Entretien

Clovis Cornillac : “Je voulais faire entrer l’extraordinaire dans l’ordinaire”

02 juin 2022
Par Erwan Chaffiot
Clovis Cornillac : “Je voulais faire entrer l’extraordinaire dans l’ordinaire”
©DR

Avec son troisième long métrage, C’est Magnifique !, Clovis Cornillac affirme un univers à la fois décalé et rassurant, mais surtout un goût pour la belle image. Rencontre.

Est-il facile de faire exister un personnage aussi gentil que Pierre Feuillebois ?

En fait, je ne suis pas parti de la création du personnage pour cette histoire. Mon idée était de réaliser un film sur la bienveillance. On a travaillé avec les scénaristes sur cette idée et, de là, est né le personnage de Pierre Feuillebois. Il est un peu né d’un constat que je me suis fait, à savoir qu’aujourd’hui, l’intelligence est trop souvent liée à un certain cynisme, un ricanement permanent sur tout ce qui nous entoure. Le défi, c’était de faire évoluer un personnage qui ne soit pas con. Pierre a des valeurs fondamentales dans lesquelles tout le monde se retrouve, car je suis persuadé que la plupart des gens aiment faire du bien autour d’eux. Moi, je n’ai jamais vraiment compris une expression comme “trop bon, trop con”. J’ai plutôt le sentiment que plus les gens se sentent bien autour de moi, mieux je me porte. Pierre Feuillebois est finalement un personnage assez frontal.

Mais n’y avait-il pas un risque que ce personnage principal soit le figurant un peu mièvre de sa propre histoire ?

Ce que je ne voulais surtout pas, c’était qu’il devienne un personnage donneur de leçons ! Pour ça, la comédie et le burlesque aident beaucoup. On peut aller chercher dans tous les personnages des facettes excessives qui fonctionnent dans ce genre d’histoire. Il faut créer un univers spécifique – au risque de perdre certains spectateurs. Ce qui me rassure, c’est que j’ai fait énormément d’avant-premières avec ce film et les gens s’emparent de cet univers avec enthousiasme. Je pense que la sincérité répond à un besoin actuel. Le piège, c’est de ne pas transformer la gentillesse en niaiserie. Pierre Feuillebois découvre le monde et il se le prend en pleine tronche, mais, pour autant, il ne va pas reproduire toujours les mêmes erreurs. Sa naïveté est la conséquence de sa méconnaissance de notre société, mais ce n’est pas pour autant qu’il n’apprend pas. C’est quelqu’un de bon sens.

Comment décririez-vous l’identité visuelle de C’est magnifique ! ?

Très sincèrement, je ne sais absolument pas comment faire la promotion de ce film. Je ne sais pas dans quelle case le mettre. Beaucoup de gens comparent son atmosphère à celles d’Amélie Poulain, de Forrest Gump ou de Jacques Tati… Je ne me compare évidemment pas à ces grands créateurs, mais il y a un cousinage évident dans l’esprit qui se dégage de mon film. Et ces comparaisons aident C’est Magnifique ! à le placer dans un chemin. Cela permet également à une partie du public de l’identifier et de savoir si cela va les séduire ou non.

Certains spectateurs se sentent déstabilisés avant que Pierre ne déménage à Lyon. Ils ont peur que le film soit totalement onirique, car le début est pensé comme tel. Je voulais être radical d’entrée, afin de donner immédiatement des codes qui allaient être les leitmotivs du film et de l’histoire à venir. Il y a la montagne, Dario Moreno, les pots de miel que l’on voulait magnifier. Je voulais faire entrer l’extraordinaire dans l’ordinaire.

Quelles étaient les orientations visuelles du film ?

Je voulais que ce soit pop ! Le film parle d’un homme qui perd ses couleurs, le tout dans un monde un peu hors du temps. Il fallait que ce soit lumineux et je me suis raccroché à des couleurs qui ont imprégné mon enfance : de l’orange passé, du marron, des meubles en formica… On a poussé les curseurs visuels, mais toujours de manière sincère. Ma vision de Lyon peut paraître artificielle, mais c’est celle que j’avais quand j’étais gamin. Je pense aussi que lorsque l’on veut faire passer des sensations précises dans des scènes très courtes, il ne faut pas hésiter à exagérer les choses visuellement.

Vous considérez-vous comme un réalisateur technicien ?

Pour moi, la mise en scène est liée à tous les instruments que j’ai à ma disposition. Tout le monde peut filmer une histoire. Il suffit de poser une caméra. Moi, j’ai joué dans des films dans lesquels il n’y avait pas de mise en scène. Il n’y avait aucun point de vue. C’est quand même dommage de se priver de ce qui fait le cinéma : l’image, le son… Par exemple, j’impose systématiquement à mes producteurs une préparation avant la préparation. J’écris tout mon découpage technique et chaque scène est dessinée du point de vue du dessus, car je suis nul en dessin. Tout est répertorié : mouvement des acteurs, mouvement de caméras… Pour les focales, je me laisse une petite marge, car je peux changer d’avis une fois sur le décor. L’intérêt de cette préparation est de se demander pour chaque scène quelle en est la signification et où je veux aller.

D’où vient ce désir de bien filmer ?

Je crois qu’avoir côtoyé le metteur en scène John Berry [l’ancien beau-père de Clovis Cornillac, ndlr] a beaucoup compté. J’ai été témoin très tôt de ce que peut être une exigence et une maîtrise du plateau. J’ai vu que la mise en scène, c’était une affaire de choix. Au cours de ma carrière d’acteur au cinéma, j’ai aussi vu la différence entre des réalisatrices et réalisateurs qui sont dans leur projet et les autres. Et, quand c’est le cas, on est enthousiaste à rentrer dans leur univers.

Du coup, quand je me suis pensé en tant que cinéaste, je n’avais absolument pas la motivation de le faire pour m’écrire des rôles à la carte. Ce que je voulais avant tout, c’était faire du cinéma. Pour être honnête, si je joue dans mes films, c’est plus pour des raisons de financement du projet. Ce n’est absolument pas mon moteur. Sur le tournage, j’ai une véritable excitation à relever des défis techniques, à travailler avec l’équipe pour bricoler des stratagèmes qui vont nous permettre de réaliser le plan qu’on veut avec les moyens qu’on a. Pour cela, il faut que les collaborateurs aient bien conscience que tu n’es pas exigeant par simple plaisir de manipulation, mais parce que tu ne veux pas lâcher ton rêve. À partir de là, tu embarques tout le monde et on fait du bon boulot !

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