Comédienne et musicienne originaire de Poitiers, ex-leader du groupe féminin post-punk Savages, qui a joui d’une belle réputation dans les pays anglo-saxons, Jehnny Beth dévoile You Heartbreaker, You, un second album solo saturé de metal et de hardcore, comme un cri libérateur. Rencontre avec l’artiste pour cette sortie événement de la fin de l’été.
Entre le cinéma et la musique, son cœur balance. Pour éviter de faire un choix cornélien, Camille Berthomier, alias Jehnny Beth, a choisi de mener les deux carrières de front. Côté grand écran, elle investit les salles obscures en jouant dans Les olympiades (2021) de Jacques Audiard, Anatomie d’une chute (2023) de Justine Triet, ou plus récemment Différente (2025) de Lola Doillon. Actuellement, elle est à l’affiche de la nouvelle minisérie britannique Hostage, diffusée sur Netflix, depuis le 21 août 2025.
Côté scène, après le duo John & Jehn, elle devient en 2011 la voix de Savages, groupe de post-punk londonien qui s’impose outre-Manche. En 2016, elle fait une pause pour se lancer dans un premier projet solo remarqué, To Love is To Live, et désormais un second, You Heartbreaker, You. Cet opus enivrant s’ouvre sur un cri annonciateur d’une nouvelle direction artistique qui lui sied à merveille.
Un cri qui donne le la
Ce cri puissant et surprenant résonne dès l’intro de Broken Rib, premier single et titre de l’album. « Ce n’est pas un cri de guerre, c’est un cri d’éveil, comme un gros réveil-matin, qui est là pour capter l’attention. Toute forme d’art est en partie cathartique, mais je n’écris pas des chansons pour résoudre mes problèmes. J’instaure des dialogues, je crée des échanges. Ce cri sert à interpeller l’auditeur, avec humour », explique Jehnny Beth depuis le Brésil, où elle tourne La professeure de français, un film d’épouvante queer signé Ricardo Alves Jr..
On en trouve aussi dans le clip, où la représentation physique de ce cri est volontairement exagérée, dans une démarche presque surréaliste. Broken Rib, qui signifie « côte cassée » en français, évoque une douleur interne, une symbolique que tout le monde peut comprendre. « C’est une douleur quotidienne, provoquée à chaque respiration, et qui me sert à parler des douleurs de la vie en général », détaille Jehnny Beth.
Ce cri n’est pas placé là par hasard. Il donne aussi habilement la tonalité de You Heartbreaker, You : résolument hardcore. Une inspiration née lors de sa dernière tournée aux côtés de Queens of the Stone Age, aux États-Unis, où elle s’est produite dans des festivals de heavy metal comme l’Aftershock, partageant l’affiche avec Korn et Tool. Sur scène, devant des publics passionnés par cette musique extrême et cette contre-culture, quelque chose s’est manifesté en elle : « Évidemment, j’ai adoré les groupes qui s’y produisaient, mais j’ai été surtout conquise par l’énergie instantanée du public, qui correspondait exactement à celle que je recherchais. »
Une machine à riffs
À son retour, encore imprégnée par cette ambiance, Jehnny Beth convoque son fidèle collaborateur, Johnny Hostile. Elle lui propose alors de se métamorphoser en véritable machine à riffs pour composer ce que l’artiste appelle un « hardcore séducteur » : mission accomplie. You Heartbreaker, You s’inscrit dans la digne lignée de Quicksand, groupe originaire de New York, emblématique du post-hardcore américain des années 1990, et qui a fortement influencé Deftones.
Titres aux crescendos explosifs et jubilatoires, Obsession et Out Of My Reach en sont de parfaits exemples. D’autres, comme No Good for People, penchent davantage vers le rock industriel et le grunge de Garbage, mais avec un son plus brut et rêche. Teinté de douceur, pour mieux bousculer ensuite l’auditeur, Stop me Now offre quant à lui une mélodie détonante, comme une respiration bienvenue dans ce tourbillon électrique et orageux de neuf titres, dont le point culminant se trouve dans la chanson High Resolution Sadness, profondément ancrée dans l’âge d’or du métal.
« J’ai beaucoup écouté Mike Patton pour travailler sur des murmures, des cris et des envolées presque opératiques. »
Jehnny BethMusicienne et comédienne
Pour autant, Jehnny Beth ne rentre pas entièrement dans cette case : « Je ne cherche pas à m’approprier cette culture qui n’est pas la mienne, je m’en inspire. Je voulais proposer un jeu de chant varié et ne pas rester dans une seule tonalité, comme j’ai pu le faire avec Savages. J’ai beaucoup écouté Mike Patton pour travailler sur des murmures, des cris et des envolées presque opératiques ou encore jouer sur des contrastes. »
Ainsi, avec You Heartbreaker, You, elle présente un nouveau visage de sa personnalité musicale, qu’elle compte bien approfondir et développer au cours des prochaines années. Une aubaine pour la scène française, qui compte peu d’artistes de cette trempe.