Après les Libertines, les Babyshambles et les Puta Madres, Peter Doherty s’offre une échappée réussie grâce au compositeur français Frédéric Lo. The Fantasy Life of Poetry & Crime annonce une nouvelle étape rafraîchissante pour le rockeur anglais.
On l’avait laissé avec son dernier projet, les Puta Madres, et entre deux tournées des Libertines. Une pandémie et un arrêt définitif des drogues plus tard, Peter Doherty revient avec un nouvel album ; un projet à cœur ouvert qui respire la rédemption et les étincelles d’une nouvelle étape artistique. Le chanteur s’est entouré, pour cet album, du compositeur, arrangeur et producteur Frédéric Lo – connu entre autres pour ses collaborations avec Daniel Darc, Alex Baupain, Stephan Eicher ou encore Bill Pritchard. L’élégance de la musique de Lo se mêle parfaitement à la poésie des textes et à la voix délicate de Doherty. Et cette alchimie fait de The Fantasy Life of Poetry & Crime l’un des meilleurs albums du moment.
Composé en Normandie
En juillet 2020, alors qu’il travaille à un album-hommage à son défunt ami Daniel Darc, Frédéric Lo débarque à Étretat après avoir déniché l’adresse de Doherty. Il a une idée en tête : il veut convaincre Doherty, qu’il a déjà croisé une dizaine d’années auparavant, de reprendre une chanson de Darc en anglais. Il lui propose deux morceaux, mais c’est Inutile et hors d’usage (de l’album Crèvecoeur, 2004), transformé en Without Use and All Used Up, qui s’impose. « Au début, il n’avait pas compris que c’était ma musique », se rappelle, amusé, le compositeur qui a accepté de répondre à nos questions. Après l’enregistrement de la chanson, c’est autour d’une bouteille de champagne que Doherty, qui a alors du mal à écrire de nouveaux morceaux, demande à Lo de poursuivre leur collaboration artistique.
L’Anglais de 43 ans et le Français de 57 ans passent le confinement de l’automne 2020 à enregistrer cet album dans la maison Cateuil, à Étretat – ce sublime manoir du XIXe siècle qui figure sur la pochette de l’album et dans le clip éponyme. Invitée principale de l’enregistrement de l’album, la pandémie ne s’y fait donc pas oublier : on la retrouve dans le dernier morceau, Far From the Madding Crowd, dans lequel Doherty déplore la fermeture des bars, des clubs et festivals. Durant plusieurs semaines, les deux artistes se retrouvent ainsi quotidiennement autour de la table de la cuisine pour des sessions d’écriture. « Ça s’est fait d’une manière très naturelle, comme deux personnes qui se rencontrent et ont le même amour pour la musique », se remémore le compositeur. Pour la première fois donc, Doherty se concentre exclusivement sur les textes, et Lo compose, comme il le faisait déjà avec Daniel Darc. En résulte un album aussi mélancolique que joyeux. Frédéric Lo parle d’ailleurs d’une certaine « mélancolie lumineuse ».
« J’aime que ça soit contrasté. Comme une belle photo en noir et blanc. C’est une mélancolie vivante. »
Frédéric Lo
Digne successeur de Grace/Wastelands
Doherty livre ici le digne successeur de son album Grace/Wastelands (2009). Frédéric Lo reconnaît d’ailleurs ne pas avoir particulièrement écouté les Libertines ou les Babyshambles, mais être tombé sous le charme de l’album solo du rockeur. La tracklist de ce nouvel album est ainsi d’une habilité déconcertante, alternant entre les bouffées pop – à l’image de You Can’t Keep It From Me Forever, Keeping Me on File – et les chansons plus calmes et mélancoliques façon Doherty. De quoi plaire aux puristes qui ne jurent que par Grace/Wastelands !
Frédéric Lo liste d’ailleurs avec beaucoup de plaisir les références musicales communes des deux artistes : en première place, les Smiths, mais aussi les Cure et les Beatles. Viennent ensuite les auteurs français : Maurice Leblanc, le père d’Arsène Lupin et figure symbolique d’Étretat, première source d’inspiration de l’album, mais aussi Victor Hugo, mentionné par le chanteur dans le disque, et dont les pléiades disposées dans la maison Cateuil ont accompagné l’enregistrement.
Au-delà des références, les démons du Likely Lad ne sont jamais bien loin : dans The Monster, il raconte ainsi la difficulté à se détacher de la drogue. Les violons rendent le morceau particulièrement touchant. « La vie est tendre, belle et violente », chante-t-il ensuite. Comme dans The Ballad of et Yes I Wear a Mask – morceau pourtant écrit à visage découvert – où l’Anglais évoque ses tourments, la rédemption et avoue chanter « the sweatest sadest song ». Dans Abe Wassenstein, Doherty rend hommage à un ami disparu, très probablement Alan Wass – compère de ses premières années londoniennes. Le piano, les cordes et les cuivres y sont omniprésents : exit la guitare électrique, bonjour la folk. Bien sûr, on retrouve aussi des refrains entraînants qui fonctionnent parfaitement, comme dans Invictus et le premier single, The Fantasy Life of Poetry & Crime.
« J’avais l’impression d’avoir 15 ans, de réaliser que je travaille avec quelqu’un avec qui j’ai beaucoup en commun. Sauf qu’on a plus 15 ans », ajoute Lo. Le sixième morceau, Rock & Roll Alchemy, résume d’ailleurs cette rencontre et sa dimension salvatrice : « You’re like a brother to me at the end of the song ». Alors « l’enfant terrible » – désormais assagi – aurait-t-il fait sa meilleure rencontre depuis Carl Barât ? Plus d’un an et demi après le début de leur collaboration et quelques heures avant la sortie de l’album, Frédéric Lo en était, pour sa part, convaincu : « C’est peut-être exagéré, mais j’ai un peu l’impression que tout ce que j’ai fait avant était fait pour arriver à ce moment-là. » Indéniablement, les 12 morceaux de The Fantasy Life of Poetry & Crime en témoignent !