À la fois western crépusculaire et blockbuster dépressif, La Porte du Paradis est certainement l’une des dernières œuvres pharaoniques qu’Hollywood a jamais produite…
1870. L’université d’Harvard célèbre sa promotion comme il se doit, entre faste et convention. Parmi les élites en devenir de l’Amérique, James Averill (Kris Kristofferson) et le facétieux Billy Irvine (John Hurt) sont deux amis dont l’ambition n’a alors d’égal que l’insouciance.
Vingt ans plus tard, James Averill, devenu shériff du comté de Johnson dans le Wyoming, arrive par le train dans la ville de Casper. Le trouble règne dans cette petite cité champignon depuis que les immigrants, venus prendre possession de leur lopin de terre, sont accusés de vols de bétail. James Averill y retrouve Ella (Isabelle Huppert), une tenancière de maison close avec qui il envisage de faire sa vie. À la fois ami et rival d’Averill, Nate Champion (Christopher Walken) est quant à lui employé comme mercenaire par la puissante association des éleveurs de bétail pour semer la terreur parmi les immigrants. Mesurant mal l’ampleur des tensions, Averill va progressivement voir son autorité dépassée par un inéluctable tourbillon de violence…
Clap de fin
On ne se répandra pas une fois de plus sur les chiffres records que La Porte du Paradis traine comme des boulets depuis sa sortie catastrophique en 1980. Alors que le film fut pointé du doigt comme principal responsable de la mise en faillite de la United Artists, il scella surtout la fin du Nouvel Hollywood, cette période des années 70 où les auteurs et réalisateurs avaient acquis un certain contrôle, laissant aux exécutifs des studios un sentiment d’impuissance. Avec le recul, il est facile d’analyser les raisons de l’échec de La Porte du Paradis. En 1979, le réalisateur Michael Cimino et son film Voyage au bout de l’enfer viennent de triompher au box-office et aux Oscars (5 statuettes). Une semaine après la cérémonie, c’est avec une certaine immunité artistique que le réalisateur entame les prises de vues de La Porte du Paradis. Mais si les Américains avaient accueilli avec triomphe un film qui leur renvoyait violemment la guerre du Vietnam au visage, ils n’étaient certainement pas prêts à renouveler l’expérience. Voir cette fois le mythe de la Conquête de l’Ouest trainé dans la boue leur était forcément insupportable et insurmontable.
Le crépuscule se lève à l’Ouest…
Et comment ! Montrant comme héros un shérif totalement dépassé par les événements et un cowboy dont l’acte fondateur à l’écran consiste à abattre de sang froid un immigrant affamé, La Porte du Paradis est un film particulièrement désenchanté, frôlant à plusieurs reprises le nihilisme. Il narre de manière romancée les événements historiques qui se sont déroulés dans le Wyoming en 1892, connus sous le nom de la guerre du comté de Johnson. Et le constat est amer. Contrairement au mythe largement répandu, le film montre un Conquête de l’Ouest érigée sur une violence abjecte, à laquelle se retrouvent confrontés les immigrants venus chercher dans ce Nouveau Monde une terre, avec des promesses de fertilité et de réussite pour tous. C’est bien entendu aux fondations de l’Amérique que Michael Cimino s’attaque ici, et s’attache à démontrer que les plus grandes démocraties ont été bâties sur des agissements individuels vils ou totalitaires, où la loi du plus fort prévaut avant tout. L’Amérique est ainsi faite, à l’image de sa magistrale séquence d’introduction : les lauréats d’Harvard dansent la valse avec classe pour, quelques minutes plus tard, se « foutre sur la gueule » avec la plus basse trivialité…
Une restauration exemplaire
L’éditeur Carlotta rend aujourd’hui tous ses honneurs au film de Michael Cimino avec cette édition restaurée et ce sublime coffret collector. Les images déploient toute leur majesté, transformant les paysages du Montana en visions monumentales, offrant des plans qui témoignent à chaque instant d’un sens de la composition et du cadrage proprement époustouflant. Rares sont les œuvres à passer avec une telle aisance du plan très large au gros plan, du paysage à l’intime, à l’instar de cette scène de bal en patins à roulettes sous le chapiteau de l’Heaven’s Gate. Une centaine de figurants s’y agitent dans une ronde festive avant de littéralement disparaitre, laissant la place à Averill et Ella le temps d’une valse amoureuse. Plus tard, dans ce même décor, Kris Kristofferson égrènera un à un les noms figurant sur la liste des « 125 » dans l’une des séquences les plus déchirantes du film.
Cirque et démesure humaine
Bien calé entre John Ford et Sam Peckinpah, Michael Cimino oscille constamment entre lyrisme et désenchantement. Bercé d’images opératiques renvoyant l’homme à son statut de fourmi ridicule, La Porte du Paradis fascine longtemps après sa vision, notamment par son articulation autour de la figure du cercle, renvoyant au « cycle de la vie » dixit Cimino lui-même. Les danses festives à l’Heaven’s Gate répondent aux valses d’Harvard qui renvoient elles-mêmes au siège meurtrier final, se faisant un écho des plus tétanisant de ce que fut cet épisode sombre de la construction de l’Amérique… Nombre de scènes de La Porte du Paradis fonctionnent ainsi de manière spectrale : celles se déroulant à l’Heaven’s Gate évidemment, mais on pense aussi à celle du meurtre de l’employé de gare cerné dans les collines ou encore à cet acte désespéré d’une femme qui vient de perdre son mari dans le combat final…
À la fois western crépusculaire et blockbuster dépressif, La Porte du Paradis est certainement l’une des dernières œuvres pharaoniques qu’Hollywood a jamais produite, trouvant sa place sur l’étagère juste à coté du Apocalypse Now de Coppola. Les éditions Blu-ray et DVD, mais surtout l’édition prestige collector limitée et numérotée, dont on saluera la richesse cinéphilique, viennent parachever de la plus belle des manières un feuilleton catastrophiste de plus de trente ans.
L’édition prestige comprend, outre le combo Blu-ray/DVD, le CD, la reproduction exclusive de « La Bible » du tournage (288 Pages), un Portfolio (44 pages), un livret (56 pages) conçu par Michael Cimino avec des photos de plateau, un essai de Jean-Baptiste Thoret et de nombreuses archives.
En voici la présentation vidéo :
Bonus DVD et Blu-ray : Introduction de Michael Cimino (1’33), Retour au Paradis (entretien entre Michael Cimino et Michael Henry Wilson-50′), 4 entretiens exclusifs : Kris Kristofferson (9’), Isabelle Huppert (23’), Jeff Bridges (17’), David Mansfield (8’), la restauration (2’30).
Et pour prolonger un peu plus l’aventure avec Michael Cimino, nous vous conseillons l’excellent ouvrage signé Jean-Baptiste Thoret, Michael Cimino, les voies perdues de l’Amérique.