Démonstration virtuose de narration cinématographique, Cloud Atlas est la nouvelle perle révolutionnaire des Wachowski. Un film aussi complexe dans sa construction que dans sa fabrication pour un résultat d’une évidence stupéfiante…
En 1846, un jeune avocat, atteint d’un mal étrange durant son voyage retour des iles du Pacifique Sud, se lie d’amitié avec un esclave, passager clandestin. 1936, en Écosse, un jeune compositeur en mal de reconnaissance entreprend d’écrire son chef-d’œuvre, une symphonie intitulée Cloud Atlas Sextet. En 1973, à San Francisco, une journaliste enquête sur un scandale écologique au péril de sa vie. 2012, en Angleterre, un vieil éditeur ruiné se retrouve enfermé dans un hospice aux règles particulièrement strictes. En 2144, à Neo Seoul, un clone génétiquement programmé va trouver le chemin de l’émancipation. En 2321, alors que la Terre vit ses dernières heures, un gardien de chèvre peu courageux reçoit la visite d’une femme qui pourrait bien changer sa vie. Bien que situés à des périodes distinctes, tous ces destins sont liés, se répondent, s’entrecroisent, et apportent leur petite pierre au grand édifice de l’Humanité.
Attention, Cloud Atlas est un film ovni comme le cinéma ne nous en offre que trop rarement ! À coup sur, la nouvelle livraison des Wachowski, épaulés sur ce coup par le réalisateur allemand Tom Tykwer (Cours, Lola Cours, Le Parfum et l’injustement méconnu L’Enquête), devrait autant susciter l’adhésion que le rejet le plus total ! Expérience visuelle et sensorielle inédite, Cloud Atlas propose une véritable odyssée narrative aussi culottée qu’aboutie. Comme le sextet qui le parcourt et charme ses personnages, le film agit comme tout bon morceau de musique. Chacun y retrouve ses émotions propres, y projette ses sensations, son histoire. Pour cela, la seule condition est d’y adhérer…
C’est sur le tournage de V pour Vendetta que Natalie Portman confie aux Wachowski, alors producteurs, le roman de David Mitchell, Cartographie des nuages . Bien en a pris à la comédienne (qui devait à l’origine faire partie de l’aventure) puisque le roman réputé inadaptable devient l’un des projets prioritaires des réalisateurs de la trilogie Matrix. Mais après l’échec retentissant de Speed Racer, difficile pour les Wachowski de gagner la confiance d’Hollywood. C’est donc en finançant leur film de manière totalement indépendante, à travers plusieurs pays dont l’Allemagne, la Chine, Singapour et les États-Unis, qu’ils parviennent à réunir le budget de 102 millions de dollars nécessaire à l’entreprise. Entre-temps, ils s’adjoignent les services d’un autre réalisateur prestigieux, Tom Tykwer, également tombé amoureux du roman originel. Celui-ci les aide à écrire un scénario qu’on pourra sans peine qualifier de « complexe » et prend accessoirement part à la composition de la prépondérante bande originale. Œuvrant à l’unissson, le trio de réalisateurs met en place un processus de tournage singulier, voire inédit. Entre septembre et décembre 2011, deux équipes de tournage travaillent en parallèle, les acteurs faisant le va et vient entre les différentes époques et lieux de tournage.
Le résultat frappe avant tout par son affolante cohérence. Il faut en effet attendre le générique de fin pour savoir qui, des Wachowski ou de Tykwer, s’est chargé de quelle époque (même si le goût prononcé des Wachowski pour la SF nous mène sur la piste). Outre la particularité d’imbriquer six récits, situés à six périodes distinctes, Cloud Atlas fait s’entrecroiser des personnages différents incarnés par les mêmes acteurs principaux. Parmi eux, on compte évidemment Tom Hanks, Halle Berry, quelques fidèles compagnons de route comme Hugo Weaving et Ben Whishaw (Le Parfum, Q dans Skyfall), ou encore Hugh Grant, qui endosse ici un (des) rôle(s) pour le moins inattendu. Le choix de caster ce dernier symbolise à lui seul le parti-pris incroyablement audacieux dont témoignent les réalisateurs.
Au bout du voyage, de ces 2h45 de métrage qui passent comme une comète, chacun des personnages trouve un emploi bien précis (le conservateur, le progressiste, le révolutionnaire, le doute, le choix…) dans l’histoire de l’évolution. Et si dans la vision des cinéastes le constat sur les sociétés successives est sans appel (les civilisations du futur sont de plus en plus déshumanisées et aliénantes), leur regard semble conserver une foi sans borne dans l’individu et la puissance de l’amour.
Au-delà de cette symphonie vertigineuse et incroyablement ludique (revoir le film est assurément un régal), les Wachowski partagent leur passion immodérée pour le cinéma et sa narration. Tous ces segments qui renvoient aux notes d’une seule et même partition démontrent le talent et la capacité des Wachowski à s’attaquer frontalement à tous les genres cinématographiques. Oui, on aimerait les voir mettre en scène un long métrage d’aventures (les scènes sur le galion sont à tomber) ! Oui, on serait curieux de les voir revisiter la blaxploitation des années 70 ! Oui, on paierait cher pour un film post-apo signé par eux ! Et quelle jubilation enfin de les voir s’attaquer à nouveau à la SF ! Un ultime désir qui devrait sous peu se concrétiser à nouveau puisque leur prochain projet est d’ores et déjà sur les rails et s’intitule Jupiter Ascending…
(Photos : © 2012 WARNER BROS. ENTERTAINMENT)
Découvrez la bande-annnonce de 5 minutes de Cloud Atlas :