Avec plus d’un million d’écoutes mensuelles, le groupe The Velvet Sundown s’est hissé dans les radars des amateurs de folk rock vintage. Sauf que ce groupe n’existe pas : tout, de la voix aux visuels, a été généré par intelligence artificielle. Histoire d’une success-story en trompe-l’œil.
Des harmonies langoureuses, un chant feutré, des guitares aux sonorités seventies… En quelques jours, The Velvet Sundown a envoûté des centaines de milliers d’auditeurs et d’auditrices, atteignant la barre du million d’écoutes mensuelles sur Spotify (1,1 à 1,2 million selon les titres). Deux albums mystérieusement déposés en juin, pas de concerts, pas de promotion, des visuels, publiés sur Instagram, trop léchés pour être honnêtes : les indices étaient là. Et pourtant, longtemps, personne n’a vu venir la supercherie.
En coulisses, c’est pourtant l’intelligence artificielle qui tire les ficelles. Ce n’est ni un duo en cavale ni un collectif underground : c’est un algorithme qui compose, chante, joue, mixe. Le projet se veut expérimental, presque provocateur. Il est même revendiqué comme tel dans la bio officielle mise à jour récemment sur Spotify : « Une provocation artistique, une exploration de la créativité à l’ère des intelligences génératives. » Les artistes apprécieront… ou pas.
Une IA qui se prend – presque – pour Neil Young
Le plus troublant, c’est la justesse du ton. Voix granuleuse façon Neil Young, nappes sonores à la Fleetwood Mac, structures pop parfaitement calibrées. La plupart des auditeurs n’y ont vu que du feu. Pas un soupçon d’artificiel dans ces ballades mélancoliques. Et même Spotify n’y a rien vu à redire. Elle qui, comme les autres plateformes musicales, interdit explicitement l’imitation vocale directe sans consentement. Influence, contrefaçon… Le flou juridique est bien réel. Des procès, en cours, pourraient bientôt y apporter davantage de clarté.
Selon plusieurs experts du secteur musical, cités notamment par The Guardian et The Next Web, les outils utilisés pour créer The Velvet Sundown incluraient Suno ou Udio, deux générateurs de musique assistée par IA. Ils permettent de produire des morceaux « originaux » à partir de simples descriptions textuelles. Ajouter un riff ? Un solo ? Une ambiance moody ? Tout est possible. La frontière entre pastiche, création et pillage devient alors difficile à tracer.
« Une ballade folk mélancolique avec harmonies vocales et guitare slide », et hop, voilà un titre prêt à être publié ! Dans le cas de The Velvet Sundown, on ne sait toujours pas qui est à l’origine du projet. Ce flou est volontaire. Il fait partie de « l’expérience ».

L’alerte des professionnels contre The Velvet Sundown… et les autres
Pour les professionnels de la musique, cette percée est tout sauf une anecdote. Ed Newton-Rex, fondateur de l’association Fairly Trained, tire la sonnette d’alarme : « C’est exactement ce que les artistes craignaient. C’est du vol déguisé en concurrence. » La transparence manque cruellement. Jusqu’à peu, rien n’indiquait que The Velvet Sundown était une fabrication algorithmique. Pas de label, pas de signature, aucune mention visible. Pour l’auditeur, l’illusion était totale.
Certaines plateformes comme Deezer ont pris les devants en marquant désormais ces morceaux comme « générés par IA ». D’autres, comme Spotify, tardent à réagir, alors même que la plateforme est accusée depuis des années de favoriser les « fake artists » – ces profils obscurs créés pour alimenter des playlists à moindre coût. Dans ce contexte, l’émergence de groupes totalement artificiels pourrait aggraver la crise de la rémunération des artistes.
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Une faille dans l’algorithme
Ce succès inattendu met en lumière un angle mort du streaming : les algorithmes recommandent les titres sur la base de critères comme l’ambiance, le tempo ou les préférences d’écoute… Pas sur leur origine humaine. Un morceau généré par IA peut ainsi grimper dans les classements comme n’importe quel autre. Résultat : l’intelligence artificielle n’est plus seulement un outil d’aide à la création. Elle devient créatrice à part entière, et même concurrente.
Et le public dans tout ça ? S’il semble encore indifférent à l’origine des morceaux, plusieurs voix commencent à demander plus de clarté. Savoir si ce qu’on écoute est humain ou non devrait relever du droit à l’information, pas d’un jeu de piste entre plateformes, journalistes tech et geeks en quête de vérités.
Il ne faudra pas non plus espérer de billets pour le prochain concert du « groupe », à moins que ses créateurs ne misent sur des hologrammes, eux aussi créés à l’aide de l’intelligence artificielle. En revanche, les revenus, eux, non rien d’irréels.
Et maintenant ?
The Velvet Sundown ne sera sans doute pas un cas isolé. D’autres « groupes » IA sont déjà en train d’émerger, dans tous les styles musicaux. Ils sont certainement déjà « parmi nous ». Certains surfent sur le buzz, d’autres restent discrets, injectés dans les playlists comme des titres lambda. Pour les plateformes, c’est une opportunité économique. Pour le public, une expérience passive. Et pour les créateurs, une zone grise de plus.
Faut-il interdire ? Réglementer ? Imposer un étiquetage clair ? Le débat ne fait que commencer. Mais une chose est sûre : en écoutant The Velvet Sundown, ce n’est pas un artiste qu’on découvre. C’est une époque qu’on entend.