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La métamobilité, ou comment le métavers permettra d’être partout à la fois – ou pas

18 février 2022
Par Marion Piasecki
La métamobilité, ou comment le métavers permettra d’être partout à la fois - ou pas
©Institut PPrime

Au dernier CES, l’entreprise sud-coréenne Hyundai a voulu en mettre plein la vue avec le concept de métamobilité, c’est-à-dire le fait d’accomplir des tâches à distance dans le monde réel par le biais du métavers. Une technologie qui n’est pas prête de se démocratiser auprès des particuliers. Explications.

En France, l’institut CNRS PPrime, rattaché à la faculté des sciences de Poitiers, comporte un laboratoire de robotique qui travaille depuis plusieurs années sur la manipulation de machines à distance (téléopération) grâce à la réalité virtuelle et aux jumeaux numériques. Nous l’avons visité.

Qu’est-ce que la métamobilité ?

La métamobilité, terme utilisé par Hyundai, est une forme de téléopération. Il s’agit d’utiliser la réalité virtuelle et le métavers pour accomplir des tâches qui seront reproduites à distance dans le monde réel. Par exemple, l’institut PPrime a réussi à modéliser une machine et à en prendre le contrôle depuis l’autre bout du bâtiment. Les scientifiques utilisent pour cela des jumeaux numériques : « C’est une copie virtuelle d’un environnement physique qui est physiquement réaliste, c’est-à-dire qu’elle pourra reproduire le comportement d’un robot ou d’une ligne de production. On peut ensuite s’y déplacer et faire des tests », explique Célestin Préault, ingénieur et post-doctorant à l’institut. Comme ces exemples le montrent, ce type de technologie est avant tout pensé pour l’industrie : avant l’implantation d’une usine, des entreprises pourraient demander la création d’un jumeau numérique pour l’explorer en réalité virtuelle.

La personne voit la machine en réalité virtuelle et peut la contrôler à distance.

L’utilisation pédagogique est aussi à l’étude : utiliser un jumeau numérique d’un environnement de laboratoire permet de former les étudiants à des dispositifs qu’ils n’ont pas en salle de cours ou de faire faire la même manipulation simultanément à plus d’élèves. Célestin Préault donne pour exemple des étudiants en chimie : « Ils devaient faire une expérience avec des substances dangereuses, comme l’acide sulfurique, qui nécessitent beaucoup de préparation et de vérifications. Nous avons eu de très bons retours des professeurs car, après avoir fait l’expérience sur un jumeau numérique, les étudiants avaient moins d’appréhension quand ils devaient faire l’expérience en vrai. »

La métamobilité est également envisagée pour l’exploration de lieux hostiles aux êtres humains. Hyundai avait évoqué la possibilité, à l’avenir, d’envoyer des robots dans l’espace à la place d’astronautes. Kathleen Belhassein, chercheuse en psychologie spécialisée dans l’interaction humain-robot, estime que ce n’est pas si différent de la relation qu’ont déjà les pilotes de la NASA avec des rovers comme Curiosity et Perseverance« Ces personnes doivent apprendre à “être” le rover, c’est-à-dire s’imaginer comment il peut se déplacer et visualiser l’emplacement des caméras, des panneaux solaires et des capteurs. » À l’institut PPrime, pas de projet ayant trait à l’exploration spatiale, mais un prototype de main robotique conçue pour de la motricité fine. Son but : permettre de faire de l’archéologie sous-marine à des profondeurs impossibles à atteindre par des êtres humains.

Lors de sa présentation, Hyundai était allé encore plus loin avec une utilisation de la métamobilité jusque dans nos foyers : être en vacances et, grâce au métavers et à l’utilisation d’un robot-avatar, nourrir et caresser son chien resté à la maison. Nous en sommes encore loin, au point que Kathleen Belhassein et Célestin Préault ne peuvent pas donner d’échelle de temps pour la démocratisation de ce type de technologie. « J’espère que nous serons encore en vie pour le voir ! réagit Kathleen Belhassein. Il y a quand même énormément de travail, notamment au niveau éthique, à faire autour de ça. » Célestin Préault tempère également : « Il faut se souvenir que, pour la réalité virtuelle, ça a commencé au milieu des années 1990 pour la recherche matérielle et ça ne perce que maintenant… » La métamobilité est en effet un sujet de recherche très récent, apparu il y a cinq ans environ, donc il faudra sans doute attendre plusieurs décennies pour la voir se développer. D’autant plus qu’il existe de nombreux blocages.

Pourquoi ce n’est pas pour tout de suite ?

Le premier obstacle est bien sûr technique. Dans l’industrie, les robots sont généralement dans des cages pour éviter les accidents, ils ne sont pas faits pour partager le même espace qu’un humain et coopérer directement. Même s’il est contrôlé à distance par un être humain, un robot se déplacera et aura un « langage corporel » différent des humains, ce qui pourrait compliquer la compréhension entre humains et robots, donc leur capacité à coopérer sur des tâches. À l’heure actuelle, il est plus efficace d’avoir soit une ligne de production robotisée, soit des humains qui travaillent ensemble.

L’aspect financier est également au coeur du problème. Les chercheurs obtiendront sûrement plus de financements grâce à l’intérêt grandissant qu’ont les grandes entreprises pour le métavers, mais ce type de technologie restera onéreux pour les particuliers. Les robots humanoïdes qui existent aujourd’hui coûtent plusieurs milliers d’euros et une des manettes haptiques (qui reproduisent le sens du toucher) du laboratoire PPrime coûte même plusieurs dizaines de milliers d’euros. Ce type d’investissement pourra être possible pour de grandes entreprises, mais pas pour la majorité des particuliers.

Le côté juridique et éthique pose aussi question, surtout en cas d’erreur ou d’accident : qui sera responsable ? L’utilisateur ? Le fabricant du robot ? Les personnes qui ont créé le jumeau numérique ? Ce type de problématique n’est pas nouveau, puisqu’il est déjà en cours de réflexion pour les véhicules autonomes. Le mois dernier, la Commission des lois britannique et écossaise a par exemple recommandé que le fabricant soit tenu pour responsable si un véhicule autonome a un accident. En faisant des actions à distance, par exemple dans le métavers, la responsabilité individuelle est aussi perçue différemment, ce qui pose des questions éthiques : « Nous voyons déjà cela avec les militaires et les drones, explique Kathleen Belhassein. On a tendance à penser que leur responsabilité n’est pas si élevée parce qu’il y a un écran entre l’humain et l’action. C’est la “guerre propre” : le militaire tue, mais il ne s’en rend pas vraiment compte. Ce n’est pas vrai du tout, c’est même pire pour lui, parce qu’il sait qu’il a tué mais on lui enlève le lien social et la capacité d’empathie. Ces militaires ont des traumas qui sont complètement invisibilisés. »

Il existe enfin un blocage psychologique, surtout pour les particuliers. « Il y a la question de l’acceptabilité de la machine chez nous et de la perte de lien social. On crée aussi d’autres problèmes après, avertit Kathleen Belhassein. Surtout en Occident. Dans les cultures asiatiques, les robots sont vus différemment, ils les aiment bien. Pour les particuliers, les robots de service ressembleront beaucoup aux humains et, en Occident, on ne va pas l’accepter. Il y a une certaine méfiance et une peur autour de cela. »

Pour surmonter ces différents obstacles, la chercheuse souligne l’importance de l’interdisciplinarité : « Pourquoi nous commençons maintenant à avoir des sciences humaines et sociales qui rentrent dans ces domaines de l’ingénierie et de la robotique ? C’est pour poser des limites. C’est normal pour les chercheurs et les ingénieurs de vouloir aller toujours plus loin. C’est là où l’interdisciplinarité et le dialogue avec des experts en psychologie, en ergonomie ou en philosophie ont leur importance. Nous venons pour apporter notre connaissance de l’esprit humain, pour prévenir les biais et les dérives. »

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Article rédigé par
Marion Piasecki
Marion Piasecki
Journaliste