Enquête

La Corée du Sud, première de la classe sur l’école 2.0 et le métavers

07 avril 2022
Par Nicolas Rocca
Des enfants écoutent leur professeur lors de la Foire internationale du livre de Séoul, en 2017.
Des enfants écoutent leur professeur lors de la Foire internationale du livre de Séoul, en 2017. ©Joon-Young Kim

Le « New Deal digital » – 43,2 milliards d’euros destinés à faire passer la Corée du Sud à la nouvelle ère du vivre ensemble connecté – est un plan global dont un volet est consacré à l’éducation. Plongée dans la promesse sud-coréenne de révolution digitale de l’enseignement, accélérée par la pandémie.

Ces deux dernières années, de nombreux élèves ont dû découvrir les aléas de l’enseignement numérique, mais les étudiants sud-coréens ont vécu sans le savoir une transition vers une nouvelle ère éducative. Du moins, c’est ainsi que l’ont conçue les autorités en présentant la branche scolaire du « New Deal digital » en juillet 2020. Grâce à 1 200 milliards de wons (870 millions d’euros), le gouvernement Moon Jae-in souhaitait transformer l’école et les universités en s’appuyant sur les nouvelles technologies.

Cet investissement colossal pour un pays déjà ultraconnecté avait pour objectif premier d’adapter ses infrastructures. Au programme : la rénovation de plusieurs milliers de classes, le remplacement de plus de 255 000 ordinateurs, l’équipement de 1 200 écoles en tablettes, ainsi que la mise en place d’une plateforme d’apprentissage. Mais surtout, la mise en réseau des écoles. « Le plan de fournir une couverture wifi à 380 000 classes d’ici 2024 sera finalement atteint en 2022 », annonçaient les autorités en décembre 2020.

« La quasi-totalité de la population a accès aux outils numériques. »

Back Dan-bee
Enseignante à KAIST

Les objectifs initiaux ayant été atteints plus rapidement que prévu, à la fin de cette année, 98 % des établissements scolaires seront dotés d’une couverture sans fil. Un exploit rendu possible entre autres par la généralisation des cours en ligne durant les deux ans de pandémie. Selon l’Unesco, les écoles sud-coréennes ont été fermées 76 semaines (contre 12 en France), ce qui a permis de mettre les infrastructures à niveau.

Une cérémonie d’ouverture des cours en ligne, début 2020.©Ministère de l'Éducation

Digitalisation à grande vitesse

Une modernisation qui s’est appuyée sur des structures solides. En 2017, déjà, 99,2 % des foyers disposaient d’une connexion à Internet. À cela s’ajoute une couverture en réseau mobile impressionnante. « Nous avons l’une des meilleures connexions à la 5G au monde, notre couverture 4G est très robuste, et la quasi-totalité de la population a accès aux outils numériques », pointe Back Dan-bee, enseignante à KAIST (Korean Advance Institute of Science) et corédactrice d’une enquête sur la mise en place de l’enseignement en ligne en Corée du Sud. Son collègue Cornelius Kalenzi souligne lui la rapidité du passage aux cours à distance : « Les universités, les écoles, les maternelles ont migré en ligne. Si vous êtes dans l’univers des nouvelles technologies, vous savez que c’est un grand pas en avant. Le phénomène est très intéressant, car, avant la pandémie de Covid-19, malgré les infrastructures, le gouvernement n’avait pas passé le pas. »

« Les autorités ont essayé de garantir que personne ne reste à l’écart. »

Cornelius Kalenzi
Enseignant à KAIST

Néanmoins, aussi avancé soit-il, le système éducatif sud-coréen n’a pas été épargné par les difficultés du passage au tout numérique. « Les débuts étaient chaotiques, les directives données par le gouvernement et le ministère de l’Éducation étaient appliquées à la carte, se rappelle un professeur d’université qui souhaite garder l’anonymat. Nous observions ce que faisaient les SKY [acronyme des trois universités coréennes les plus prestigieuses] avant de les copier. Il y avait un sentiment d’improvisation. »

Ces accrocs initiaux ont vite été oubliés.  Comme souvent dans un pays où la capacité d’adaptation aux innovations est particulièrement élevée, le système éducatif s’est accommodé rapidement de l’arrivée des nouvelles technologies. Cornelius Kalenzi estime que la volonté des autorités de limiter la fracture numérique a notamment joué un rôle central, à l’image de la décision de la mairie de Séoul de rendre accessible à tous les étudiants du pays sa plateforme d’éducation en ligne. « Le secteur privé a été incité à aider les enfants pauvres afin qu’ils puissent louer gratuitement des outils d’accès à Internet. Les autorités ont essayé de garantir que personne ne reste à l’écart », estime le chercheur.

« Certains de mes amis n’ont pas vu leurs camarades de classe ou leurs professeurs depuis deux ans et eux détestent le nouveau système. »

Seo Min-seok
Étudiant en art

Un constat que ne partage pas entièrement Seo Min-seok, étudiant à l’Université nationale d’art de Corée. « J’étudie dans un établissement public qui fait son possible pour que tout le monde ait accès aux cours, mais certaines personnes connaissent des difficultés pour accéder à l’enseignement numérique, comme celles souffrant de handicap ou celles ne disposant pas des moyens financiers suffisants. » Malgré ces critiques, il se déclare plutôt satisfait de l’enseignement en ligne. Sa situation reste spécifique, car, étudiant en art, il a continué à bénéficier de ses cours de pratique en présentiel. « Certains de mes amis n’ont pas vu leurs camarades de classe ou leurs professeurs depuis deux ans et eux détestent le nouveau système. »

Un sentiment mitigé qui reflète les études menées par Cornelius Kalenzi. « Les premières enquêtes montraient que 50 % des élèves étaient favorables au numérique, notamment pour des raisons pratiques, se rappelle-t-il, tout en soulignant que désormais le concept a gagné de nouveaux adeptes. Les élèves n’ont plus à se déplacer, les professeurs non plus, et petit à petit le concept a gagné en popularité. »

À lire aussi

Système hybride

Du côté de l’élémentaire et du secondaire, les situations varient et les conclusions avec. Le ministère de l’Éducation n’a pas appliqué de manière uniforme le passage au tout numérique. « Certains collèges ont donné tous leurs cours en ligne, d’autres ont continué avec une part de présentiel en effectuant des roulements », souligne Cornelius Kalenzi. Si le gouvernement en pleine transition de pouvoir — le nouveau Président prendra ses fonctions le 10 mai prochain — n’a pas souhaité répondre à nos questions, la nécessité de ne pas alourdir la fracture numérique semble être une piste d’explication. En pleins travaux de rénovation, certains établissements avaient la capacité d’offrir une éducation en ligne et d’autres non. 

Finalement, cette méthode hybride a été adoptée par les universités depuis l’allègement des restrictions sanitaires fin 2021. Désormais, les cours se déroulent en présentiel, mais sont toujours filmés afin de pouvoir assurer une continuité dans l’éducation des élèves testés positifs au Covid-19 ou résidant à l’étranger. Du fait de l’impossibilité de voyager, des étudiants japonais ou chinois poursuivent leur cursus en dehors du pays du matin calme. 

« Si vous observez la tendance en termes d’infrastructures comme de politiques sociales, nous allons vers un monde plus digital. »

Back Dan-bee
Enseignante à KAIST

Un système destiné à se prolonger. Car comment supprimer subitement les bienfaits du numérique ? Comment expliquer à un professeur qu’il doit de nouveau effectuer les deux heures de train qui le séparent de son université plutôt que de donner cours dans son salon ? Dans un pays où les prix de l’immobilier grimpent en flèche, de nombreux Coréens sont éloignés de leur lieu de travail. « Nous sommes à un moment charnière, et j’imagine que nous allons essayer de lier les avantages des cours en ligne avec ceux du présentiel, prédit Back Dan-bee. Si vous observez la tendance en termes d’infrastructures comme de politiques sociales, nous allons vers un monde plus digital. » Un projet qui ne serait pas mis en danger par l’alternance politique, car cette priorité semble partagée par les deux grands partis du pays. Pour madame Back, l’un des symboles est la possibilité d’une fusion entre le ministère de l’Éducation et celui des sciences et technologies évoquée par le prochain Président, Yoon Seok-yeol.

Pour l’inauguration d’un nouveau lieu dédié à l’EduTech, l’organisme gouvernemental KERIS a aussi fait une cérémonie dans le metaverse. (© KERIS)

Le metaverse fait débat

L’ambition n’est d’ailleurs pas de s’arrêter à un système hybride. Si pour l’instant le présentiel reste pertinent, car certaines matières ne se prêtent pas à l’enseignement à distance, le metaverse apporte une solution partielle à l’équation. Et le mot fascine en Corée du Sud, à l’image de la démarche d’Oh Se-hoon, le maire de Séoul, qui s’est empressé de doter la ville de sa propre plateforme de réalité virtuelle. « Les autorités sud-coréennes sont convaincues que le metaverse peut changer la manière d’enseigner, juge Dan-bee. Les élèves coréens sont excellents en mémorisation ou en calcul, mais beaucoup moins en présentation ou en débats, notamment du fait d’une certaine timidité, et le metaverse pourrait les aider à être plus proactifs. » Une idée assez répandue selon elle au sein du ministère de l’Éducation comme de la population.

En décembre 2021, une étude montrait que 51 % des demandeurs d’emploi sud-coréens s’estimaient prêts à effectuer des entretiens dans le « K-metaverse ». « Cette technologie est très en vogue, mais elle reste lointaine et il sera nécessaire de trouver un équilibre entre innovation et la capacité des élèves et enseignants à s’y adapter », tempère Cornelius Kalenzi.

« Il y a un manque de réflexion sur les effets des innovations technologiques mises en place. C’est une société qui s’analyse assez peu. »

Benjamin Joinau
Professeur d’anthropologie culturelle à Séoul

Mais s’il est un pays où l’arrivée du metaverse dans les écoles semble plus probable qu’ailleurs, c’est bien celui du matin calme. « Il y a un manque de réflexion sur les effets des innovations technologiques mises en place. C’est une société qui s’analyse assez peu, analyse Benjamin Joinau, professeur d’anthropologie culturelle à l’université Hongik de Séoul. Il y a assez peu de débats éthiques, de questionnements autour de cette modernité. » Contrairement à la France, le passage à l’enseignement en ligne n’a pas été accompagné de critiques sur les effets néfastes d’une trop longue exposition aux écrans chez les enfants. Dans une Corée du Sud où l’importance de l’éducation a pris une place extrême, la priorité était la poursuite de l’enseignement. Avec 50 heures hebdomadaires, les élèves sud-coréens travaillent plus que dans n’importe quel autre pays de l’OCDE. « Lorsque l’on est dans une logique de faire étudier les enfants de 6h30 à minuit, le temps passé devant les écrans ce n’est pas la préoccupation centrale », résume Benjamin Joinau.

Néanmoins, si les effets du passage au digital ne sont pas remis en cause, leurs bénéfices potentiels n’échappent pas aux élèves de l’université. « Certains étudiants commencent à se mobiliser pour faire valoir que nous n’avons pas la même éducation qu’avant le Covid, et donc nous considérons que nous ne devrions pas payer le même prix », raconte Minseok.

Une année à l’université coûte entre 8 000 et 15 000€, soit entre 25 et 48 % du salaire moyen. Cette charge considérable pour les ménages sud-coréens devrait pouvoir être allégée à l’avenir selon Cornelius Kalenzi : « Ce virage drastique vers l’éducation numérique a considérablement fait baisser les coûts pour les universités. Cela devrait se répercuter sur les frais de scolarité. » À voir désormais si les autorités souhaitent accompagner leur révolution digitale par une chute du coût de l’enseignement.

À lire aussi

Article rédigé par