Paris est devenue le terrain de jeu préféré des séries à gros budget. Elles en livrent une version ultraglamour, bien loin du quotidien des vrais Parisiens.
Lors de la cinquième saison d’Emily in Paris, notre naïve héroïne change de ville pour poursuivre sa vie à Rome. Néanmoins, son histoire a permis à des dizaines de millions de spectateurs à l’étranger de découvrir la capitale française en majesté. Mais aussi, il faut le dire, de façon légèrement décalée par rapport à la réalité du quotidien des Parisiens. De nombreuses autres productions se sont emparées du même sujet et les tournages en Île-de-France se multiplient, quitte à dresser un portrait muséifié de la mégalopole. Or, derrière le côté amusant que cela peut prendre pour le spectateur français, les enjeux touristiques et économiques sont bien réels.
Quel impact réel pour la Ville de Paris ?
Qu’elles soient françaises ou étrangères, les séries à gros budget se déroulant à Paris depuis quelques années ont un point commun : elles ont bien conscience que, pour le public international, notre capitale rime avec industrie du luxe, grandes avenues illuminées et bâtiments haussmanniens. Nombre d’entre elles se déroulent dans le milieu de la haute bourgeoisie et prennent place dans les quartiers les plus cossus de la ville : Emily in Paris dans le milieu de la mode, Lupin et ses braquages de musées prestigieux, Dix pour cent qui voit défiler les stars du cinéma dans une agence de talents… De quoi en mettre plein les yeux aux téléspectateurs.

Il n’empêche que, même pour les lieux de prestige et de pouvoir qu’elles dépeignent, les séries parisiennes prêtent parfois à sourire. On note la quasi absence de circulation dans les rues (excepté les voitures de sport) dans Emily in Paris, les rues étrangement vides et propres de Lupin, les commissariats immaculés aux lumières tamisées de Cat’s Eyes, on s’extasie sur les grandes terrasses où la place ne manque pas, sur les serveurs polis, les appartements étrangement spacieux aux moulures apparentes…
Le logement, d’ailleurs, n’est jamais un gros problème, y compris dans des shows présentant supposément des personnages aux emplois plus modestes, comme les personnages de la saison 2 de Bref. Et on se dit alors que, vu l’appartement qu’ils partagent, leurs personnages sont bien loin de nos tracas quotidiens et du métro-boulot-dodo.
C’est d’ailleurs le principe. Ces comédies ou séries d’aventure cherchent à se payer des décors de rêve, loin des tracas du quotidien. Dans une interview accordée à Radio France, Howard Overman (le scénariste de Paris has Fallen) souligne le fait que la beauté de la ville permet d’en faire un décor idéal pour une série d’action à très grand spectacle. Pas besoin d’être vraisemblable quand on veut faire faire du parkour à ses personnages sur les poutres de la tour Eiffel !
Des enjeux touristiques réels
Pour autant, il ne s’agit pas seulement de s’amuser avec les plus beaux monuments et les plus belles avenues de la capitale, mais aussi de les mettre en valeur pour des raisons économiques. Si nombre de tournages de séries étrangères se sont déroulés dans la capitale depuis une dizaine d’années, c’est en partie parce que la métropole a tout fait pour les y attirer. Du crédit d’impôt international aux aides de Film Paris Région, en passant par l’octroi de facilités de tournage dans des lieux prestigieux, de nombreux dispositifs incitent les productions audiovisuelles à tourner en Île-de-France.

Une stratégie du donnant-donnant : ces subventions garantissent que des programmes à très gros budget mettent en scène les plus beaux quartiers de la capitale sous leurs aspects les plus rayonnants et les plus attractifs, pour une clientèle touristique toujours plus nombreuse à visiter la France. Un rapport du CNC publié en juillet dernier sur ce type de politiques pointe deux impacts très positifs sur le tourisme : d’une part, 80 % des spectateurs déclarent souhaiter un jour visiter les lieux mis en lumière dans ces productions, et près d’un tiers envisagent réellement de le faire.
D’autre part, les nombreux tournages en Île-de-France (plus de 10 000 journées de production pour l’année 2023) maintiennent sur place des équipes importantes d’acteurs, réalisateurs, techniciens, etc. Autant de nuitées d’hôtel, de repas consommés, de contrats avec les entreprises de location de matériel qui font vivre un écosystème très important.

Pour autant, il arrive que le décalage, voire la déception, soit fort pour les touristes qui choisissent de faire le déplacement. De nombreuses études de sociologie pointent ainsi le sentiment très contrasté des touristes étrangers qui doivent parfois prendre un temps pour s’approprier le vrai visage de la capitale et parvenir à l’apprécier. De quoi dissuader le public de continuer à regarder ce type de séries ?
Pas vraiment, si l’on en croit une étude de l’université d’Utrecht de 2021, qui relevait que la réception la plus négative de ces shows était le fait… des Parisiens eux-mêmes. Les spectateurs étrangers semblaient nettement moins agacés par le fait qu’Emily in Paris présente un visage fantasque, voire onirique de l’expérience parisienne.
Des productions plus intimistes et plus proches du réel
Tout le monde se rend bien compte que le Paris immaculé et abordable d’un Cat’s Eyes n’existe pas. Et le grand nombre de tournages dans la capitale s’incarne aussi dans des productions à destination d’un public plus confidentiel et moins international que celui des blockbusters des plateformes de SVOD. Elles prennent souvent le parti de proposer une vision plus réaliste de la région, certaines parvenant d’ailleurs, par le bouche-à-oreille, à conquérir un public inattendu malgré un marketing moins poussé.
C’est ce qui s’est, par exemple, produit en 2022 avec la série Drôle, de Fanny Herrero ; une production Netflix, certes, mais beaucoup plus modeste que celle des aventures d’Emily. On y suivait une bande d’apprentis comédiens de stand-up, entre précarité, galères et premiers spectacles dans des petites salles parisiennes.
Si le show n’a pas été renouvelé, sa peinture d’une vie parisienne plus banale et plus populaire a séduit les critiques à l’international. On pense aussi à l’approche très intimiste du feuilleton The Eddy, centré sur un petit club de jazz près de Daumesnil, ou encore au récent récit dramatique Des vivants, diffusé sur France 2 en novembre dernier, qui s’attarde sur le quotidien de survivants des attentats du Bataclan.

Quoi qu’il en soit, il semble que la multiplication de ces grands tournages internationaux utilisant la capitale française comme terrain de jeu n’ait pas vraiment besoin de vraisemblance pour produire les effets escomptés. À savoir attirer un large public devant le petit écran et maintenir un flux continu de visiteurs vers la première destination touristique au monde depuis près d’une quarantaine d’années.