Avec ses livres de cuisine inspirés de de l’imaginaire et de la culture pop, Thibaud Villanova marque de sa patte la gastronomie. À l’occasion de la sortie de son dernier Gastronogeek ce 6 avril, nous avons cuisiné ce fin gourmet.
Dessins animés, séries cultes, Zelda… Vos livres Gastronogeek puisent leurs recettes de la pop culture. Pourquoi cet univers est-il une mine d’inspiration ?
C’est marrant, je n’ai jamais vu les choses comme ça. Pour moi, c’est plus une évidence. J’ai toujours été passionné par la gastronomie et la pop culture, et je voulais en faire mon métier. Cet univers est devenu ultra mainstream – et je ne le dis pas d’une façon négative, c’est factuel. Aujourd’hui, je peux parler de Walking Dead à n’importe qui et tout le monde sait de quoi je parle. Quand j’avais 15 ans, ce n’était pas la même sauce. Les geeks passaient pour des gens bizarres, qui bronzaient à la lumière de leur ordi devant World of Warcraft et qui n’étaient pas très sérieux, car la pop culture était considérée comme du divertissement.
Puis des phénomènes comme Game of Thrones, Harry Potter, ou encore Star Wars ont fait changer les choses. Quand on regarde tous ces classiques, on se rend compte que la gastronomie est très présente et qu’ils mangent tout le temps. En même temps, il y a un lien naturel de l’humain à la nourriture (surtout en France). Il suffit de regarder Le Seigneur des Anneaux : les dizaines de premières pages de La Communauté de l’Anneau ne parlent que des Hobbits et de leurs habitudes alimentaires. En tirant ce fil, je me suis rendu compte que c’était le cas dans de nombreuses œuvres, des banquets de Harry Potter à la cherry pie de Twin Peaks.
Comment sélectionnez-vous les recettes parmi toutes ces œuvres ?
Quand j’ai fait Gastronogeek 1, les livres de recettes qui s’inspiraient des romans et des œuvres existaient, mais je suis le premier à l’avoir fait de cette manière, en creusant les références à fond, en mobilisant un photographe culinaire et en recréant des décors pour raconter des histoires à travers mes photos. Dans mon premier livre, j’ai dû sélectionner 15 menus (entrée, plat, dessert) sur des centaines et des milliers de possibilités. Alors j’ai choisi les références les plus iconiques, celles que je connaissais par cœur et avec lesquelles j’ai grandi. J’ai commencé avec Star Wars, Le Seigneur des Anneaux, Harry Potter et Superman. Puis je me suis dit que dans chaque chapitre, j’allais aussi mettre des œuvres vraiment pas mainstream pour montrer à cette commu pop culture que je ne suis pas un marketeux et que j’avais un vrai projet. Donc j’ai ajouté La Nuit des morts-vivants, Doctor Who, Hellboy…
Quelle est votre méthode de travail ? Vous vous inspirez de recettes déjà existantes ou vous proposez uniquement des créations originales ?
J’ai besoin de connaître à fond les références pour les exploiter. Soit je les connais déjà par cœur, soit je les binge à fond pour devenir incollable. Depuis que je suis petit, je ne dors pas plus de cinq heures par nuit, donc je profite de ces très longues journées pour travailler, lire, et regarder des séries et films. Pour mes recettes, je fonctionne beaucoup avec le concept de palais mental : j’ai une bibliothèque de goûts, d’ingrédients, de saveurs, de techniques…
Si on prend l’exemple de Stranger Things et de leurs fameuses gaufres, je sais que ce sont des Eggo – des produits surgelés vraiment pas bons. On sait faire de super gaufres (de Liège, de Bruxelles, à la française…), mais les Américains aussi. Je vais regarder où se déroule l’action de Stranger Things pour lire les recettes des chefs et des mamans de cette région et comprendre leur process. Ils utilisent beaucoup de produits alimentaires intermédiaires, industrialisés, beaucoup d’arômes, de poudre levante… Donc je vais me les réapproprier pour proposer quelque chose de plus sain, mais qui reste dans le sens de la recette originale.
Ça, c’est ma technique pour reproduire les plats que je vois dans les œuvres. Mais il m’arrive aussi d’en inventer de A à Z en m’inspirant de la série et en me demandant ce que pourraient manger les personnages. Par exemple, pour Superman, je n’ai pas trouvé de plat identifié. Clark Kent n’a jamais dit : “Ohlala, je me pèterais bien le ventre avec un chili con carne” ! Donc j’ai créé un narratif en me demandant ce qu’il pourrait manger. Il a commencé à avoir ses pouvoirs quand il vivait encore chez Jonathan et Martha à Smallville : quels fruits et légumes sont produits là-bas ? De l’abricot, mais aussi des amandes. Alors j’ai inventé une Tatin avec une croûte épaisse et bien caramélisée. J’y ai ajouté du romarin pour un peu d’originalité et, en plus, ils en font aussi dans la région. Donc c’était parfait.
Quelle recette a été la plus difficile à retranscrire ?
Le premier livre a été le plus dur à réaliser parce que j’étais un bon cuisinier, mais amateur. Quand il est sorti et qu’il a rencontré ce succès, quelqu’un a sonné à ma porte : c’était le syndrome de l’imposteur. Il m’a dit : “Salut, je vais m’installer là, on va passer du temps ensemble bonhomme”. Je me suis mis à cuisiner six à huit heures par jour. Je voulais faire une recette sur Doctor Who qui soit déconstruite et typiquement anglaise. J’ai pensé au fish & chips : il me fallait tous les traceurs gustatifs, mais ça ne devait pas y ressembler. Ça a été une souffrance parce que tant que je n’avais pas le dressage que je voulais, on ne pouvait pas faire la photo. Je nous ai fait prendre des semaines de retard. Au final, les gens étaient contents, mais ça a été le truc le plus dur à faire. Après cet épisode, j’ai compris quelles étaient les limites et les contraintes de la création.
Quel univers de la pop culture est le plus adapté à la cuisine ?
Harry Potter. Les plats de Molly Weasley, les banquets dans l’école, les repas de l’association des elfes de maison dans les tomes 3 et 4, la rencontre entre Harry et Ron dans le Poudlard Express avec le chariot de friandises, la mythique bièraubeurre, la mélasse… Si on part dans l’univers plus global, on retrouve aussi toute cette gastronomie dans Les Animaux fantastiques. Norbert Dragonneau échange sa mallette avec un moldu, Jacob Kowalski, qui veut ouvrir une boulangerie et sa sacoche est pleine de babkas polonaises… Finalement, tout tourne autour de la nourriture !
Le Meilleur Pâtissier, Top chef, Tous en cuisine… Que ce soit à la télé ou sur les réseaux sociaux, la cuisine est une vraie tendance. Comment expliquez-vous ce phénomène ?
Il y a un boom parce qu’on sait mieux la filmer et qu’on récupère beaucoup de formats américains, comme Top chef. Mais en réalité, la cuisine s’est invitée dans la télévision française depuis les années 1960. Ça remonte à Bocuse et sa team de très grands chefs. C’était toute une génération de la grande gastronomie et de la nouvelle vague de la cuisine française. Ensuite, il y a eu Maïté, une restauratrice du Sud-Ouest qui a plu (notamment) grâce à son caractère. On a aussi vu Guy Job et Joël Robuchon, une légende de la gastronomie qui a longtemps été l’homme le plus étoilé du monde. Et il voulait démocratiser cet univers à travers ces émissions. On a toujours vu la cuisine à la télé, mais les Anglo-Saxons et les Japonais ont fait plein de shows qui ont inspiré les Français.
Les compétitions culinaires parlent forcément à la France, qui est LE pays de la gastronomie. En 2014, toutes les chaînes de télé avaient leur émission de cuisine. Quand je regarde Top chef, je me dis qu’on a sacrément évolué entre la première et la dernière saison. On a laissé de côté l’aspect très téléréalité des Américains pour proposer un programme ultraqualitatif avec une cuisine et des plats de dingue réalisés par les chefs. Aujourd’hui, on donne des leçons au monde entier. Pourquoi il y a un intérêt aussi fort pour ces contenus ? Parce qu’on aime manger, parce que ça fait rêver, et parce qu’on se dit qu’on peut aussi le faire.
Vous filmez d’ailleurs vos recettes sur Twitch depuis deux ans. Quel réseau social est le plus adapté au partage de la cuisine ?
Sur Instagram, on partage des photos et on montre le produit fini, mais on ne peut pas le transmettre. Sur Twitch, on est dans l’instantané. Après, ce n’est pas le même matériel : il faut une cuisine, un matos, du bon son… Mais c’est du direct et on peut montrer, expliquer et communiquer de manière plus directe que sur Instagram. L’interface est vraiment super et permet même de balancer des liens dans le chat et de réagir. Je ne sais pas ce qui est objectivement le mieux, mais je suis clairement plus à l’aise sur Twitch. Aujourd’hui, je passe entre 20 et 25 heures en live par semaine sur cette plateforme et je m’y sens bien pour créer, communiquer et répondre aux questions.
Vous vous souvenez de votre pire souvenir en cuisine ?
La recette du gâteau au monstre de Zelda, filmée et documentée sur ma chaîne YouTube. Une vraie souffrance. Mon fils était en train d’arriver et je bossais énormément pour mettre un peu d’argent sous le matelas. J’étais à bout et en plein burn-out, mais j’étais dans le déni, car je me disais que je n’avais pas le temps pour ça. Le samedi, au lieu de me reposer, j’allais au studio pour filmer des vidéos. Ce jour-là, je n’ai pas eu le temps de potasser la recette mais il fallait que je la fasse car l’algo de YouTube est un cercle vicieux : si tu ne postes pas régulièrement, tu n’es pas mis en avant et les gens ne voient pas tes vidéos. Des potes m’aidaient à filmer mais je faisais toute la postproduction seul. Bref, j’ai fait la vidéo, mais ma recette n’était pas au point, mon gâteau n’a pas du tout rendu, la crème ne montait pas alors que j’ai fait des centaines de chantilly… C’était bon, mais ce n’était pas beau.
C’était à des années-lumière de ce que j’avais en tête et le rendu ne me plaisait pas. Je l’ai quand même publiée parce qu’il fallait absolument que je sorte des trucs. Quelques semaines après, j’ai reconnu mon burn-out, j’ai été aidé et j’ai eu six mois d’arrêt durant lesquels j’ai beaucoup cuisiné, j’ai déménagé et j’ai pris de la distance. À partir de ce moment, je me suis dit que je ne publierai plus si c’était pour créer des choses viscérales ou douloureuses. Je suis sorti de ce burn-out et j’ai laissé cette vidéo sur ma chaîne parce que c’est un témoin de cette période.
Quelles sont vos recettes préférées de votre nouveau livre, Petits meurtres en cuisine ?
Il y en a plein : certaines viennent de vieilles séries, d’autres de plus récentes. Mais je dirais le poulet au curry de Sherlock Holmes, parce que c’est l’un de mes premiers souvenirs de romans. Mes parents voulaient absolument que je lise du classique et compagnie, mais ma mère adorait aussi les romans policiers comme Agatha Christie ou les Conan Doyle. Je me rappelle du poulet au curry de Mrs Hudson dans l’aventure du traité naval. La recette était très cool à reproduire parce que je l’ai assaisonnée avec les goûts et les connaissances du XIXe siècle. Il y a aussi celles d’Hercule Poirot avec les sandwichs d’Elinor Carlisle et le christmas pudding. C’est des recettes très old school, mais ce sont des madeleines de Proust qui me ramènent à mon enfance.