Dans Fifille à Papa, Philippine Delaire transforme les épreuves de la vie en rire. Un spectacle entre humour, personnages et confidences, porté par une comédienne qui fait de la scène un espace de résilience.
Qu’est-ce qui fait qu’à un moment vous vous êtes dit : “Je me lance, je n’ai plus peur” ? Quel a été l’élément déclencheur pour vous lancer sur scène ?
En réalité, je ne voulais pas forcément faire de l’humour au départ. J’ai fait du théâtre très jeune, j’étais plutôt tournée vers le tragique, les larmes, les concours… Jusqu’au jour où mes professeurs m’ont dit que j’avais “un vrai truc pour la comédie”. C’est là que j’ai commencé à jouer des personnages, à faire du Molière, et j’ai adoré.
Finalement, ce que je fais aujourd’hui – les vidéos, les personnages, le jeu face caméra –, c’est ce que je faisais enfant. L’humour est venu naturellement, mais je ne me considère toujours pas comme humoriste : je me sens avant tout comédienne. Je n’ai pas eu de “déclic humoristique”. Le vrai déclic, c’est que, depuis petite, je veux monter sur scène. Et aujourd’hui, je remercie le public parce qu’il me permet d’en faire un métier.
Au début, les vidéos sur les réseaux étaient avant tout un moyen d’être visible pour des castings. Le spectacle Télédrama aussi. Et puis, je suis montée sur scène à Avignon sans l’avoir jamais fait : une heure, seule, avec l’objectif de faire rire. J’ai eu une révélation. Ce qui devait être un tremplin est devenu un espace où je m’épanouis vraiment.
Vous évoquez Télédrama, votre premier spectacle, dans lequel vous parliez de télévision. Ici, avec Fifille à papa, on est dans le dévoilement. Dans quelle mesure aviez-vous envie de parler de vous plus directement ?
Le premier spectacle était très éloigné de moi : des sketches, des personnages… À la toute fin seulement, j’évoquais mon père. Le public, qui me suivait sur les réseaux, voulait en savoir plus sur la Philippine “réelle”. Au bout d’un an et demi, après avoir pris confiance, je me suis sentie prête à parler de moi. Mais pour parler des autres aussi : à travers l’enfance, le deuil, les ruptures, le passage à l’âge adulte. L’idée n’était pas de livrer un journal intime, mais de rendre tout ça universel.
Puis, la vie s’est mêlée au spectacle : la première version parlait beaucoup de mon mariage… jusqu’au jour où j’ai appris que j’étais cocue. Fille à papa a alors évolué avec moi pour devenir aujourd’hui Fifille à papa. On a retravaillé l’écriture, changé l’affiche, et même le titre. Je n’étais plus la même personne, le spectacle non plus. Aujourd’hui, j’y parle du divorce, de tromperie, des antidépresseurs… Et je vois le public touché à des endroits très différents. C’est devenu un spectacle qui me ressemble profondément.
Qu’est-ce que ce deuxième spectacle vous a appris par rapport au précédent ?
Tellement de choses ! Télédrama m’a appris la technique, la scène, l’improvisation. Fille à Papa m’a tellement appris sur moi. Au moment où tout s’écroulait personnellement, j’ai dû continuer à jouer. Monter sur scène une heure quand vous êtes au fond du trou… ça forge.
Ce spectacle m’a donné une force énorme. J’ai compris que j’étais capable de transformer quelque chose de douloureux en matière artistique, d’en rire, d’en faire un sketch sans être fébrile. Et surtout, aujourd’hui, la scène est devenue un terrain où je suis totalement libre. Avant, je ne sortais pas du texte ; maintenant, plus il y a un imprévu, plus ça m’amuse. Le public est d’une bienveillance incroyable. Sans le savoir, il m’a portée dans les moments où j’allais très mal.
« Sur scène, j’ai envie de montrer quelque chose qui sort de l’ordinaire, quelque chose d’un peu plus grand. »
Philippine Delaire
Le spectacle parle beaucoup du rapport enfant-adulte, notamment quand vous montrez vos souvenirs caméra. Quel est votre rapport à la nostalgie ?
J’ai toujours été nostalgique. Petite déjà, je filmais tout, comme si je savais qu’il fallait garder des traces. Et bien sûr, la mort de mon père a marqué une séparation très nette : une vie avant, une vie après. Mais ma nostalgie est joyeuse. J’ai grandi dans une famille très gaie, très vivante et, malgré le deuil, ma mère nous a appris que, quand on touche le fond du fond, c’est là que l’on peut rebondir encore plus haut.
Je suis une grande enfant dans un corps d’adulte : naïve, candide, mais solide. Jouer ce spectacle m’a aidée à mettre des mots sur le passage à l’âge adulte, sur le désir d’enfant, sur l’idée de quitter l’enfance. Ça m’a vraiment fait avancer.
Comment réussissez-vous à équilibrer rire et sujets douloureux ?
Quand j’étais au plus bas, je notais déjà dans mon téléphone des idées de sketch. J’étais consciente que certaines situations étaient absurdes, même si je n’avais pas encore le recul pour en rire.
Avec Adèle Royné, on a écrit la nouvelle version à quatre mains. Elle m’aide à trouver la bonne distance, à alléger quand c’est trop cru, à accepter de ne pas tout le temps coller à la réalité. Elle a ce recul que je n’ai pas sur ma propre vie. On sent naturellement où mettre une vanne, où laisser un moment plus lourd. L’équilibre se fait assez instinctivement.

Quand vous écrivez sur votre entourage, avez-vous tendance à grossir le trait ou à rester au plus près de la réalité ?
Je grossis un peu le trait. Ce que j’aime, c’est jouer des personnages très marqués. Donc, très égoïstement, pour m’éclater sur scène, je vais toujours les pousser un peu plus loin. C’est ça aussi qui est drôle : tu pars de quelque chose de réel, mais tu y ajoutes une forme d’absurde. Parce que si tu colles trop à la réalité… celle-ci n’est pas extraordinaire tous les jours. Sur scène, j’ai envie de montrer quelque chose qui sort de l’ordinaire, quelque chose d’un peu plus grand.
Ceci étant dit, dans ce que je raconte, tout colle quand même à la réalité. Les gens me demandent souvent quelle est la part de fiction, mais, honnêtement, il y a très peu de choses inventées, bien que certains personnages soient grossis. Je pars de quelque chose de vrai, puis j’accentue. Par exemple, quand je fais ma grand-mère, j’ai une canne, alors que dans la réalité, elle n’en a pas. [Rires] C’est pareil quand j’incarne le personnage de la mariée, mais c’est le jeu. J’ai commencé par cela : jouer des personnages. C’est donc très amusant d’aller chercher plusieurs ressorts.
Est-ce que vous vous sentez “adulte” aujourd’hui ? Finalement, pour vous, c’est quoi, “être adulte” ?
Oui, aujourd’hui, je me sens adulte. Beaucoup plus que quand j’ai commencé à jouer la première version de Fille à papa. C’est d’ailleurs pour cette raison, aussi, que l’on a voulu refaire l’affiche. Au début, Fille à papa, c’était très féerique : je sautais en l’air, il y avait un côté très enfantin. Aujourd’hui, j’ai envie de garder cette part d’enfance – d’où la licorne –, mais en robe de mariée. Pour raconter autre chose du spectacle.
Aujourd’hui, je me sens vraiment femme. Je reste Philippine : naïve, candide, et je pense que je le serai toujours. Mais je me sens plus adulte parce qu’il m’est arrivé plus de choses. Quand j’ai commencé le spectacle, je parlais de la mort, mais je n’avais jamais vécu de chagrin d’amour, par exemple. Aujourd’hui, j’ai gagné en maturité. J’ai grandi, tout simplement.

C’est quoi la suite pour vous dans les prochains mois ?
Côté spectacle, j’ai des dates prévues jusqu’à février mars 2027. À partir de janvier, je pars en tournée, donc je suis surexcitée. Je continue aussi à jouer à la Comédie de Paris, tous les mardis de mi-janvier à fin avril. J’ai réalisé que la scène, c’était un peu comme une drogue.
Que peut-on vous souhaiter pour 2026 ?
Faire grandir ce spectacle, le montrer à un maximum de gens, toucher un public toujours plus large. À côté de cela, il y a les tournages. Je joue également, dans Scènes de ménages, la sœur d’Élodie Poux. J’adore ça. J’aimerais aussi beaucoup jouer dans une pièce de théâtre, pour explorer encore autre chose. Chaque format est différent : la scène, la caméra, le théâtre… ce sont des exercices totalement complémentaires. Mon rêve, c’est de pouvoir tout faire. J’ai aussi des projets d’écriture. L’idée, c’est de réussir à tout organiser pour que tout continue, et surtout, que tout grandisse !
Fifille à papa, de Philippine Delaire, du 16 décembre 2025 au 28 avril 2026 à la Comédie de Paris, puis en tournée dans toute la France du 16 janvier 2026 au 23 janvier 2027.