En cette fin d’année 2025, la bande dessinée interroge la masculinité avec audace et intelligence. Témoignages, autobiographies et fictions en dénoncent les dérives toxiques à travers des récits poignants, ou la titillent avec humour pour mieux la reconstruire. Voici notre sélection.
| Coup de poing : Rouge Signal, de Laurie Agusti
Venue de l’album jeunesse, Laurie Agusti signe Rouge signal, un roman graphique glaçant sur la radicalisation d’un jeune cadre solitaire vers le masculinisme. L’autrice mène brillamment deux histoires parallèles qui se rejoignent tragiquement. D’un côté, un groupe de jeunes femmes pleines de vie dans un nail bar, qui partagent confidences et rires.
De l’autre, Alexandre, séducteur malaisant, évoluant dans un univers professionnel régi par une masculinité toxique, qui l’encourage à penser que les femmes sont responsables de son mal-être. Les contenus dont il se nourrit sur les réseaux sociaux ne font que renforcer cette conviction. Très bavard et flirtant graphiquement avec l’abstraction, Rouge signal tire la sonnette d’alarme. Un album qui marque durablement !
| Filiation : La mise à mort du tétras lyre, de David Combet
« Tu deviens un vrai homme des montagnes. » C’est avec ces mots, prononcés sur le ton de la complicité, qu’un chasseur assène à son fils Pierre un véritable coup de poignard. Alter ego de l’auteur David Combet, l’adolescent, amoureux de la nature, de l’art et bientôt de ses semblables, ne se reconnaît pas dans ce père plutôt conservateur.
Le récit oscille entre balades en montagne musclées – qui montrent Pierre de l’enfance à l’âge adulte –, et la vie actuelle de ce dernier, où nous le découvrons tentant de s’épanouir en déconstruisant les valeurs virilistes qui lui ont été enseignées. Avec douceur et poésie, David Combet nous accompagne dans cette rude randonnée vers l’indépendance.

| Violence : Nos pères, nos frères, nos amis, de Mathieu Palain et Valentin Maréchal
Deux ans après sa parution aux Arènes, Mathieu Palain adapte en bande dessinée son enquête choc Nos pères, nos frères, nos amis (prix Interallié 2021), grâce au trait percutant de Valentin Maréchal. Nourrie de témoignages forts et d’un travail journalistique rigoureux, la BD explore la violence des hommes tout en interrogeant la construction de la masculinité dès l’enfance.
Entre honte et déni, certains se livrent sans pudeur, dialoguant ainsi indirectement avec les femmes victimes qui livrent leurs versions des faits. Mieux encore, Mathieu Palain s’interroge sur sa propre violence et invite le lecteur à se remettre en question : une étape essentielle, selon lui, pour entreprendre la déconstruction d’un système dominant comme celui du patriarcat.
| Consentement : Une obsession, de Nine Antico
Après Madones et Putains (prix Artémisia et prix Les Inrockuptibles 2024), Nine Antico remet sur la table la question du consentement avec Une obsession : un témoignage cathartique et nuancé.
Au fil des pages, l’autrice s’interroge sur sa sexualité. Pour comprendre l’origine de ses maux, elle remonte le cours de son existence jusqu’à un certain C., un jeune homme de 18 ans qui a abusé d’elle lorsqu’elle en avait 7, tout en lui faisant éprouver du plaisir. Ainsi, la question du consentement s’impose. La réponse de Nine Antico est sans ambiguïté : des années de traumatismes enfouis qui ressurgissent ici, dans un noir et blanc tranchant et particulièrement expressif.
| Abus de pouvoir : Des filles normales, de Manon Debaye
Après La falaise (Prix Philippe Druillet/Galerie Barbier), Manon Debaye brosse le portrait d’adolescentes solaires sous l’emprise d’un homme, mais pas n’importe lequel : Isaac Dean, la rockstar qu’elles vénèrent ! L’été de leurs 16 ans, Alice, Maé et Giulia tombent dans les mailles de son filet. Lolita fragile, Alice retient particulièrement son attention, sous le regard jaloux de ses amies, aveugles au danger.
Dans l’intimité, l’artiste révèle son vrai visage : manipulateur et dominateur. Dans des tons pastel, contrastant subtilement avec la violence du propos, Manon Debaye met en lumière le désenchantement né d’une relation toxique à l’issue tragique et irréversible. Poignant !
| Sexualité au-delà des clichés : Pénis de table, tome 2, de Cookie Kalkair
Après le succès de Pénis de table 1, Cookie Kalkair dévoile un second tome tout aussi drôle, cru et documenté, mais jamais salace. L’auteur libère enfin la parole des hommes sur leur sexualité, en se plaçant loin des discussions virilistes qui ont lieu dans les vestiaires saturés de testostérone.
Ici, sept hommes très différents se mettent à nu avec sincérité, sans jugement ni tabou, pour redessiner la sexualité masculine. Ils abordent avec sensibilité et subtilité des thèmes non traités dans le tome 1, tels que le porno ou encore l’érotisme masculin. Une saine révolution.