Avant de devenir la marquise, elle était Isabelle. Anamaria Vartolomei et Diane Kruger – Isabelle de Merteuil et Mme de Rosemonde dans la série HBO – nous parlent de Merteuil, relecture audacieuse et féministe des Liaisons dangereuses, réalisée par Jessica Palud.
Comment avez-vous perçu l’idée de revisiter Les liaisons dangereuses, une œuvre déjà si régulièrement adaptée sur le grand écran ?
Anamaria Vartolomei : L’incarnation de Glenn Close dans l’adaptation de Stephen Frears est tellement proche de la perfection que j’avais peur d’incarner Isabelle de Merteuil après elle. J’ai néanmoins pris du recul en me disant que cette série est une préquelle, où l’on découvre justement qui était cette femme avant qu’elle ne devienne marquise. En lisant le scénario, je me suis dit que ce récit initiatique était vraiment intéressant. Ça m’a donné envie de raconter cette histoire et d’en faire partie, malgré mon appréhension.
Diane Kruger : Je partageais cette même appréhension. Le film de Stephen Frears est parfait, c’est un chef-d’œuvre qu’on ne veut pas toucher. Cependant, le format sériel nous offre plus de temps, plus de place pour trouver des nuances. D’autant plus que l’écriture de Jessica [Palud, la réalisatrice, ndlr] est plus féministe. Elle explore l’intellect, les envies et les peurs des femmes de cette époque-là. J’ai beaucoup aimé cette approche.
Cette revisite des Liaisons dangereuses est-elle aussi plus féministe que l’œuvre originale ?
A. V. : La série apporte surtout un regard éminemment féminin sur ce personnage. Elle est coécrite par une femme, réalisée par une femme et raconte l’histoire de cette jeune femme avec tous ses désirs. Elle dresse un portrait très juste de Merteuil, avec ses sentiments, ses sensations psychiques, émotionnelles et charnelles. Comme le disait Diane [Kruger] à l’instant, elle analyse ses peurs avec beaucoup de profondeur. Elle va au-delà des apparences, pour plonger dans l’intime, dans ce qui peut nous troubler, nous déstabiliser ; dans ce qu’on peut avoir envie d’avoir de digne, dans ce qu’on peut nous imposer, ce qu’on attend de nous, et ce à quoi on essaie d’échapper.

D’autant plus que l’intrigue se déroule à une période assez intéressante. À cette époque, les femmes étaient emprisonnées dans des costumes, dans des robes. Lors d’un précédent échange, Diane [Kruger] le disait très justement : elles étaient “décoratives”. Mais en même temps, elles voulaient sortir de cette cage. Et étrangement, elles le faisaient sans tabou. Elles avaient une sexualité qui était beaucoup plus épanouie et plus audacieuse que ce qu’on peut parfois entendre dans les discours d’aujourd’hui. Bien qu’elles le fassent dans le secret et dans l’intime – c’était trop tabou de parler de ça –, elles avaient, par exemple, décidé d’entrer dans le libertinage pour échapper aux hommes.
Elles avaient choisi de se réapproprier leur corps et d’en disposer comme elles le souhaitaient, de coucher avec qui elles voulaient, quand elles le voulaient. Aujourd’hui, ce discours peut paraître normal, c’est une idéologie tout à fait banale de nos jours. Mais, à l’époque, sortir des cadres imposés était très audacieux. Donc pour vous répondre : Merteuil est une série très audacieuse.
Anamaria, vous aviez déjà collaboré avec Jessica Palud sur le très attendu et salué Maria. Qu’avez-vous appris, toutes les deux, au contact de cette réalisatrice durant le tournage de Merteuil ?
D. K. : Je la trouve géniale, parce qu’elle a énormément d’énergie. Déjà, le tournage des séries va beaucoup plus vite que celui d’un film : on tournait 10 à 12 pages par jour. Il faut aussi garder à l’esprit que les séries d’époque demandent une préparation très importante. Il y avait des heures de maquillage et de coiffure, et les costumes étaient assez techniques à enfiler. C’était un quart d’heure, rien que pour passer une robe ! Il y avait deux femmes pour serrer le corset derrière, remettre la fleur, les chapeaux, etc. C’était intense.

Ce type de production demande aussi une réécriture quotidienne. On ajuste, on adapte. Je ne suis pas française, et je dois avouer que je me battais vraiment tous les jours avec ce texte. Je n’ai pas fait beaucoup de films d’époque – j’ai joué une fois Marie-Antoinette –, mais je suis toujours frappée par cette langue. Tout est détourné : on prend des pincettes pour dire des choses finalement très simples.
Le challenge était de rendre cette série moderne pour qu’elle séduise aussi les jeunes spectateurs. Jessica [Palud] avait à cœur qu’ils y trouvent du plaisir et de l’intérêt, et je la félicite pour ça. Elle n’a pas dû dormir pendant un an et demi pour faire cette série. [Rires] C’est un travail de fou.

A. V. : L’expérience de Maria a été très forte. On n’en est pas sorties indemnes, mais dans le bon sens du terme. Après le tournage, on s’était promis que, si on se retrouvait – et c’est ce qu’on désirait toutes les deux –, ce serait avec un rôle encore plus challengeant, encore plus fort. Cette série de six épisodes nous a effectivement permis d’aller encore plus loin dans la nuance et dans la complexité de ce personnage. J’ai beaucoup aimé cet aspect. Je me suis dit que je m’autoriserai peut-être à faire des choses que je ne ferais pas au cinéma.
Ce que j’aime chez Jessica [Palud], c’est aussi son envie d’emmener ses acteurs à des endroits qu’ils n’avaient pas encore expérimentés et où on ne les avait pas encore vus. C’est chouette, parce qu’on se sent boosté et porté par quelqu’un qui nous permet d’aller sur de nouveaux terrains de jeu. C’est formidable en tant qu’actrice ou acteur.
Ce qui m’a particulièrement marquée, c’est l’alchimie entre vos deux personnages, Isabelle de Merteuil et Mme de Rosemonde. Comment avez-vous créé cette dynamique ?
D. K. : On n’a pas eu énormément de temps pour répéter et se voir avant le tournage, mais, en réalité, c’était très agréable de jouer avec Anamaria [Vartolomei]. Elle était tellement bien préparée. C’est d’ailleurs ce que je lui ai dit à la fin de cette aventure : j’aurais aimé avoir des épaules aussi solides à 26 ans. Ce n’est pas évident de porter une série comme celle-ci à son âge. En tout cas, j’ai pris beaucoup de plaisir à partager des scènes avec elle. On se répondait vraiment du tac au tac.

La série montre combien la beauté, le corps et la mise en scène de soi peuvent devenir des instruments de pouvoir. Mais jusqu’où ces armes restent-elles libératrices, et à partir de quand se retournent-elles contre celles qui les utilisent ?
A. V. : C’est intéressant, parce que cette question me fait penser à une vidéo que j’ai regardée hier. C’était un TED Talk sur la thématique “Comment devenir soi-même”. L’intervenant soulignait le fait qu’on vit dans une société dans laquelle la valeur de quelqu’un se mesure à son apparence. On y prête beaucoup, beaucoup d’importance parce qu’on pense que c’est ce qui nous définit, alors qu’en réalité, c’est bien plus profond que ça.

Dans un épisode, mon personnage s’adresse à cette femme de foi et lui dit cette réplique, qui est plutôt juste et frappante : “Sainte ou putain, nous n’avons que mieux choisi nos armes pour nous protéger des hommes.”
Si la religion permettait à certaines femmes d’échapper à un mariage forcé et d’éviter de coucher avec une personne qu’elle n’avait pas choisie, le libertinage permettait à d’autres de disposer de leur corps comme elles l’entendaient.
Merteuil, une série en six épisodes diffusée dès le 14 novembre 2025 sur HBO.