Critique

Too Much : la rom com de Netflix signe-t-elle le retour en grâce de Lena Dunham ?

10 juillet 2025
Par Marion Olité
“Too Much”, le 10 juillet 2025 sur Netflix.
“Too Much”, le 10 juillet 2025 sur Netflix. ©Netflix

Une décennie après Girls, Lena Dunham est de retour le 10 juillet sur Netflix avec une dramédie attachante sur les amours d’une trentenaire expatriée à Londres.

C’était « la voix de sa génération », comme le proclamait son alter ego fictif, Hannah, dans Girls (lancée en 2012 sur HBO). Avec sa façon inédite de raconter l’intimité d’une bande de copines millennials, la jeune femme de 26 ans captait avec brio les aléas des premières épreuves de la vie d’adulte, du monde du travail aux amitiés, en passant par la sexualité. Alors que les réseaux sociaux entraient en scène, Lena Dunham est aussi devenue une personnalité féministe sans filtre, dont les sorties médiatiques ont créé plusieurs polémiques, à tort ou à raison.

L’après-Girls a été chaotique pour la scénariste précoce : sa deuxième série en tant que créatrice, la poussive Camping (2018), centrée sur la crise de la quarantaine, a divisé la critique. Elle est alors revenue à ses premières amours cinématographiques en réalisant le film indé Sharp Stick (2022) et la comédie médiévale Catherine Called Birdy (2022), portée par Bella Ramsey. Lena Dunham a aussi poursuivi sa carrière d’actrice, jouant dans la saison 7 d’American Horror Story (2017) ou plus récemment dans le film Treasure (2024). Il aura fallu attendre 2025 pour qu’elle se lance à nouveau dans la création d’une série.

Lena in London

Disponible le 10 juillet sur Netflix, Too Much suit les péripéties de Jessica (Megan Stalter), une Américaine over the top qui débarque à Londres pour son travail, après une rupture éprouvante. Alors qu’elle prend ses marques, Jess rencontre Felix (Will Sharpe), un musicien indie qui ne tarde pas à la faire craquer. Mais cette drama queen est-elle prête à aimer à nouveau, sous la grisaille londonienne ?

Meg Stalter dans Too Much.©Netflix

Pour le meilleur et pour le cringe, on retrouve dans Too Much la patte drôle et crue de Lena Dunham, qui a fait le succès de Girls. Et force est de constater qu’elle s’expatrie à merveille en Angleterre. La réalisatrice investit les lieux londoniens caractéristiques, avec des séquences dans des pubs, dans le quartier touristique de Notting Hill ou dans un château anglais typique.

De Jane Austen à Paddington, en passant par Bridget Jones (Jess est sûre que le film s’appelle « British Jones »), elle multiplie aussi les références à la pop culture anglaise, sans pour autant renier son style. Exit Emily Paris, Lena Dunham nous embarque ici dans le Londres boho.

Adwoa Aboah et Will Sharpe dans Too Much.©Netflix

Les fans de Girls ne seront pas dépaysés : en digne héritière du mumblecore, Lena Dunham retourne à ses racines indé. Née au milieu des années 2000, cette mouvance du cinéma indépendant américain désigne des œuvres plutôt fauchées qui racontent de façon réaliste des tranches de vie de vingtenaires et de trentenaires. Les premiers films de Greta Gerwig, Barry Jenkins et Lena Dunham ont par exemple été qualifiés de mumblecore.

Too Much en contient une dose généreuse, mais Lena Dunham dispose de beaucoup plus de moyens qu’à l’époque de son premier film, Tiny Furnitures (2010). Ce qui lui permet de tourner à Londres, de se payer des costumes stylés (les tenues « too much » de Jess font partie intégrante de sa personnalité) et d’inviter des guests prestigieux comme Naomi Watts, Andrew Scott, Kit Harington, Emily Ratajkowski ou encore – cocorico – Adèle Exarchopoulos en parodie de la « française sexy ».

Une rom com qui démystifie l’amour

Mais le style de Lena Dunham, avec ses scènes réalistes et crues, n’est-il pas un tue-l’amour par excellence ? Celles et ceux qui s’attendent à une romance hétérosexuelle classique seront désarçonnés, en particulier par l’approche de la sexualité : un rapport alors que Jess se lave les dents, une séance de crachat dans la bouche, Jess qui court aux toilettes juste après le sexe pour aller faire pipi et ne pas choper une infection urinaire (une préoccupation déjà présente dans Girls)… En revanche, le public qui connaît la showrunneuse sera ravi de retrouver des vibes proches de celles de sa série culte.

Will Sharpe et Meg Stalter dans Too Much.©Netflix

Du fait de leurs thématiques proches et de la forte identité artistique de sa créatrice, Girls et Too Much sont comparables. Pour autant, la petite dernière possède sa propre personnalité, et elle porte le nom de Megan Stalter. Révélée par un autre rôle « too much » (Kayla dans la comédie Hacks), la comédienne américaine est absolument géniale dans celui de Jessica.

Elle parvient à s’approprier les dialogues et un phrasé « dunhamien » très spécifique (le même que celui d’Hannah dans Girls), tout en insufflant de la vulnérabilité à un personnage souvent en hyperventilation. Son « prince charmant » 2.0, Felix, est incarné par un Will Sharpe plus discret en contraste, mais tout aussi juste, touchant et agaçant que sa dulcinée.

Will Sharpe dans Too Much.©Netflix

Avec son « meet cute » dans un pub, ces nouveaux amants qui apprennent à se connaître dans différentes situations ou ces personnages secondaires loufoques (la famille évidemment « too much » de Jess, dont Lena Dunham dans le rôle très symbolique de la grande sœur, les collègues de travail presque tous queer, les amis de Felix trop hype…), la première partie de Too Much, qui comprend dix épisodes, prend des airs d’adorable comédie romantique indé. Mais la cinéaste n’est pas du genre à rester en surface.

Anatomie d’une relation toxique

Depuis le début de la série, Jess est hantée par son ex, qui file le parfait amour avec une influenceuse (jouée par Emily Ratajkowski) aux courbes à filer des complexes à n’importe quelle femme. Pour extérioriser sa frustration, elle s’adresse à Wendy dans des vidéos qu’elle ne met pas en public. C’est le même procédé que Bridget Jones avec son journal intime, sauf qu’elle s’adresse à sa « rivale ». L’épisode 5 représente un tournant décisif dans la production : après avoir ressenti un moment d’insécurité au milieu des amies de Felix, Jess rentre chez elle et se remémore sa relation avec Zev (Michael Zegen).

Emily Ratajkowski dans Too Much.©Netflix

Les débuts romantiques font bientôt place à des remarques négatives répétitives, qui grignotent petit à petit l’estime de soi de Jess. Il lui reproche de surréagir, se moque de ses tenues, ne supporte plus son chien au point qu’elle finit par s’en séparer. Elle le voit se comporter différemment avec les autres, dont Wendy. Jess finit par le tromper un soir de désespoir et tombe enceinte peu de temps après. Quand elle annonce à Zev qu’elle est enceinte et pense à avorter, il lui répond très froidement que c’est une bonne idée. Mais c’est quand même à elle de rompre.

Meg Stalter dans Too Much.©Netflix

Elle lui dit alors : « Tu m’as battu jusqu’à ma soumission, peut-être pas avec tes poings, mais avec tes mots et ton manque d’amour ». Une relation avec un homme émotionnellement abusif laisse des traces. Et Jess n’est pas la « victime parfaite » : elle est exubérante et elle a trompé Zev. Pour autant, elle a été victime de son comportement et peine à se reconstruire, et à refaire confiance à un homme. Lena Dunham excelle à dépeindre les coins sombres des relations amoureuses, avec un regard féministe et nuancé.

Y croire quand même

Jess n’est pas la seule à devoir faire face à ses démons. De son côté, Felix est en proie à des problèmes d’addiction à l’alcool et aux drogues. Après un repas familial compliqué, il finit par se confier à Jess : il a vécu une enfance traumatisante et très solitaire avec des parents absents et une gouvernante abusive. Il n’a par exemple jamais été bordé avant de dormir. Probablement atteinte du fameux syndrome de l’infirmière, Jess décide alors de le border elle-même pour lui faire connaître ce moment.

Will Sharpe et Meg Stalter dans Too Much.©Netflix

Malgré ce lâcher-prise de Felix, qui s’autorise à pleurer, le jeune homme replonge un épisode plus tard et se montre de plus en plus maltraitant avec Jess. La comédie romantique semble tourner au cauchemar. Lena Dunham évoque en sous-texte ce que les féministes ont beaucoup théorisé ces dernières années : dans les couples hétérosexuels, le travail émotionnel échoue immanquablement aux femmes et c’est épuisant. D’un côté, Jess gère seule ses blessures, avec son journal intime vidéo.

Puis c’est grâce à sa discussion avec une autre femme, la fameuse Wendy, qu’elle achève son travail de deuil de sa relation passée, dans un joli moment de sororité. « C’est comme s’il choisissait des femmes fortes juste pour nous démolir », lance Wendy à propos de Zev. Une réplique qui résonnera certainement auprès de nombreuses spectatrices. De l’autre côté, Jess doit aussi écouter et aider Felix, qui en retour sabote leur relation.

Andrew Rannells et Meg Stalter dans Too Much.©Netflix

Jess et Felix ont conscience de leurs failles. Leur couple durera peut-être un an, peut-être dix, qui sait ? Rien n’est sûr et rien n’est jamais parfait. Mais, malgré les traumas et le patriarcat, Lena Dunham, qui s’est inspirée de sa propre vie pour écrire cette romance avec son mari Luis Felber, veut continuer à y croire. Et vous ?

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