Ce sous-genre issu du monde de la fanfiction envahit la littérature boy’s love et crée la controverse depuis quelques années.
C’est un terme bien connu des communautés spécialisées dans le boy’s love et le yaoï, mais aussi des librairies spécialisées. Depuis deux ans, une vingtaine de mangas mettant très majoritairement en avant des histoires d’amour homosexuelles sont parus en France. Le dernier exemple en date ? La série courte L’omega du Palais, parue chez Hana Books le 6 août. Mais derrière tout le jargon « d’omega », de « chaleurs », « d’α/β/Ω » et autres « paires des destinées » se cache en réalité un genre à la fois complexe et parfois controversé.
Un style de récit issu de la fanfiction
Les origines de l’omegaverse ne se situent pas exactement dans le monde du manga, mais dans celui de la fanfiction de séries télévisées, au début des années 2010 – plus précisément d’un challenge d’écriture organisé en juillet 2010 sur la plateforme Livejournal et toujours en ligne à ce jour.
L’autrice y imaginait les personnages de la série dans des rôles d’Alpha et d’Omega, sur le modèle de la hiérarchie supposée de certains animaux vivant en meute – une théorie aujourd’hui largement considérée comme erronée. Le concept se répand rapidement les années suivantes et commence à faire émerger ses propres codes et ses propres communautés à partir de 2013 (source : fanlore)

La plupart des récits, fanfictions comme histoires originales, se structurent autour d’une conception du monde dans laquelle les humains peuvent tous porter des enfants, hommes compris. La société y est hiérarchisée selon le type de phéromones produites par les différents types de mâles : les alpha, minoritaires, dominent les autres.
Les bêtas constituent le gros des troupes et les omegas sont quant à eux dominés. Ces derniers portent les enfants et sont victimes de périodes de chaleur durant lesquelles ils attirent les autres hommes pour les pousser à l’accouplement. Le comportement des sociétés humaines y est donc décrit comme celui, fantasmé, d’une meute de loups, le tout étant transposé selon un système de castes.
Quand le manga invente ses propres codes
Assez rapidement, les récits de type omegaverse ont quitté le domaine des fanfictions européennes pour se répandre partout dans le monde et gagner une énorme popularité en Corée, en Chine et au Japon depuis dix ans. De nombreuses dessinatrices de boy’s love et de yaoï (des récits mettant en scène des histoires d’amour entre hommes) s’emparent alors du phénomène et dessinent les premiers mangas omegaverse.
Le sujet est un terrain de jeu particulièrement fertile pour des autrices issues des dojinshi (les fanzines amateurs) ou publiant prioritairement sur le web, à l’image de la série Sayonara Koibito Mata Kite Tomodachi de Yoha, l’un des premiers webmangas à succès du genre. Rapidement, ces récits ultra-intenses, souvent érotiques (parfois pornographiques) envahissent les yaoï et inventent leurs propres codes.

Les mangas omegaverse ont ainsi développé leur propre terminologie, capitalisant sur celle qui existait déjà. Ils ont notamment inventé la caste des enigma, supposée dominer toutes les autres, et ont ajouté dans certaines histoires de nouveaux genres, indépendants de la caste. En France, le phénomène se diffuse en librairie dès 2017, d’abord de manière confidentielle avec des œuvres comme Yes – My Destiny, puis à travers des plateformes de lecture en ligne comme delitoon et piccoma avec Romance Pheromonale et So Sweet. Depuis, le phénomène se décline massivement et ouvertement en librairie avec des séries très suivies comme Megumi and Tatsumi ou The Teijo Academy.
Des représentations contestables ?
Comme le souligne longuement l’influenceuse ColeyDoesThings dans une vidéo d’explication, les fictions estampillées omegaverse peuvent être tous publics, mais d’autres s’adressent à une audience très adulte et très avertie. Par sa manière de mettre en scène une organisation sociale basée sur la domination (souvent violente), ce sous-genre s’approche parfois des codes du BDSM, sans avoir autant de scrupules sur les notions de trigger warning et de consentement.
De plus, certains récits reprennent volontairement – ou non – des stéréotypes machistes en transposant dans des romances homosexuelles une vision très rétrograde du couple, comme le pointe un article de R.Horrigan sur Medium. C’est aussi ce qui a poussé nombre d’autrices de mangas à conserver certains fondamentaux de l’omegaverse, tout en s’éloignant de ses aspects les plus controversés. Notamment parce que ces derniers rebutent fortement une partie du public potentiel.
Ce canevas d’univers permet également d’aborder des questions de couple, de violence domestique, d’organisation sociale et même de droits humains. On pense particulièrement à la jolie série Tadaima Okaeri – Bienvenue à la maison ! d’Ichi Ichikawa, récemment adaptée à l’écran sur Crunchyroll, qui s’intéresse à l’homoparentalité au Japon.
Dans un article de la prestigieuse revue East Asian Journal of Popular Culture, le chercheur de l’université de Sheffield Callum Hew Sarracino estime que les mangas omegaverse sont progressivement devenus un véhicule narratif pour évoquer très frontalement, et sous le couvert de relations fantasmées, des problématiques bien réelles de la dynamique de couple au Japon.
Un contexte qui explique sans doute que les titres déjà parus ou annoncés en France dans cette catégorie l’aient été en grande majorité chez des éditeurs spécialisés comme Hana Book ou Taifu comics ; des entreprises habituées à vendre des ouvrages pour un public averti et à sélectionner les œuvres les plus abordables dans des genres de niche.