Entretien

Les films de Félix Moati

14 février 2022
Par Félix Tardieu
Félix Moati dans "La Vraie Famille" de Fabien Gorgeart
Félix Moati dans "La Vraie Famille" de Fabien Gorgeart ©Cédric Sartore

Chaque mois, un·e artiste (acteur·rice, auteur·rice, chanteur·se…) partage avec L’Éclaireur une dizaine d’oeuvres qui l’ont particulièrement touché·e, pour différentes raisons, à différentes époques de sa vie. Ce mois-ci, c’est l’acteur et réalisateur Félix Moati qui se prête au jeu.

Révélé en 2009 dans LOL (Laughing Out Loud) de Lisa Azuelos, Félix Moati est rapidement devenu une des figures montantes du cinéma français. Son rôle dans Télé Gaucho (2013) de Michel Leclerc – il apparaît d’ailleurs dans son prochain film, Les goûts et des couleurs, au cinéma le 22 juin prochainlui vaut une première nomination au César du meilleur espoir. Il s’illustre ensuite dans des films tels qu’Hippocrate (Thomas Lilti, 2013), À trois on y va (Jérôme Bonnell, 2015), Gaspard va au mariage (Antony Cordier, 2018) ou encore Le Grand Bain (2018) de Gilles Lellouche

Rebecca Marder et Félix Moati dans Les goûts et des couleurs, le prochain film de Michel Leclerc, en salles le 22 juin 2022 © Pyramide Distribution

En 2019, il passe lui-même à la réalisation avec un premier film sincère et touchant, Deux fils, avec Benoît Poelvoorde, Vincent Lacoste et Anaïs Demoustier. En 2020, Félix Moati est également remarqué pour son rôle dans la mini-série Arte No Man’s Land, où il campe un homme partant en Syrie à la recherche de sa soeur (Mélanie Thierry) déclarée morte à la suite d’un attentat en Égypte. À l’aise dans tous les registres, l’acteur de 31 ans est monté en 2021 sur les planches aux côtés de Vanessa Paradis et Eric Elmosnino dans Maman de Samuel Benchetrit. Nous l’avons rencontré à l’occasion de la sortie de La Vraie Famille (en salles le 16 février) de Fabien Gorgeart, où il partage une nouvelle fois l’affiche avec Mélanie Thierry et incarne un jeune homme désireux de récupérer la garde de son fils, placé cinq ans plus tôt par l’Assistance sociale dans la famille d’Anna (Mélanie Thierry).

Quel(s) film(s) vous a (ont) donné envie de faire du cinéma ? 

Mon premier rapport au cinéma, ce sont ces films « du dimanche soir » que l’on regarde dans le salon en mangeant du poulet rôti, comme Le Fugitif (1993) avec Harrison Ford. C’est un film qui me fascinait parce que j’étais très ému par le fait qu’un innocent se fasse pourchasser. C’est un thème qui a continué à beaucoup me toucher, par exemple chez Alfred Hitchock et La mort aux trousses (1959). Ce qui a ensuite constitué ma cinéphilie, ce sont les films Woody Allen, notamment Crimes et délits (1990), un film qui me renseigne sur mon rapport moral. Je partage en tout point la définition de la morale selon Woody Allen – à savoir qu’il n’y en pas, que seuls comptent nos actes et comment on investit le monde.

Harrison Ford dans Le Fugitif d’Andrew Davis©Warner Bros France

Puis il y a évidemment Martin Scorsese, Sidney Lumet, Coppola, Truffaut… Chez Scorsese, il y a Mean Streets (1976), qui me touche beaucoup par sa vitalité. Chez Coppola, c’est essentiellement Conversation secrète (1974). Il y a aussi beaucoup de John Cassavetes comme Husbands (1972) ou Meurtre d’un bookmaker chinois (1976). Ce qui me touche chez Cassavetes, c’est sa manière de décliner de film en film le sentiment amoureux et une certaine vision de la masculinité à laquelle j’arrive à m’identifier. 

Si vous ne pouviez voir qu’un seul film en boucle, lequel serait-ce ?

Crimes et délits (1990) de Woody Allen, sans aucune hésitation. Je le connais par coeur. 

Une scène qui vous glace le sang ?

Il y a une scène de L’armée des ombres (Jean-Pierre Melville, 1969) où ils (ndlr Philippe Gerbier, interprété par Lino Ventura, et ses acolytes de la Résistance) doivent exécuter un traître. On sent que ça leur pèse moralement car ce ne sont pas des gens qui veulent arracher la vie. Ils sont précisément partisans de la vie et ça leur pèse d’ôter la vie de ce jeune homme, aussi traître soit-il. Ils ont une discussion très froide sur comment le tuer sans faire de bruit. À chaque fois, cette scène me glace le sang dans ce qu’elle apporte de dilemme moral et de sauvagerie concrète.

L’Armée des ombres de Jean-Pierre Melville, adapté de l’oeuvre de Joseph Kessel ©STUDIOCANAL/Fono Roma

Le film qui vous touche le plus ?

La Dolce Vita (1960) de Fellini m’émeut et me secoue énormément. C’est un film sur l’évanescence de toutes choses, l’illusion de vivre une vie douce alors qu’elle n’est que mélancolie et désagrégation. La scène où le personnage de Marcello Mastroianni apprend que son ami Steiner (Alain Cuny), à qui il conférait une droiture morale, a assassiné toute sa famille, me bouleverse complètement. On sent que Mastroianni est à deux doigts de s’effondrer et de basculer dans la folie. Il y a aussi la fin de Manhattan (1979), quand Woody Allen fait la liste des choses qu’il aime. C’est une scène d’une simplicité qui me touche profondément. J’aime beaucoup les scènes où les acteurs sombrent dans des monologues.

Un film que vous avez adoré mais que vous ne reverrez plus jamais ?

Annette (2021) a été assez éprouvant, dans un noble sens. Mais je suis admiratif de tout ce que Leos Carax entreprend dans le film, du début à la fin. Cette vision de la parentalité qu’il expose… Je trouve ça très beau.

Le film que vous devez voir mais que vous n’avez toujours pas vu ?

Le Septième Sceau (1957) d’Ingmar Bergman.

Le film que vous prenez plaisir à revoir mais que vous n’assumez pas du tout ?

J’aime beaucoup la série des Equalizer (Antoine Fuqua) avec Denzel Washington. C’est un acteur que j’adore. Ce n’est pas ce qu’il y a de mieux en terme de cinéma, mais je les regarde plusieurs fois par an avec grand plaisir.

Le réalisateur ou la réalisatrice avec qui vous auriez rêvé de tourner ?

J’aurais rêvé d’un rôle comme celui de Paul Newman dans Le Verdict (1983) de Sidney Lumet. C’est toujours compliqué lorsqu’on voit des films qu’on aime autant, on a pas forcément envie de prendre la place de l’acteur. 

La bande originale que vous réécoutez sans fin.

La bande originale de Conversation secrète (Francis Ford Coppola) composée par David Shire. C’est une bande originale au piano avec un même thème qui revient, c’est magnifique.

Le dernier film qui vous a marqué au cinéma ?

Je viens d’avoir un enfant, donc je ne suis pas allé au cinéma depuis longtemps ! D’autant que je jouais au théâtre le soir dans Maman. En revanche, j’avais adoré La Loi de Téhéran de Saeed Roustayi. J’ai aussi beaucoup aimé Julie (en douze chapitres) de Joachim Trier.

Comment avez-vous abordé votre rôle dans La Vraie Famille ?

Je l’ai abordé avec la candeur du jeune homme que j’étais à l’époque, qui n’est pas père et qui va apprendre à le devenir. Sa maladresse, ses tentatives qui peuvent paraître désobligeantes, presque brusques, sont celles d’un jeune homme qui ne sait pas faire. Il peut apparaître comme un trouble-fait, mais finalement on en comprend les raisons.

La Vraie Famille de Fabien Gorgeart – avec Mélanie Thierry, Felix Moati, Lyes Salem – 1h42 – En salles le 16 février 2022

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Article rédigé par
Félix Tardieu
Félix Tardieu
Journaliste