De basketteur à GO puis humoriste, Édouard Deloignon a fait de son parcours atypique matière à rire. Il nous a accordé une interview à l’occasion de son spectacle (très réussi) Grandira plus tard, et nous avons découvert un artiste solaire, généreux et profondément attaché au plaisir de faire rire.
Avant la scène, vous avez eu 1 000 vies : le basket, l’animation au Club Med, puis le Cours Florent. Comment ces expériences ont-elles nourri votre singularité sur scène ?
Ça s’est fait progressivement, par étape. J’ai toujours eu ce métier dans un coin de ma tête, j’en avais envie, mais je ne savais pas trop comment m’y prendre. Et puis, de petites portes se sont ouvertes. J’ai fait beaucoup de sport, ce qui m’a habitué à être devant du public. Je sentais que la foule ne me stressait pas ; au contraire, plus il y avait de monde, plus ça m’exaltait.
Ensuite, il y a eu le Club Med. Là-bas, tu montes sur scène, on te regarde en permanence, tu dois parler à tout le monde, toujours être souriant et faire rire. En tant qu’animateur, tu as un objectif : faire en sorte que les clients passent une bonne semaine. C’est quelque chose qui me nourrit encore aujourd’hui, en tant qu’humoriste : je veux que les spectateurs sortent de mon spectacle en étant heureux et qu’ils oublient leurs problèmes. Qu’ils soient détendus, comme après des vacances.
Votre spectacle, c’est vraiment une semaine de Club Med condensée en une soirée ! [Rires]
Et en plus, c’est moins cher ! [Rires]
Vous évoquez souvent votre taille comme un trait marquant de votre enfance et de votre adolescence. En quoi votre physique a-t-il façonné votre rapport aux autres, au regard, à l’humour et à votre public ?
Le fait d’être grand ne m’a jamais complexé. C’est étrange, mais je ne m’en rendais pas vraiment compte. Je faisais deux têtes de plus que tout le monde, mais comme je jouais au basket, j’ai traîné avec des mecs de 2,10 m toute mon adolescence. J’ai réalisé cette différence plus tard, en arrivant au Cours Florent. Là, j’ai vu que je dépassais tout le monde. Quand je jouais des scènes avec des filles de 1,60 m et que je devais les embrasser, c’était une galère technique ! Même au cinéma, on est obligé de surélever mes partenaires sur une marche. [Rires] Mais comme j’ai toujours été à l’aise avec ça, je l’ai bien vécu. J’en parle dans le spectacle comme un fait, pas comme un complexe.
Pour certains humoristes, l’humour peut être un exutoire intime. Est-ce votre cas ? Certaines blagues vous permettent-elles d’exprimer des choses plus profondes ou plus graves que ce que l’on perçoit ?
Il y a des sujets que je n’osais pas aborder, comme la maladie de ma mère ou certaines blessures. Mais en faire des blagues sur scène a été libérateur. C’est très bizarre à dire, mais c’est plus facile pour moi d’en parler devant 300 personnes ou 50 inconnus dans un comedy club qu’avec mes potes ou ma famille.
Et puis, à force d’en parler sur scène, c’est devenu un sujet “normal” pour moi. Je pense notamment à la sexualité. Il y a quelques années, je n’aurais jamais raconté ma vie intime. On ne parle pas de ça dans ma famille. Mais le fait de l’aborder dans mon spectacle a rendu ces discussions lambda, même chez nous.
Diriez-vous que l’humour est une manière de vous protéger des événements qui ont bouleversé votre vie ?
J’en parle dans mon spectacle : j’ai été élevé dans la blague. Dans ma famille, on rit de tout, on fait des blagues tout le temps, même sur les pires sujets. Donc oui, j’ai été éduqué comme ça et je gère ma vie de cette manière.
Vous l’avez dit : vous parlez de sujets intimes dans votre spectacle, comme la sexualité ou la maladie de votre mère. Où placez-vous vos limites en tant qu’humoriste ? Y a-t-il des thématiques que vous ne souhaitez pas aborder ?
Je ne me pose aucune limite, mais il y a des sujets qui ne m’intéressent tout simplement pas. Par exemple, je n’ai pas envie de parler de politique – même si, au fond, tout est politique. Je ne parle pas de politiciens en particulier, mais si vous lisez entre mes blagues, il y a évidemment un choix de spectre politique.
Quelle est la part de vérité et de fiction dans ce que vous racontez sur scène ?
Tout est vrai. Certaines choses sont exagérées et il y a quelques ajustements temporels – je peux dire que c’est arrivé la semaine dernière alors que c’était il y a cinq ans –, mais le fond est réel. La vie est un divertissement ; il se passe plein de choses dans la mienne, donc je les raconte sur scène. [Rires]
Qu’est-ce qui nourrit votre écriture et votre humour aujourd’hui ?
Ce que je vis au quotidien. Là, j’arrive à la trentaine et je vois de gros bouleversements chez mes amis : ils deviennent pères, ils se marient. Moi, j’ai un regard différent, car je suis le dernier célibataire sans enfant, j’observe ça de loin et ça me fait beaucoup rire. J’écris là-dessus en ce moment.
Vous sentez-vous en décalage par rapport aux autres ?
Je suis en décalage, mais c’est ok. Je le vis bien. Dans la vie, je ne pense pas qu’il y ait une ligne toute tracée à suivre. On fait sa propre route, on choisit ce qu’on veut faire et où on veut aller. Mes potes m’envient parfois ma liberté, et moi, j’envie parfois leur situation. Mais tant qu’on est heureux et en bonne santé, c’est le principal. Chacun choisit sa vie.
Vous l’évoquez dans le spectacle : vous avez parfois l’impression d’être “un grand enfant”. Quels sont les moments où vous vous sentez vraiment adulte ?
Quand je fais ma déclaration d’impôts ou quand je vais à Castorama. [Rires] Il n’y a aucune minute d’amusement possible !
Votre métier vous permet-il de conserver, justement, votre âme d’enfant ?
Sans aucun doute. Je n’aurais jamais pu faire un métier de bureau, avec métro-boulot-dodo, un patron et des horaires fixes. Choisir sa vie, choisir son planning, c’est une forme de liberté qui rappelle l’enfance.
Votre spectacle laisse une grande place à l’improvisation. Pourquoi ressentez-vous ce besoin d’être si proche du public ?
Je suis trop curieux de connaître la vie des gens ! Ça me fait rire. J’adore casser ce “quatrième mur”, celui qu’on m’a appris à ne surtout pas briser au Cours Florent, mais que j’avais envie de détruire. Je pense que ça rend chaque soirée unique. Certains spectateurs reviennent plusieurs fois parce qu’ils savent qu’il y a ces 20-25 minutes d’improvisation qui ne seront jamais les mêmes dans le spectacle.
Comment choisissez-vous vos “cibles” ? Quels sont les spectateurs qui vous inspirent le plus au premier regard ?
C’est le hasard total. Avec l’expérience, j’ai appris à sentir les énergies des spectateurs, à voir quand certaines personnes ou certains couples ont des choses à raconter. Je me dis que si je me questionne sur eux ou sur un détail, alors ça pourrait aussi intriguer le public. Mais, techniquement, je ne vois que le premier rang avec les projecteurs, alors je me repose beaucoup sur l’ouïe. Comme je suis TDAH [Trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité, ndlr], j’entends tout : un rire étrange, quelqu’un qui tousse… C’est ça qui va m’appeler.
Comment parvenez-vous à trouver le bon rythme pour rebondir constamment sur les réactions de la salle ?
J’ai fait beaucoup d’impro théâtrale au Cours Florent et ça éveille le cerveau très rapidement. Mais j’ai surtout appris le stand-up sur le terrain, dans des salles qui n’étaient pas du tout adaptées à ce type de spectacle. J’ai joué dans des caves de bar, dans des chichas à 2 heures du matin, dans des restaurants où les clients mangeaient et ne savaient même pas qu’il y avait un show, dans des bars avec des gens ivres… Ce n’était pas facile tous les jours, mais, maintenant, quand je joue dans un théâtre devant des personnes sobres qui ont payé leur place, c’est plus simple. C’est cadeau.
Et pour trouver le bon rythme, il faut jouer, jouer, et encore jouer. Beaucoup s’entraîner. Par exemple, quand je m’arrête pour les vacances, il me faut quelques semaines pour retrouver la cadence. Et puis, j’essaie de me cultiver sur plein de sujets, je regarde des reportages, je lis beaucoup, je m’intéresse aux métiers, aux spécialités des régions… Comme ça, quand un spectateur me parle de quelque chose, je comprends tout de suite de quoi il parle et je peux improviser. Je ne suis expert en rien, mais je sais plein de petites choses sur des tas de sujets !
Certaines interactions avec le public vous ont-elles particulièrement marqué ?
À Caen, un monsieur très bourré gâchait le spectacle et on a malheureusement été obligé de le sortir. J’ai aussi eu un malaise particulièrement mémorable à Toulon. Je parlais de pratiques sexuelles et, au moment de la chute, une dame s’est évanouie. On a dû arrêter le spectacle une demi-heure, les pompiers sont arrivés, l’ont mise en PLS à quelques mètres de la scène… Et moi, pendant ce temps-là, je devais improviser, m’occuper de cette spectatrice, meubler, rassurer les gens… Après, j’ai repris le spectacle, avec les pompiers à côté.
On l’a dit : vous avez déjà eu 1 000 vies. Quelle pourrait être la prochaine ?
Je pense qu’on peut le dire… Ce n’est plus un secret : la prochaine étape, c’est le cinéma. Je viens de tourner un film avec Thierry Lhermitte et Lambert Wilson qui sortira dans un an. Je vais continuer la scène, le podcast aussi. J’ai juste envie de faire des trucs qui me plaisent et de continuer à raconter des histoires, peu importe le média.
Grandira plus tard, jusqu’en avril 2026 à Paris et jusqu’en janvier 2028 dans toute la France.