Entretien

Séries et Histoire, épisode 1 : comment la pop culture a réinventé le Moyen-Âge

01 juin 2022
Par Agathe Renac
Séries et Histoire, épisode 1 : comment la pop culture a réinventé le Moyen-Âge
©HBO

Game of Thrones, Vikings, Harry Potter… Le Moyen-Âge a inspiré de grandes œuvres de la pop culture. Mais, pour l’historien médiéviste William Blanc, sa représentation est fantasmée. Décryptage.

Séries, films, livres… Le Moyen-Âge est partout. Pourquoi cette période nous fascine-t-elle autant, encore aujourd’hui ?

C’est une question très vaste et complexe, et qui en dit beaucoup sur nous. Ce qu’on appelle “la modernité” est apparu à la fin du XVIIIe siècle avec des symboles forts comme la démocratie, les Lumières… À ce moment-là, la société moderne a voulu se créer un opposé, comme pour dire : “Voilà qui on est, ce qu’on veut, et ce qu’on ne veut pas.” Et ce qu’elle ne voulait pas, c’était le Moyen-Âge. Alors elle a créé toute une imagerie négative autour de cette période.

Aujourd’hui, une vision plus positive et fantasmée émerge. On commence à voir les limites à la modernité industrielle et capitaliste, on réalise que la technologie n’apporte pas toutes les solutions, qu’on a provoqué le réchauffement climatique… Et c’est dans ce contexte que le Moyen-Âge positif apparaît. On se dit que c’était mieux avant. Mais quand on va dans une fête médiévale, ce n’est pas pour revivre réellement cette période, on y va pour trouver une vision très idéalisée, avec des chevaliers, des princesses, des guerrières… Cet aspect positif est aussi lié à l’enfance et à Disney.

Dans la pop culture, le Moyen-Âge est dépeint comme une période où l’hygiène laissait à désirer. Était-ce vraiment le cas ?

On sait depuis longtemps que les gens se lavaient et qu’il y avait des bains dans les villes. Donc rien à voir avec ce que nous montrent des séries comme Kaamelott, où les paysans ne se sont jamais lavés de leur vie, ou Les Visiteurs, où ils puent à 15 mètres.

Les Visiteurs.©Alpilles Productions, Amigo Productions

En réalité, c’est surtout aux XVIe et XVIIe siècles que l’hygiène était rude. Ça correspond à l’époque de Louis XIV. Au contraire, le XIXe était très hygiéniste, un peu comme aujourd’hui. De facto, ils ont voulu s’opposer aux siècles précédents, où l’hygiène laissait un peu plus à désirer. Donc ils ont commencé à dire que les gens ne se lavaient pas au Moyen-Âge, qu’ils étaient sales et barbares.

Les dessins animés, les séries et les films insistent sur le mythe du preux chevalier qui sauve la princesse. Ces personnages étaient-ils aussi importants et nobles dans la société qu’ils le sont dans la pop culture ?

L’image très idéalisée du beau chevalier date du Moyen-Âge. Elle vient de l’aristocratie chevaleresque, qui a créé son propre mythe. Pour faire une comparaison avec aujourd’hui, les grands patrons des start-ups de la Silicon Valley nous disent qu’ils œuvrent pour le bien de l’humanité, alors qu’en réalité, ils le font surtout pour gagner de l’argent. Les chevaliers devaient payer un peu plus de leur personne et aller au combat, mais on peut faire le parallèle.

Cette image fantasmée a été alimentée par l’Église, qui voulait véhiculer cette idée du parfait chevalier chrétien et désintéressé, qui combat uniquement pour défendre la chrétienté contre les infidèles. Cette imagerie a perduré durant des siècles. Aujourd’hui encore, certaines personnes disent qu’elles aimeraient être des chevaliers et vivre comme eux, car le monde moderne les ennuie et qu’il est obsédé par l’argent.

La Belle au bois dormant.©Disney

Les films arthuriens sont très connus et répandus, mais on parle un peu moins des chevaliers du ciel. La Première Guerre mondiale a été extrêmement sanglante. Il n’y avait rien de chevaleresque dans cette période, car les gens mouraient dans la boue, dans les tripes, dans les tranchées, fauchés par un obus ou une mitrailleuse. Mais des auteurs, des journalistes et même des académiciens ont voulu créer une imagerie idéalisée en disant que dans cette guerre très sale, il y avait quelque chose de positif.

Ils racontaient que, dans le ciel, certains se battaient comme des chevaliers et maintenaient leur tradition. Le premier personnage à avoir été défini comme tel, c’est Georges Guynemer, un As de la Première Guerre mondiale. Que ce soit clair : les As n’avaient rien de chevaleresque. C’était des types qui volaient, qui voyaient des aviateurs moins doués qu’eux et qui leur fonçaient dessus pour les massacrer. Le but de l’imagerie, c’est de donner une vision positive de quelque chose qui ne l’est absolument pas. Depuis les années 1980, aux États-Unis, des pubs pour les Marines comparent ces combattants à des chevaliers pour attirer de potentielles recrues vers une activité en réalité très sanglante et dure.

Certaines séries comme Game of Thrones insistent sur leur brutalité et leur barbarie. On voit des affrontements qui durent des heures et font des centaines de morts. Évoluaient-ils dans des milieux aussi violents dans la réalité ?

Game of Thrones est clairement dans une imagerie négative du Moyen-Âge. La série s’inscrit dans une tradition médiévaliste très précise qui montre une période sanglante, où les gens meurent dans la boue, où tout le monde se fait violer, où il fait toujours gris et sombre… Je ne dis pas que le Moyen-Âge était une vraie partie de plaisir, mais, aujourd’hui, on sait que les batailles n’étaient pas aussi sanglantes. Le but du chevalier n’était pas de tuer l’autre, mais de le capturer pour le rançonner. Ça lui rapportait beaucoup plus d’argent. Donc les montagnes de morts de Game of Thrones n’existaient pas.

Game of Thrones.©HBO

J’ai travaillé sur l’épisode de la bataille des bâtards de GoT et quand on lit les descriptions et les interviews des auteurs et showrunners de la série, on se rend compte qu’ils se sont inspirés de batailles modernes, notamment de la guerre de Sécession. Il était impossible de voir autant de morts au Moyen-Âge. Il n’y avait pas une telle concentration de feu pour produire ces montagnes.

En plus, les batailles étaient rares à cette époque. Il y avait beaucoup d’escarmouches, de sièges… On était plus dans des missions commandos que dans des batailles rangées. Elles intervenaient généralement quand ils n’avaient plus le choix. Les séries et films ont au contraire une vision médiévaliste très contemporaine. Ça nous permet de nous dédouaner en nous disant qu’avant, ils étaient barbares et sales, contrairement à aujourd’hui. Mais c’est faux. Tout n’était pas rose à l’époque, mais il suffit de voir ce qu’il se passe en Ukraine depuis trois mois pour réaliser que nos guerres sont aussi très sanglantes.

Les films et les séries nous montrent aussi de nombreuses scènes de viol. Étaient-ils aussi courants dans la réalité ? Étaient-ils punis ?

Ces questions sont encore en cours de recherche. C’est difficile à savoir et à analyser, mais ce qui est certain, c’est que c’était une société patriarcale. Plus que la nôtre. Une historienne a travaillé sur ce sujet il y a quelques années et elle pense que la proportion de viol à cette époque était immense. Oui, c’était puni par la loi. Mais si on regarde le cas de l’Ukraine, les femmes violées par les militaires russes ont du mal à le dire, car il y a une souffrance énorme. Alors imaginez au Moyen-Âge, où la question de l’honneur de la famille entrait aussi en compte. Il y a très peu de sources historiques écrites par des femmes, et il y en a encore moins sur ce sujet. Donc pour vous répondre, c’est très difficile à quantifier.

Game of Thrones.©HBO

Il y avait des violences sexuelles, mais celles représentées dans Game of Thrones s’inscrivent dans une tradition du médiévalisme sombre, qui cherche à montrer les personnes de l’époque comme des barbares. Il y a aussi une forme de voyeurisme. Dès le XIXe siècle, des pièces comme La Tour de Nesle d’Alexandre Dumas ont représenté une forte sexualisation du Moyen-Âge. C’est un moyen pour les plus modernes de s’opposer aux plus anciens et de dire que, contrairement à eux, ils sont civilisés.

De nombreuses œuvres font aussi un lien entre la sexualité et la torture à cette époque. Si on réfléchit bien, les termes du BDSM sont liés à cette idée. Le lieu où se rencontrent les pratiquants s’appelle un donjon ! On a forgé cet imaginaire-là. Cette partie du château ne servait pas à ces pratiques. Et on torturait plus à l’Antiquité qu’au Moyen-Âge. On pense que les gens se faisaient torturer, brûler et découper en morceaux. Mais la torture était réglementée à cette époque.

La torture était codifiée ?!

Prenons l’exemple de l’Inquisition. La pratique de la “question” était soumise à des règles. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, le but des inquisiteurs n’était pas de brûler tout le monde. C’était de leur faire avouer leurs fautes et leur permettre de revenir dans le giron de l’Église. Le cas le plus connu est celui de Jeanne d’Arc. Au début, on l’a questionnée sans violence – mais il y avait une énorme pression psychologique, soyons clairs. C’était une jeune femme qui n’avait même pas 20 ans et qui était entourée de juges masculins. Ils l’ont questionnée pour qu’elle reconnaisse sa faute, ils l’ont pardonnée et l’ont envoyée en prison.

Jeanne d’Arc.©Columbia Pictures, Gaumont

Les gens étaient brûlés s’ils reproduisaient leurs erreurs, c’est ce qu’on appelle le “relapse”. Et c’est ce qui est arrivé à Jeanne d’Arc. Elle a remis des habits d’homme, donc elle a été rejugée et immédiatement envoyée au bûcher. C’est une pratique atroce, mais minoritaire. Au début du XIVe siècle, seuls 6 % des procédures de l’Inquisiteur Bernard Gui se terminaient de cette manière. Encore une fois, c’est horrible, mais c’est loin de l’idée du “un hérétique, hop, au bûcher !”.

Les séries véhiculent-elles d’autres clichés sur les chevaliers ?

Celui sur l’armure lourde est intéressant. Il date du XIXe siècle et a notamment été véhiculé par Mark Twain. Dans ses écrits (et ceux de ses successeurs), l’armure montre le côté lourd du Moyen-Âge. C’est comme un poids sur le corps, imposé par les institutions qui empêchent la liberté individuelle. À l’inverse, l’homme moderne est plus léger, et donc libre.

On voit ce cliché dans de nombreuses œuvres, comme les cartoons avec Bugs Bunny ou dans Merlin l’Enchanteur. C’est un discours et une image moderne, car on sait aujourd’hui que ces grosses armures métalliques, notamment celles du XVe, sont de purs chefs-d’œuvre et très légères. Daniel Jaquet, un chercheur suisse, a démontré cette idée en faisant des exercices et des roulés-boulés dans cet habit d’époque. C’est impressionnant. Elle est hyper articulée, légère, et on peut même courir avec !

Alors finalement, à quoi ressemblait réellement leur quotidien ?

Ça dépendait de l’époque, de leur région, de leur âge… On n’a pas de journaux intimes de chevaliers qui nous disent : “Je me suis levé à 8 heures, et j’ai fait ça.” Mais il faut se rappeler que ce sont avant tout des nobles. Certains passaient leurs journées à gérer leur domaine. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, ils ne les passaient pas à combattre. Il n’y a pas de règles concernant leur quotidien, car leur emploi du temps dépendait de plusieurs facteurs, mais ils répondaient à certaines obligations.

Par exemple, comme tous les chrétiens de l’époque, ils allaient à la messe le dimanche. Mais ils voulaient se distinguer de la population, donc on les voyait parfois arriver et entrer dans l’Église à cheval. Certains emmenaient aussi leur faucon. On n’en parle pas vraiment dans la pop culture, mais les faucons valaient extraordinairement cher, autant, si ce n’est plus, qu’un cheval de guerre. C’était l’équivalent d’une Ferrari à l’époque. Donc en montrer un était un signe extérieur de richesse et d’importance sociale. La fauconnerie était un art chevaleresque et une manière de montrer qu’on était au-dessus du bas peuple.

Knightfall.©Netflix

Cela fait partie des pratiques chevaleresques, comme les tournois. Ils leur permettaient de se montrer et d’apprendre à combattre. Quand ils battaient un autre chevalier, ils le mettaient à rançon et gagnaient de l’argent. Certains faisaient leur carrière de cette manière, le plus connu étant Guillaume le Maréchal. La chasse fait aussi partie de ces “arts”. Le but n’était pas de manger, car ils avaient suffisamment de nourriture. L’objectif était de se déplacer pour se montrer. Les cerfs, ça court loin. Donc en les chassant, ils pouvaient parcourir de nombreuses terres.

J’ai l’impression qu’en dehors des combats, cette idée de spectacle et cette volonté de se montrer étaient très présentes…

Bien sûr, c’est l’essence même de la domination sociale. Avant, il n’y avait pas les réseaux sociaux, la télé ou les journaux. Donc il fallait se montrer autant que possible. C’est pour cette raison que les cours royales étaient itinérantes. Il y a aussi la notion de blason. C’est une invention du XIIe siècle qui permet de se distinguer et de montrer à quelle famille on appartient. Certaines pratiques ne sont pas représentées dans les séries. On voit parfois des faucons, mais la fauconnerie n’est pas expliquée. Et surtout, elle est parfois représentée à des époques où elle n’existait pas. Dans le film Les Vikings de Richard Fleischer, un esclave possède un faucon. Mais c’est strictement impossible. Ces réalités médiévales ne sont pas mises en scène dans les œuvres, car elles n’ont pas d’intérêt scénaristique et les spectateurs ne comprendraient pas.

Leur représentation a-t-elle évolué au fil des années et des séries ?

Déjà, aucune n’est réaliste. Le but est de montrer des clichés. Quand vous êtes devant une fiction médiévaliste, vous en apprenez plus sur l’époque à laquelle elle a été faite que sur celle qu’elle est censée représenter. Avant la Première Guerre mondiale, les œuvres montraient une vision très idéalisée du chevalier, surtout en Europe et dans les pays où il y avait encore des noblesses et des monarchies. À l’inverse, les fictions japonaises des années 1950 étaient très à charge. La figure du samouraï a été utilisée par le régime militariste d’extrême droite entre les années 1930 et 1940. Et ça a eu un impact sur leur représentation dans les œuvres.

Les Sept Samouraïs.©Tōhō

Dans Les Sept Samouraïs d’Akira Kurosawa, les samouraïs laissent leur place aux paysans et c’est le peuple qui gagne. C’est un discours très politique dans un moment où le Japon découvrait la démocratie. Même chose chez Tezuka, un mangaka très célèbre, pacifiste et marqué par un discours de gauche. Dans Princesse Mononoké, Miyazaki montre aussi les samouraïs comme des brutes. C’est le contexte qui change la représentation. Et quand on a compris ça, on a tout compris.

Les châteaux sont aussi des personnages à part entière dans la pop culture.

Oui et, comme les chevaliers, il y a toujours un pôle positif et négatif. Il y a le méchant château où on torture des gens, comme dans Game of Thrones avec le Donjon Rouge. Et le château du rêve et de l’enfance qu’on retrouve chez Disney ou dans Harry Potter. C’est le lieu onirique où on se réfugie pour fuir le monde moderne et ses problèmes. Harry quitte une prison moderne, qui est la maison des Dursley, pour aller à Poudlard, qui est un château médiéval.

Constatez-vous beaucoup d’anachronismes dans les séries médiévalistes ?

Évidemment, ça fait entièrement partie du médiévalisme. Le Moyen-Âge s’étend du Ve au XVe siècle. Mais, la plupart du temps, les univers de fantasy mélangent tous ces siècles. Dans Game of Thrones, il y a des Fer-nés qui sont des Vikings, mais qui ont des bateaux de pirate du XVIIe ; le royaume des Sept Couronnes a des chevaliers du XVe ; il y a vaguement des barbares du Ve à travers les Sauvageons ; Essos représente l’Antiquité… On est dans un exercice imaginaire, donc on peut se le permettre.

Vikings.©Netflix

Ce qui est plus embêtant, c’est quand le créateur de Vikings dit que sa série est sourcée et très historique. C’est faux. C’est du n’importe quoi de A à Z. Les Vikings étaient une société patriarcale et il y avait très peu de guerrières. S’il y en avait, c’était des exceptions rares. Absolument pas comme dans la série, où on en voit 200 en train de charger derrière Lagertha. Mais, encore une fois, tout s’explique par le contexte. Cette image des guerrières est mise en avant dans un moment où les femmes s’affirment de plus en plus dans la société.

William Blanc est un historien médiéviste, spécialiste des cultures populaires. Il a notamment écrit Le Roi Arthur, un mythe contemporain.

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Article rédigé par
Agathe Renac
Agathe Renac
Journaliste