RENTRÉE LITTÉRAIRE – C’est par une nuit noire de février 1989 qu’Éric-Emmanuel Schmitt est parvenu à y voir plus clair. Une nuit de feu passée, sans vivres et sans eau, dans l’immensité du Hoggar algérien. Une nuit au cours de laquelle l’écrivain fit l’expérience du divin. Il nous en offre aujourd’hui le récit. Une émouvante et intime confession en guise de profession de foi où l’homme, l’écrivain et le philosophe se mettent à nu.
Au nom de Charles de Foucauld, « le marabout blanc »
À l’origine de cette plongée dans le grand sud algérien, il y a ce projet d’écriture de scénario autour de l’ermite et homme de foi Charles de Foucauld. En 1901, ce militaire-mondain-noceur de la France coloniale, subitement touché par la grâce, avait tout quitté pour venir s’installer dans le Sahara.
Près de cent ans plus tard, Éric-Emmanuel, 28 ans, s’apprête, sans le savoir, à suivre ses pas. Lui qui érode alors les estrades de l’université de Savoie où il honore ses premières heures de maître de conférences en philosophie, a devant lui un avenir tout tracé. Mais, déjà étouffé par une nuée de questions existentielles, il trouve en ce Charles de Foucauld l’occasion d’aller voir ailleurs et, peut-être, s’y trouver.
Au nom de Blaise Pascal
Éric-Emmanuel Schmitt tient également à associer à sa révélation une autre figure tutélaire, celle du célèbre scientifique, philosophe et théologien Blaise Pascal. C’est à lui que Schmitt empreinte son titre La Nuit de feu pour qualifier l’incendie intérieur qu’il a lui-même ressenti cette nuit-là dans le Hoggar, au pied du mont Tahat. Car c’est en ces termes que Pascal évoqua lui même sa nuit du 23 novembre 1654, pendant laquelle il traversa une épreuve mystique similaire. Épreuve qui marqua la conversion viscérale du mathématicien au christianisme.
Au nom de Mozart
Autre éternel compagnon de route d’Éric-Emmanuel Schmitt, Wolfgang Amadeus Mozart : c’est au compositeur autrichien que vont ses premières pensées après sa nuit d’extase. Alors que « [redescendu] jusqu’à [lui] », il se lance à la recherche de ses camarades de traversée, voilà qu’il se surprend à se jouer, en tête, une symphonie de Mozart. « Porté par les notes, j’achevai l’ascension ». Une façon, inconsciente, pour l’écrivain de remercier celui qui, depuis ses 15 ans, ne le quitte plus. Depuis ces répétition des Noces de Figaro, à l’opéra de Lyon, auxquelles un professeur l’avait (en)traîné. Ce soir-là, subjugué par tant de beauté, Mozart l’avait sauvé, lui l’adolescent dépressif déjà pressé d’en finir. Ce soir-là, Éric-Emmanuel Schmitt reprenait goût à la vie une première fois.
Amen
« Je suis né deux fois… », écrit Éric-Emmanuel Schmitt alors qu’il s’apprête à terminer sa confession. « Une fois à Lyon en 1960, une fois au Sahara en 1989 ». Une naissance de chair suivie, près de trente ans plus tard, d’une naissance d’esprit, à l’issue de cette traversée du désert aussi inattendue qu’extraordinaire. Ce voyage au cœur des vastes étendues sahariennes a amené le futur auteur du Visiteur et de L’Évangile selon Pilate à explorer d’autres étendues, bien plus infinies et abstraites… « La vie intérieure se fortifie du vide extérieur », écrit-il. Et d’en conclure que « Tout a un sens, tout est justifié ».
Vive le droit à l’ignorance et au doute. Sus aux certitudes. Telle est le divin commandement auquel Éric-Emmanuel Schmitt décidera dès lors de se soumettre. Un renversement absolu, un coming out spirituel qui le fera passer du philosophe de l’absurde à celui du mystère. Du vide et de la peur à la plénitude et à la confiance. La confiance dans le mystère de la condition humaine que l’écrivain n’a de cesse, dans ses livres, d’explorer, d’interroger, d’aimer.
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