culture contemporaine.
Depuis la grande ouverture des années 1990, le concours a été l’occasion de voir, le temps d’un soir, tous les pays d’Europe rassemblés autour d’un moment commun. De façon plus ou moins détournée, le message pacifique et tolérant prêché par la compétition (dans laquelle aucun pays ne peut voter pour son propre artiste) s’est enrichi de moments plus revendicateurs, en lien avec la culture LGBTQ, en particulier. Ainsi, la victoire de la star trans Dana International en 1998, celle de Conchita Wurst ou même la chanson Nous les amoureux de 1961 constituent autant de séquences fondamentales pour les fans de la cérémonie.
Rendez-vous samedi 11 mai pour l’édition 2024 qui se tiendra à Malmö et verra Slimane tenter de remporter le concours !