Parmi tous les souverains mis en scène dans l’histoire du théâtre, le père Ubu est sans doute le plus ridicule. Né de l’imagination d’Alfred Jarry, ce personnage de capitaine de dragons devenu roi de Pologne sert de prétexte à la parodie de Shakespeare et de Racine qu’est la pièce Ubu Roi. Avec sa genèse et son parcours, le père Ubu incarne aujourd’hui l’absurdité mieux que quiconque sur scène.
Qui est le père Ubu ?
S’il a été introduit par Alfred Jarry dans sa courte pièce César-Antechrist, le père Ubu a connu la fortune littéraire avec Ubu Roi, un pastiche de tragédie en cinq actes paru en 1896.
Dès sa première réplique (« merdre »), le personnage se manifeste par sa vulgarité, son goût pour les expressions et les néologismes (qui ont trait à des « chandelles vertes » ou des « sabres à phynances », sans parler de la « grosse gidouille ») et son côté surréaliste.
Dans Ubu Roi, le père Ubu (et sa femme, la mère Ubu) fomente un coup d’état, impliquant un régicide et l’assassinat de tous les nobles. Malgré ce scénario bien huilé, le ridicule du personnage principal, comme mari et comme souverain apparaît rapidement.
Les origines du Père Ubu
La création du personnage d’Ubu est en fait collective. Au lycée de Rennes, un professeur de physique, Félix Hébert, est « consacrée » par ses élèves dans les années 1880. Les lycéens, dans un pur esprit de potache, mette en scène ce singulier enseignant dans plusieurs textes, avant que l’un d’entre eux, Charles Morin, n’en crée une pièce pour marionnettes.
Alfred Jarry part après son bac à Paris pour y préparer l’Àcole Normale Supérieure. Il va s’inspirer de cet ancien professeur pour transformer Hébert en Ubu, un nom d’animal vite devenu le symbole de l’absurdité.
Le père Ubu : un personnage à part
« Ubu est un être ignoble, ce pourquoi il nous ressemble (par en bas) à tous ». En ces termes, Alfred Jarry définit le personnage qui l’a fait passer à la postérité. Il faut dire qu’avec ses vices, sa bêtise, son absence totale de scrupules, cet anti-héros total moque les interrogations métaphysiques et les dilemmes moraux des grandes œuvres shakespeariennes, comme Hamlet ou Macbeth.
Si la crédibilité du personnage tend à disparaître au profit de la farce et de l’absurde, l’écrivain l’a quand même doté d’une sorte de mythologie, en poursuivant le récit de ses aventures avec Ubu enchaîné, Ubu Cocu puis Ubu sur la butte. De fait, il fit aussi du personnage le premier docteur en pataphysique, cette science de l’absurde depuis devenu un collège qui compte tous les écrivains actuels férus de surréalisme, dont Jarry a inspiré les débuts littéraires.
Alfred Jarry : une grande filiation
Décrire une situation comme « ubuesque » (pour « absurde, surréaliste ») montre bien quelle postérité le père Ubu a connu dans le langage courant. Si l’héritage de Jarry, écrivain disparu précocement, a rejailli sur toute l’histoire de la littérature, des surréalistes (Breton, Aragon puis Vian d’une certaine façon) aux tenants de l’Oulipo (Queneau, Pérec), il a aussi essaimé, par son œuvre lui-même, désormais régulièrement mise en scène. Sobel, Schiaretti ou Martin-Salvan en ont donné de jolies lectures ces dernières décennies, un opéra de Penderecki en a été extrait, et tous les lycéens l’étudiant en classe ont parfois envie de singer le dramaturge en caricaturant leurs professeurs. C’est dire si le roi autoproclamé de Pologne a créé une belle lignée !