On célèbre cette année les 40 ans de Closer, le deuxième et dernier album studio de Joy Division, dont une luxueuse réédition sort ce 17 juillet. Cette même année 1980, le groupe se séparait, à la suite du décès tragique de Ian Curtis, légendaire chanteur et parolier d’un quatuor qui devait influencer la scène musicale des quarante années suivantes.
Joy Division, la musique de Manchester
En 2007, la sortie du film Control d’Anton Corbijn, racontant la brève existence de Joy Division, a achevé de rendre culte le destin hors du commun de quatre musiciens venus de Manchester, et la trajectoire dramatique de son chanteur tourmenté.
Joy Division, formé sous le nom de Warsaw, naît à la suite d’un concert des Sex Pistols, en 1976. Peter Hook (bassiste et futur auteur du livre Unknown pleasures – Joy Division vu de l’intérieur) et Bernard Albrecht (guitariste) montent un groupe en voyant l’énergie des pionniers du punk se déployer sur scène. Ils sont rejoints par Ian Curtis, un jeune ouvrier qui va tenir le rôle de chanteur. Quelques mois plus tard, en mai 1977, avec le batteur Stephen Morris, la formation donne son premier concert.
Très vite, Joy Division connaît un succès local, avec une musique en totale harmonie avec son environnement : la désolée banlieue de Manchester et ses usines lugubres, retranscrites à travers des rythmiques répétitives, des sons de guitares et de basses inattendus, et les paroles signées Ian Curtis, qui évoque tour à tour le désespoir, la solitude, le sentiment d’angoisse et la fatalité.
Joy Division, définitivement post-punk
Nous sommes quelques mois après la déferlante punk, et Joy Division vide le genre de sa rage politique et de son caractère ironique. La froideur de la voix de Ian Curtis et son charisme scénique (épileptique dans la vie, il mime en concert une sorte de transe maladive en rythme avec la musique) donnent toute sa saveur au groupe, dont le talent explose avec la sortie du premier album, Unknown Pleasures en 1979.
Célèbre pour sa pochette, représentant l’onde d’un objet céleste (le pulsar), ce premier disque a été enregistré pour un label local, Factory Records, dont le nom est tiré d’un club où se produisent régulièrement Ian Curtis et sa bande. Il a été enregistré avec l’aide de Martin Hannett, qui va aider le groupe à mettre en boîte ce son tranchant qui fait sa marque, accentuant par exemple l’usage des notes aiguës sur les lignes de basse de Peter Hook.
Si l’album n’entre pas dans le haut des charts en Angleterre, le groupe exerce une fascination importante sur des journalistes comme John Peel, le photographe Anton Corbijn ou en France, Michka Assayas. Des fans qui vont contribuer à ce que Joy Division connaisse une certaine aura dans l’underground européen, et multiplie les apparitions, sur le continent et dans les clubs british.
Joy Division, une histoire qui ne finit pas bien
L’année 1979 va voir progressivement le moral de Ian Curtis se dégrader. Le stress de la scène et l’horizon du succès provoquent chez ce grand angoissé des crises d’épilepsie de plus en plus rapprochée, et le jeune homme, dans la vingtaine, ne parvient pas à trouver de repos. Alors que son épouse tombe enceinte, il fait la rencontre d’une fan belge, avec laquelle il débute une relation platonique.
Le désarroi dans lequel le plonge ce triangle amoureux va faire jaillir en lui les paroles de ce qui reste comme le plus connu des singles du groupe, Love Will You Tear Us Apart. Un morceau dansant, qui évoque l’amour qui se déchire, et précède l’enregistrement de Closer, album réédité cette année en vinyle transparent, et qui marque le chant du cygne de Joy Division. Ralentissant le rythme quasi disco du premier opus, le quatuor complique, pour ce second LP, les pistes de batterie et introduit des sons de synthétiseurs (voir les chansons Isolation et Decades).
La voix d’Ian Curtis, plus lointaine encore que précédemment, paraît anticiper le malheur qui va sonner la fin du groupe quelques semaines plus tard : à la veille d’une tournée aux États-Unis, en première partie des Buzzcocks, le chanteur de Joy Division se pend à son domicile. À 23 ans, miné par sa vie personnelle et ses problèmes médicaux, l’artiste tourmenté quitte un monde qui allait peut-être l’accueillir d’une meilleure manière, comme l’atteste le succès de Closer en juillet 1980.
Une influence durable
The Sound, The Durutti Column, The Cure, Wire… Nombre de groupes contemporains de Joy Division ont perpétué le son du post-punk froid et inventif dans laquelle la formation mancunienne excellait. Meurtris par le suicide de Ian Curtis, les membres restants choisiront de tourner le dos au passé, en formant New Order, enregistrant un succès colossal (leur titre Blue Monday est le 45 tours le plus vendu de l’Histoire !) avec une musique plus dansante.
Longtemps objet de culte un peu underground, notamment dans les années 1990, la musique de Joy Division retrouve le devant de la scène dans les années 2000, à l’occasion du post-punk revival. Interpol, Editors, She Wants Revenge, I Love You but I’ve Chosen Darkness, et aujourd’hui de jeunes groupes comme The Murder Capital, Egyptian Blue, Squid, LIFE ou Dry Cleaning, ont puisé dans le répertoire de Ian Curtis et des siens certains de leurs plus grands apports, comme la voix caverneuse, les guitares destroy ou les lignes de basse inventives, pour perpétuer le mythe de Joy Division.
Désormais, la musique du groupe se retrouve aussi dans des séries télévisées, comme 13 Reasons Why, Peaky Blinders ou Stranger Things, qui permettent aux jeunes générations de connaître Joy Division et sa mélancolie dansante.