Décryptage

WitchTok : quand TikTok réveille la sorcière qui sommeille en vous

23 novembre 2025
Par Marion Olité
Le hashtag #WitchTok cumule plus de 30 milliards de vues et 9 millions de publications.
Le hashtag #WitchTok cumule plus de 30 milliards de vues et 9 millions de publications. ©Capture d'écran

Notre rédaction a plongé dans le phénomène #WitchTok, qui agite le réseau social chinois. Les néosorcières des années 2020 y forment une communauté fascinante, mais non exempte de dérives, qui engrange des milliards de vues.

Que celle qui n’a jamais rêvé de devenir une sorcière après avoir bingé Charmed, Les ensorceleuses ou The Craft nous jette au bûcher ! Déjà populaire dans les années 1990-2000, la figure de la sorcière a connu une nouvelle réhabilitation post-MeToo, aussi bien chez les féministes grand public, avec l’essai devenu culte, Sorcières, la puissance invaincue des femmes (2018, éditions La Découverte) de Mona Chollet, que dans les cercles queers et écoféministes. Dans le sillage de ce retour en force, une nouvelle communauté s’est formée depuis 2021 sur le réseau social TikTok.

@spiritspacecollective

Sorry I can’t.. it’s a Full Moon and I have to go dance to Fleetwood Mac to release what’s no longer serving me, cast some spells and chill with my Coven for a while 🧹🔮✨ @Sarah Wilder @Stevie Nicks #witch #witchtok #witchcraft #witchesottiktok #stevienicks #fleetwoodmac #fullmoon #fullmoonrelease #ritual #fullmoonritual #moonritual #spellcasting #witchhat #besom

♬ original sound – Stella 🔮 Witch of the Moon 🌙

C’est quoi, le WitchTok ?

Les sorcières et leurs apprenties, surnommées les « baby witches » (généralement des jeunes femmes âgées de 18 à 25 ans), se rassemblent sous le hashtag #WitchTok, qui cumule plus de 30 milliards de vues et 9 millions de publications. Reines des edits accrocheurs aux musiques envoûtantes, elles adoptent une esthétique travaillée, réminiscence des sorcières de la pop culture. Se balader sur le WitchTok, c’est découvrir une mosaïque de vidéos éclairées à la bougie, présentant des autels richement décorés de plantes et d’objets en tous genres, dédiés à diverses divinités gréco-romaines ou égyptiennes.

@debbielabruja

Ma tenue viens de chez @KILLSTAR et les chaussures se sont des @SWEAR London custom avec les laçets violets. Merci @Netflix @NetflixFR ! D’ailleurs le beach club de Mercredi est ouvert publique tout le mois d’août, allez profiter 🦇 #wenesdaynetflix #nevermore #gothtok

♬ Wednesday Main Titles (Single from Wednesday Original Series Soundtrack) – Danny Elfman

Les sorcières de TikTok soignent aussi leur apparence. Elles apparaissent souvent avec un chapeau pointu sur la tête, des robes gothiques ou éthérées pour un effet « fée des bois ». Et c’est aussi ce qui marche auprès des jeunes filles amatrices de looks stylés. Sur son compte, la tiktokeuse Debbie La Bruja joue par exemple avec les codes de la « dark academy » (les uniformes preppy, avec un twist gothique), très tendance depuis le succès de la série Mercredi sur Netflix.

Les sorcières du WitchTok ont aussi des choses à nous vendre : ces créatrices de contenu aguerries ont développé un business florissant en lançant leur e-shop en ligne ou sur Etsy, en publiant des ouvrages, comme Arlette Grimm chez Larousse, Astro Kiff et son oracle céleste ou Little Witchy et son grimoire. Bref : la sorcellerie moderne s’accommode très bien du capitalisme.

Des rituels en pagaille

Les sorcières de TikTok sont là pour promouvoir leur marque, mais aussi partager leurs pratiques magiques. Elles proposent divers rituels pour s’attirer de la chance, protéger son énergie et sa maison ou attirer l’argent à soi. Si la plupart de ces sorts se tournent vers la protection, d’autres proposent des philtres d’amour assortis d’avertissement et même de quoi maudire son violeur (on ne recommandera jamais assez de porter plainte aussi).

Les recettes des sorcières du WitchTok sont précises : il s’agit d’avoir la bonne herbe, le bon type de bougie et de procéder à des rituels parfois complexes dans un ordre donné. Les apprenties sorcières y dévoilent leurs premiers sorts, tandis que les plus chevronnées livrent toutes sortes de conseils pour débutantes, comme placer une baie dans son portefeuille pour manifester l’abondance ou passer le balai chez soi avec l’intention de nettoyer l’énergie de la pièce. Manifestations, rituels, malédictions, onctions, décoctions… Le WitchTock possède son propre lexique, à intégrer avant de se lancer.

La France des sorcières se réveille

Le hashtag est aussi utilisé par des tiktokeuses spécialisées dans la lecture d’horoscopes (Astrokiff met en ligne son horoscope mensuel, raconté avec humour et les codes de la Gen Z), la cartomancie (le tirage de tarots) ou la lithothérapie (croyance au pouvoir des cristaux). C’est un véritable cabinet des curiosités, où vous pouvez aller pêcher ce qui vous séduit.

@astrokiff

On a tous nos petits points faibles 🦶 #astrology #fyp

♬ son original – ASTROKIFF

Cette communauté en ligne a ses stars, comme Sarah AL, Girl and Esoterism ou Arlette Grimm en France, où le hashtag #WitchTokFrance cumule plus de 10 millions de vues. Elle ne cesse de grandir, alors que 40 % des Français·es de moins de 35 ans croient en la sorcellerie (sondage Ifop), contre 25 % des plus de 35 ans.

Pourquoi cet engouement au pays des Lumières, où régnait jusqu’il y a peu le pouvoir de la science et où la séparation des Églises et de l’État date de 1905 ? Au-delà du phénomène de réappropriation féministe de la figure de la sorcière, la Génération Z navigue dans un monde incertain et violent, où le désenchantement est partout. Avec leur hiérarchie et leurs doctrines parfois intolérante, les grandes religions monothéistes sont perçues comme moins adaptées à nos vies modernes.

@lespetitschaudrons

🍂Ramassez les pièces et placez les sous votre paillasson Witches ! #witchtok #magic #spells #witchcraft #witchesoftiktok

♬ Victorian Night Tales – Thomas J. Peters

Elles n’ont cessé de perdre du terrain ces dernières décennies au profit de spiritualités néopaïennes, moins contraignantes et plus inclusives, comme la Wicca (qui a son livre des Ombres, popularisé par la série Charmed). Ainsi, la sorcellerie et ses diverses mouvances permettent aux adeptes de piocher dans ce qui les intéresse, sans nécessairement adhérer à un dogme.

Des sorcières inclusives et engagées

Les jeunes femmes y trouvent également un espace où elles peuvent s’affirmer et faire communauté. Certaines sorcières, comme Coven of Witch, se réunissent sous forme de coven (cercle de pratiquantes) et lancent des rituels ensemble, dans la nature, vêtues des costumes adéquats pour créer des vidéos évocatrices sur le réseau social.

Contrairement à leurs prédécesseuses blanches et hétéronormatives, les sorcières racisées et/ou queers ont trouvé un terrain d’expression sur TikTok pour partager leurs convictions et célébrer leurs ancêtres. En fonction de leurs origines, elles se réclament de la brujeria (pratiques spirituelles des populations latino-américaines et caribéennes), du vaudou (religion animiste d’Afrique de l’Ouest) ou du hoodoo (pratiques des peuples africains déplacés vers les États-Unis pendant la période de l’esclavage). Le WitchTok peut être engagé et politique, et certaines tiktokeuses s’identifient comme des « sorcières de gauche radicales ».

Quelles sont les dérives du WitchTok ?

Les pratiques magiques relèvent du champ de la croyance (et non pas de la science), et ne nécessitent pas de preuves matérielles. Cet univers ésotérique est poreux aux arnaques en tous genres. Le YouTubeur G Milgram, spécialisé en débunkage de pseudosciences, a réalisé une expérience édifiante.

Il a analysé diverses vidéos de tiktokeuses qui conseillent un peu tout et son contraire, comme un sort aux enchaînements complexes et précis, avant d’autoriser d’en changer les ingrédients. Mais surtout, il s’est créé un petit objet déco absolument dénué de propriétés magiques, qu’il a rebaptisé « L’œuf protecteur d’Hécate ». Il l’a proposé à l’achat sur un site et plusieurs personnes ont mordu à l’hameçon et tenté de lui acheter.

Entre appropriation culturelle (des tiktokeuses blanches qui se lancent dans des rituels hoodoo sans donner aucune source ou information sur l’histoire de ces pratiques, liées aux résistances des personnes noires pendant l’esclavage), objets et autres séances de cartomancie ou lithothérapie hors de prix, le monde de la sorcellerie sur TikTok peut vite ressembler à une arnaque géante.

@sarahal06

Dissonance cognitive sur nous 🧙‍♀️

♬ son original – Sarah AL

À l’instar de n’importe quelle pratique spirituelle, la sorcellerie ouvre une porte à des dérives commerciales et sectaires, comme le mouvement du féminin sacré. D’un côté, ce courant ésotérique rassemble les femmes dans un objectif attrayant de reconnexion collective à la nature, de l’autre, son discours relève d’une essentialisation potentiellement transphobe sur les énergies « féminines » et « masculines », et tourne beaucoup autour de la procréation et de la maternité. Sans surprise, les retraites proposées se révèlent très chères et visent les femmes vulnérables.

Certaines sorcières comme Sarah AL dénoncent ces dérives avec humour et regrettent les débuts du WitchTok, où régnait une joyeuse effervescence féministe et un peu moins d’influenceuses – qui ont davantage senti un bon filon à exploiter qu’une connexion avec la déesse Aphrodite. Ce monde féminin, plein de contradictions et de bonnes idées fashion, fait aussi l’objet de critiques aux relents sexistes.

Les nouvelles aventures de Sabrina.©Netflix

Des séries ado au girl power, en passant par la k-pop, les centres d’intérêt des jeunes femmes ont toujours été regardés avec un certain mépris misogyne, quand ceux des jeunes hommes semblent plus légitimes – même quand on parle de super-héros avec des pouvoirs improbables. L’univers du #WitchTok est la rencontre détonante entre spiritualités, nouvelles technologies, féminisme, pop culture et capitalisme. Tout dépend de ce que vous venez y chercher. Peut-être même que vous ne cherchez rien, mais que vous y trouverez quelque chose !

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