Entretien

Arnaud Binard (Emily in Paris) : “Il ne faut pas se fier aux apparences avec Darren Star”

17 décembre 2025
Par Agathe Renac
Arnaud Binard dans “Emily in Paris”.
Arnaud Binard dans “Emily in Paris”. ©Netflix

De son Sud-Ouest natal aux plateaux de tournage, Arnaud Binard navigue entre le théâtre, le cinéma et les séries internationales. À quelques jours de la sortie de la cinquième saison d’Emily in Paris, l’acteur nous a invités à découvrir son quotidien.

Vous menez depuis plus de 20 ans une carrière singulière, éclatée entre le théâtre, le cinéma, les séries françaises, les productions américaines et les projets personnels. Quel fil rouge relie toutes ces expériences ?

Le fil rouge, c’est avant tout ma passion pour ce métier. Je suis originaire du Sud-Ouest, j’ai grandi dans un cadre de vie éloigné des centres urbains, très en rapport avec la nature. À première vue, il y a un grand écart entre les plateaux de tournage et ces grands espaces, mais j’ai trouvé dans la littérature et dans le travail des textes une safe place. Je les vois comme un espace de réassurance et de développement qui m’ont aidé à avancer dans la vie.

Mon travail d’acteur repose aussi sur une exploration du mouvement. C’est une dynamique qui me guide depuis toujours. Je pense qu’il faut faire confiance au déséquilibre. L’humanité est une espèce de “marchants” : nous nous sommes émancipés en nous redressant. Or, la bipédie, c’est la gestion du déséquilibre. J’ai découvert le surf à l’adolescence, en même temps que le théâtre. Ces deux espaces ont fonctionné en écho et m’ont appris que le corps, dans son instabilité, est toujours juste. Cette métaphore de nos émotions et de notre quête de sérénité dans une vie souvent bouleversée me passionne.

Le métier d’acteur implique une part de doute, d’attente, parfois de vertige. Avec l’expérience, comment avez-vous appris à apprivoiser cette instabilité ?

J’ai compris très tôt que traverser l’instabilité consistait simplement à passer d’un déséquilibre à un autre. C’est ça, finalement, l’équilibre. C’est comme la marche : on passe d’un pied à l’autre, d’un projet à un autre, d’un texte à un autre, d’un partenaire à un autre, d’un metteur en scène à un autre…

Ce qui est intéressant dans le mouvement, c’est qu’il s’agit généralement d’un déplacement vers l’altérité, vers l’autre bout de soi-même. On ne se connaît pas vraiment tant qu’on n’a pas rencontré l’autre. Ça vaut aussi pour la nature. On n’y est pas vraiment seul : on est en relation avec la montagne, l’océan ou la mer. Ça crée un dialogue intérieur, un cheminement qui aide à traverser l’instabilité et à construire ses propres repères.

Arnaud Binard.©Clémence Bajeux/FTV/GMT Productions

On vous décrit souvent comme un acteur curieux et touche-à-tout. Comment choisissez-vous vos rôles ?

Au-delà de la promesse d’un déplacement, je privilégie l’inédit. J’aime ce métier parce qu’il nous propose de découvrir des éléments de soi-même au travers d’histoires, d’aventures et d’épopées qui nous sont totalement étrangères. L’empathie que l’on développe pour notre personnage ou pour nos partenaires de jeux nous permet de mieux nous comprendre, et de mieux comprendre notre existence.

La seconde chose primordiale, c’est le collectif. C’est assez contre-intuitif, car on parle souvent de “personnalité” dans notre milieu, mais un acteur est bien moins capable d’isolement qu’un peintre ou un sculpteur. Un acteur n’est rien sans partenaire, sans équipe, sans metteur en scène ou sans le texte d’un autre.

Elodie Frenck, Arnaud Binard et Antoine Hamel.©Jean-Philippe Baltel/FTV/Nilaya Production

La mythologie de la star est nécessaire aux producteurs pour attirer les spectateurs, mais c’est une position très peu confortable pour les acteurs et les actrices. Les personnes qui sont starifiées dans ce métier sont d’ailleurs souvent en difficulté psychoémotionnelle. Je pense à Marilyn Monroe, mais pas que. Je pense qu’un comédien est démuni lorsqu’il est seul. On a vraiment besoin d’être en lien avec autrui. Pour moi, ça commence avec l’équipe de tournage. Si je me sens bien sur un plateau, c’est essentiellement grâce aux personnes qui l’habitent.

Parmi vos expériences récentes, Emily in Paris a fortement marqué les esprits. Qu’est-ce que cette série a changé dans votre vie d’un point de vue professionnel et personnel ?

Sur le plan personnel, ça m’a surtout permis de développer un peu plus une relation d’amitié et de valeurs partagées avec Philippine Leroy-Beaulieu, une actrice que j’aime énormément et avec qui j’avais déjà travaillé. C’est un bonheur de pouvoir poursuivre cette relation professionnelle dans une autre aventure.

Philippine Leroy-Beaulieu et Arnaud Binard.©GMT Productions

Sur le plan professionnel, cette série m’a offert le choix. Je fais ce métier depuis 25 ans et je me sens très chanceux d’avoir pu vivre exclusivement de ma passion – parfois avec des moments difficiles. Cependant, j’ai longtemps eu des difficultés à communiquer en dehors de mon travail, à faire les démarches pour exister médiatiquement. Je travaillais régulièrement, je vivais de ma passion, mais je n’avais pas d’empreinte médiatique, ce qui est pourtant crucial pour monter des projets.

Grâce à ma maîtrise de l’anglais et à l’exposition colossale d’Emily in Paris, j’ai acquis une visibilité internationale que je ne trouvais pas en tant qu’acteur français qui vit en province. C’est une chance inouïe. Aujourd’hui, j’ai un manager aux États-Unis, je fais des choses passionnantes, et je le dois essentiellement à cette série. Je suis tellement reconnaissant de pouvoir continuer à évoluer dans ce milieu. Le matin, je me lève, et je suis heureux. Je me dis : “Mec, t’as de la chance, aujourd’hui, tu tournes !”.

Que ce soit avec Sex and the City ou Emily in Paris, Darren Star a profondément influencé l’industrie des séries. Qu’est-ce que ça fait, pour un acteur, de travailler pour lui ?

C’est un immense privilège. Il est d’une sensibilité rare, et j’aime beaucoup notre relation, qui s’est développée au fil des saisons. Darren est un animal social, mais il possède une félinité et une réserve que j’apprécie, car elles entrent en écho avec ma propre timidité.

S’il y a bien une chose que Darren vous apprend, c’est qu’il ne faut pas se fier aux apparences. Il a cette force d’écrire des histoires qui nous lancent sur de fausses pistes, car il manipule les clichés avec beaucoup de finesse, mais, en réalité, il vous emmène vers des territoires beaucoup plus intimes et subtils. C’est un auteur et un producteur émérite, reconnu par ses pairs, mais c’est aussi quelqu’un de très attachant d’un point de vue humain.

Arnaud Binard.©France 2/Bernard Barbereau

Quelle leçon avez-vous tirée de ses tournages ?

Je pense que la principale leçon, c’est : “Be ready.” Quand on arrive sur le plateau, on doit être prêt. Ça tranche parfois avec le temps qu’on s’accorde sur les plateaux latins, où l’on improvise davantage. Aux États-Unis, lorsque l’équipe est prête et que c’est à vous, vous devez tout donner, tout de suite. Je me souviens de ma première scène sur un gros plateau américain. Il s’agissait de la série Modern Family.

Il y avait 300 personnes sur le plateau, le tournage se déroulait à Paris et toute l’équipe américaine était là. Au moment de jouer, j’ai eu un blackout total. Plus un mot ne sortait de ma bouche. Je n’avais plus une ligne. Ça ne m’était pas arrivé depuis très longtemps. Mais les grosses productions américaines sont des expériences formatrices exceptionnelles : elles nous apprennent à retomber sur nos pattes instantanément.

Que partagez-vous avec Laurent, ce personnage que vous incarnez depuis maintenant quatre saisons dans Emily in Paris ?

Je lui prête mon enveloppe physique et mes origines du Sud – même si lui est du Sud-Est et moi du Sud-Ouest –, mais je ne me retrouve pas dans sa quête d’insouciance ni dans son côté “adulescent”. En revanche, je trouve que la relation qu’il entretient avec Sylvie est très belle. Il y a une véritable preuve d’amour dans sa capacité à s’effacer pour la laisser réussir. Il accepte d’être un mari aimant, mais distant, pour ne pas entraver son ambition dans le monde de la mode à Paris. C’est une vision assez moderne de l’amour : ils sont mariés, mais ils sont libres.

Arnaud Binard et Caroline Anglade.©Céline Brachet/La Boîte à Images/FTV

Est-ce une conception de l’amour que vous comprenez et partagez ?

Je la comprends totalement, mais votre question touche à des sujets plus larges, comme le polyamour ou les relations libres. Ce qui me frappe aujourd’hui, c’est cette injonction sociétale à devoir déclarer sa préférence sexuelle ou sa confession religieuse, à faire basculer l’intime dans le public. On n’a rien inventé : le “consensus bourgeois” de nos parents, où les amants et maîtresses étaient tus, mais connus, existait déjà avant.

Le théâtre de Feydeau en est rempli. Finalement, tout le monde le vivait avec une certaine légèreté. La différence, c’est qu’aujourd’hui, le marché et les réseaux sociaux ont conquis nos espaces privés. C’est comme si ça nous définissait. L’intime devient de la “data”, du flux. Je trouve ça un peu déstructurant. Réduire l’identité d’un individu à ses affinités épicuriennes ou sexuelles est décevant.

Bénédicte Choisnet et Arnaud Binard.©Nicolas Roucou/Les Films du printemps/Shine Fiction/TF1

Ça nous construit, ça nous constitue, ça fait partie de qui nous sommes, mais ce n’est pas qui nous sommes. Ce que nous sommes socialement est bien plus complexe. Si la conquête des droits et l’égalité citoyenne sont fondamentales et indiscutables, l’injonction à la transparence totale de l’intime me semble être une fausse révolution, voire une violence pour ceux qui ne souhaitent pas s’exposer.

Pour en revenir au couple de Laurent, je pense que c’est surtout une question de consensus. Je ne suis pas à l’aise avec le cynisme dans les relations humaines : consommer l’autre comme un objet, le faire dans le dos, mentir… Il faut que tout le monde soit d’accord, que tout le monde ait consenti à la forme et à la direction que prend le couple.

Que pouvez-vous nous révéler sur cette nouvelle saison d’Emily in Paris ?

Je ne peux rien dire, vous le savez. [Rires] Tout ce que je peux vous révéler, c’est que cette saison est pleine de montagnes russes émotionnelles. Darren a concocté des épisodes riches en rebondissements, pour tous les couples et les personnages de la série.

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Article rédigé par
Agathe Renac
Agathe Renac
Journaliste