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IA, 5D… Les nouvelles technologies pour mieux connaître l’art

08 février 2022
Par Pauline Garaude
Un morceau d’une des fresques de Pompéi en cours de restauration.
Un morceau d’une des fresques de Pompéi en cours de restauration. ©DR

Imagerie, intelligence artificielle, numérisation… Ces évolutions technologiques permettent une meilleure connaissance des œuvres d’art et sont utiles à leur restauration, tout comme elles servent à leur authentification et à leur reproduction numérique.

De l’archéologue sur le terrain à la galerie d’art en ligne, les technologies changent la donne, en particulier dans le domaine de la conservation des œuvres d’art, qui regroupe leur étude, leur restauration et leur préservation. Pour identifier la nature des matériaux utilisés, la technique de façonnage, les facteurs venant menacer leur intégrité, les traitements antérieurs appliqués, voire des dessins existants sur lesquels les artistes ont « repeint » et réalisé leur œuvre, les conservateurs ont recours à des technologies toujours plus pointues, faisant appel à l’imagerie et aux analyses chimiques, dont les données fournies sont traitées par des logiciels et, sans surprise, servent à entraîner des algorithmes.

L’intelligence artificielle pour mieux identifier une œuvre

Les techniques d’imagerie (fluorescence, rayons X, infrarouges, balayage spectral…), issues de celles qu’utilisent les scientifiques, servent à identifier les matériaux d’une œuvre, la technique de l’artiste, les « repeints » (restaurations antérieures) et les « sous-couches » éventuelles. Comme l’explique Sophie Lefevre, du département de la communication au C2RMF (centre de recherche des musées de France, au Louvre) : « Ces techniques permettent d’aller de plus en plus en profondeur dans l’œuvre et de révéler des éléments invisibles à l’œil nu. Parfois, un artiste peignait par-dessus un dessin ou peignait une forme différente de celle qu’il avait dessinée à l’origine. Nous avons aujourd’hui de plus en plus de données, et des données de plus en plus précises. » Le traitement de ces données permet ensuite d’établir (notamment) des algorithmes destinés à étudier les images acquises.

Les rayons X ont permis la découverte de ce dessin « caché » sous la toile de Picasso, et le deep learning a reconstitué ses couleurs d’origine.©DR

C’est ainsi que des chercheurs de la University College de Londres ont utilisé en septembre dernier le deep learning pour reconstituer un tableau de Picasso (Le Nu solitaire accroupi) dissimulé sous sa célèbre toile Le Repas de l’aveugle. Si les rayons X ont permis de déceler ce dessin « caché » et d’en identifier la composition, l’IA a permis de le reconstituer avec ses couleurs d’origine. Le principe ? Entraîner un algorithme en le « nourrissant » de dizaines de peintures de Picasso datant de la même époque (la période bleue) pour qu’il « apprenne » le style de l’artiste et le reproduise. Une fois reconstituée, l’œuvre a été imprimée en 3D sur une toile pour un rendu plus réaliste.
En restauration, cette approche mêlant radiographie et intelligence artificielle offre de nouvelles possibilités de recherche pouvant participer à résoudre les défis posés par l’investigation artistique. En témoigne Hélène Dubois, responsable du projet de conservation du Retable de Gand peint par les frères Hubert et le Néerlandais Jean Van Eyck. « Cela nous permet de décrypter des images techniques complexes, de diagnostiquer des compositions superposées ou modifiées, ainsi que des dommages qui ne sont pas apparents en surface. Nous pouvons mieux comprendre les peintures des maîtres anciens et l’information révélée aide les experts à protéger et à restaurer des pièces délicates. »

Robotique et IA : le projet européen RePair

Lancé il y a cinq mois, le projet européen RePair (Reconstructing the Past: Artificial Intelligence and Robotics) aide les archéologues en associant l’IA, la reconnaissance visuelle et la robotique. « Le robot AI-da est le premier robot artiste doté de bras mécaniques associés à un scanner haute définition et à un logiciel de reconnaissance numérique trois dimensions géré par l’IA. Il est capable d’assembler en un rien de temps et de manière autonome des fragments issus d’objets du passé fracturés en multiples morceaux. Cette méthode apporte plusieurs propositions que nous validons ou pas », résume Marcello Pelillo, expert en IA à l’université Ca’ Foscari de Venise et responsable du premier chantier bénéficiaire de cette nouvelle méthode : Pompéi, riche de nombreux vestiges qui ne demandent qu’à être préservés, restaurés ou reconstruits. Grâce au projet RePAIR, deux fresques de renommée mondiale (le nom n’est pas encore dévoilé), composées de milliers de morceaux brisés, devraient être restaurées prochainement.

Un morceau d’une des fresques de Pompéi en cours de restauration.©DR

XpeCAM : une nouvelle ère dans l’imagerie spectrale

« XpeCAM est une solution automatisée permettant aux restaurateurs d’art d’acquérir des données à partir d’une peinture physique et de comprendre quels sont les matériaux présents. Pour ce faire, un dispositif d’acquisition d’imagerie spectrale est utilisé et envoie les images à une plateforme web basée sur l’intelligence artificielle », expose António Cardoso, cofondateur de Signinum, qui a développé cette caméra spectrale portable avec XpectralTEK. À l’Entreprise pour la conservation du patrimoine (ECP), basée à Strasbourg, le scientifique Luc Ellerman utilise la toute dernière génération, la XpeCam 02, sortie en 2021. « Les datas fournies par l’analyse spectrale de l’image sont transmises au logiciel, qui va proposer plusieurs choix au restaurateur. Plus il y a d’analyses et de clichés, plus il y a de réponses possibles et plus le logiciel devient intelligent. L’innovation est importante, car c’est à partir de la data que l’on extrait la connaissance. » Actuellement sur la restauration d’une œuvre contemporaine dont il ne peut dévoiler le nom, Luc Ellerman admet que le protocole de restauration initialement prévu a été complètement revu grâce aux données et aux analyses de ces nouvelles technologies, qui ont permis des options bien plus pertinentes.

La numérisation 5D

Pour une vision précise de l’état des œuvres et garantir leur authenticité, la numérisation fait le bonheur des acteurs du marché de l’art. « En dégageant un “ADN” de l’œuvre d’art mise en vente, la numérisation en 5D, par la précision de ses données (sur le support, les repeints, etc.), offre encore plus de garanties pour l’acheteur sur l’état de conservation de l’œuvre et sur son authenticité. La sécurisation des données de l’œuvre numérisée se fait, elle, via une empreinte digitale numérique qui rend l’original impossible à falsifier », dit-on chez Tajan, qui a été l’une des premières maisons de vente à utiliser cette technologie développée par la start-up suisse Artmyn. Le principe ? Un scanner photographie l’œuvre sous toutes ses coutures, et les milliers de clichés sont numérisés et assemblés par un algorithme. Ce qui permet d’obtenir une image interactive, une vidéo immersive, qu’il est possible de manipuler dans toutes les directions et d’observer sous tous types de lumière (frontale, oblique, rasante, sous rayonnement ultra-violet et sous infrarouges).

Les scanner 5D d’Artmyn.©DR

Une aubaine pour les marchands d’art, qui sont de plus en plus nombreux à utiliser ce scanner implanté en région parisienne depuis un an. « Où qu’ils se trouvent dans le monde, des acheteurs potentiels peuvent ainsi zoomer dans l’œuvre, mais aussi la déplacer, la faire pivoter et la manipuler comme s’ils la tenaient entre les mains – les images 5D permettant de changer la perspective et de modifier numériquement l’angle d’émission de la lumière. La qualité est telle que l’on s’approche des sensations du réel, y compris en termes de luminosité, de texture et de relief », précise Grégoire Debuire, responsable innovation à Artmyn. Pour Matthieu Fournier, directeur associé de la maison Artcurial, « Artmyn et sa technologie innovante nous invitent au cœur des tableaux. Il s’agit d’une formidable occasion de mieux comprendre et de mieux savourer la complexité des chefs-d’œuvre qui passent entre nos mains. Cet outil est une aide fantastique pour s’adapter aux nouveaux usages du monde de l’art ».

À partir de ces images haute résolution numérisées, les contenus numériques peuvent être utilisés à des fins scientifiques ou à destination du public, de l’exposition virtuelle à la réalité augmentée. Et, d’ici peu, comme le prédit Sophie Lefevre du C2RMF, « il y aura certainement dans les musées un QR code à côté de l’œuvre qui fournira au spectateur toutes les données que nous avons pour l’heure en laboratoire. Le spectateur pourra connaître l’original et avoir accès à un tas de connaissances que l’œil nu ne peut voir ».

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Article rédigé par
Pauline Garaude
Pauline Garaude
Journaliste