Critique

Merteuil : quand le désir noie la narration

14 novembre 2025
Par Alexia Francais-Arnaud
Vincent Lacoste et Anamaria Vartolomei dans “Merteuil”.
Vincent Lacoste et Anamaria Vartolomei dans “Merteuil”. ©HBO

Comment Isabelle est-elle devenue l’indomptable marquise ? Ce 14 novembre 2025, HBO nous propose de le découvrir dans sa nouvelle série, Merteuil. Libre adaptation du roman Les liaisons dangereuses, cette fiction historique française explore l’éveil et l’ascension de la ténébreuse Isabelle de Merteuil.

« Pour être l’héroïne de sa propre vie, elle va briser celle des autres. » Le ton est donné dès le synopsis de cette nouvelle série historique qui nous plonge à la fin du XVIIIᵉ siècle, en pleine montée des idées libérales et des prémices de la Révolution française. Merteuil se présente comme un prequel audacieux aux Liaisons dangereuses, roman épistolaire de Pierre Choderlos de Laclos publié en 1782, qui a suscité autant de controverses que d’admirations et inspiré bon nombre d’œuvres.

Le mythe de la marquise de Merteuil, figure centrale de l’ouvrage aux côtés de Valmont, renaît sur nos écrans et se réinvente dans une ambitieuse production de six épisodes, diffusée depuis ce 14 novembre sur HBO. Dirigé par Jessica Palud (Maria, Revenir) sur un scénario de Jean-Baptiste Delafon (Baron noir, Une amie dévouée), The Seduction (titre à l’étranger) a été tourné en Normandie et en Île-de-France en 2024. La série bénéficie de la lumière feutrée de Sébastien Buchmann, fidèle chef opérateur de Palud, et d’une direction artistique somptueuse.

Le pari d’une relecture moderne

Dans le rôle-titre, Anamaria Vartolomei livre une performance viscérale. On y croise aussi Diane Kruger (Madame de Rosemonde), Vincent Lacoste (Valmont), Noée Abita (Madame de Tourvel), Lucas Bravo (Comte de Gercourt) et Samuel Kircher (Danceny). Un casting alléchant qui donne chair à une cour dans laquelle les intrigues s’écrivent autant sous les draps que dans les salons.

Anamaria Vartolomei et Diane Kruger dans Merteuil.©HBO

Aristocratie, premiers émois, jeux de pouvoir, jalousie, désillusion… Nous découvrons dans cette œuvre sulfureuse le destin d’une jeune orpheline sans fortune prénommée Isabelle. Merteuil ne cherche pas à transposer Les liaisons dangereuses, mais à en sonder l’origine. Du moins, à l’imaginer. Qui était cette jeune femme avant qu’elle ne devienne le symbole même de la manipulation et du désir ?

Piégée par les fausses promesses du vicomte de Valmont, elle se lance dans une vertigineuse vengeance et ascension, la plongeant dans un tourbillon d’intrigues. Elle peut compter sur l’aide de Madame de Rosemonde, loin d’être laissée au second plan dans cette adaptation où les femmes prennent le pouvoir, depuis les bas-fonds libertins jusqu’à la cour de Louis XV.

Diane Kruger dans Merteuil.©HBO

Merteuil n’est pas une simple adaptation ou relecture contemporaine de l’œuvre originale – on se souvient du très mauvais long-métrage Netflix de 2022. L’enjeu de cette énième revisite est de respecter l’esprit du roman et son époque, tout en posant un regard actuel sur des problématiques intemporelles. Pour ce faire, Jessica Palud a pris le parti de mettre le récit en résonance avec nos préoccupations d’aujourd’hui, ô combien importantes, telles que l’émancipation féminine, la quête de liberté ou encore l’appropriation de son corps.

Merteuil, héroïne ou chimère ?

Dans les premiers épisodes, nous découvrons une Isabelle de Merteuil fragile et naïve, loin de l’implacable manipulatrice des précédentes versions. Après avoir été humiliée, elle prend son destin en main, décidée à tourner la faiblesse des hommes à son avantage : « Tous les hommes sont égaux face au désir », rappelle-t-elle. Elle devient alors la femme magnétique que nous connaissons, pleine d’ambitions brûlantes, mais aussi de failles. Et Anamaria Vartolomei incarne cette ambivalence avec intensité et fougue.

Anamaria Vartolomei dans Merteuil.©HBO Max

Un problème structurel nous empêche toutefois de nous sentir pleinement attachés à son personnage, dont l’histoire devrait pourtant nous émouvoir. On passe abruptement d’une scène de défi ou de promesse trahie à une séquence charnelle explicite. Cette alternance brutale rend difficile l’ancrage émotionnel. On peine à saisir les doutes de Merteuil, son cheminement intérieur, tout comme ceux des autres personnages, pourtant loin d’être inintéressants.

C’est là toute la différence avec le roman de Laclos. L’auteur joue la carte du détail insidieux : chaque lettre est un piège, un masque. Certaines adaptations ont respecté ce dosage subtil, ménageant silences et regards… On pense notamment aux Liaisons dangereuses de 1988. Dans Merteuil, le désir prend parfois le pas sur le sens. Résultat : la marquise devient une figure fascinante, mais floue. Un spectre puissant, qu’on observe plus qu’on ne le ressent.

Entre éclat et excès

Jessica Palud mise sur une esthétique forte, mêlant élégance historique et intimité des personnages. Merteuil est un plaisir pour les yeux, entre les costumes ciselés, la lumière cendrée, les demeures d’époque et les scènes de cour. Une équipe de conseillers historiques a veillé à l’authenticité du moindre détail. Mais l’abondance des scènes érotiques finit par peser sur le rythme.

Lucas Bravo et Anamaria Vartolomei dans Merteuil.©HBO

Certaines scènes semblent vouloir provoquer une sorte de tension, mais leur accumulation finit par l’épuiser, en tombant dans la répétition. Le show tente ainsi de se démarquer en poussant l’érotisme plus loin et en fragmentant le récit, au risque de perdre le spectateur. L’ambition est là, mais la maîtrise narrative vacille.

Une relecture ambitieuse, mais inégale

Les qualités de Merteuil sont indéniables : une proposition visuelle forte et raffinée, une héroïne audacieuse, une prise de risque rare dans le paysage des séries françaises. L’originalité du propos et l’écho à nos préoccupations contemporaines offrent des moments de relief. Mais, à force de vouloir tout aborder, l’œuvre s’étire. Et le fil rouge se dilue dans les ellipses narratives.

Diane Kruger et Anamaria Vartolomei dans Merteuil.©HBO

Les dialogues, eux, n’aident pas toujours à s’imprégner pleinement de l’ambiance du XVIIIᵉ siècle. S’ils sont élégants et travaillés, ils paraissent figés, plus écrits que vécus. Reste la qualité indéniable du jeu de Vartolomei, Kruger, Lacoste ou encore Abita, dont l’intensité maintient le spectateur en haleine malgré les déséquilibres du récit.

On sort de cette série ni choqué ni indifférent, mais avec le regret d’un vertige prometteur qui n’a pas trouvé son souffle. Merteuil n’est pas sans saveur ni valeur, mais elle pourrait être plus nette, plus dense, et moins portée à croire que l’exposition du corps suffit à traduire la cruauté du sentiment. Le vrai pouvoir de la marquise ne fut jamais dans ce qu’elle montrait, mais dans ce qu’elle savait taire.

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