Critique

La série Dope Girls est-elle le nouveau Peaky Blinders ?

20 mars 2025
Par Marion Olité
“Dope Girls”, le 20 mars sur Canal+.
“Dope Girls”, le 20 mars sur Canal+. ©BBC/Bad Wolf/Sony Pictures Television

Inspirée d’une histoire vraie, la production britannique diffusée dès ce 20 mars sur Canal+ vient dynamiter les codes de la série d’époque, comme une certaine Peaky Blinders dans les années 2010. Le tout en apportant une perspective féminine rafraîchissante dans un genre trusté par les hommes.

Créée par Polly Stenham (coscénariste de The Neon Demon), Dope Girls nous plonge dans la période post-Première Guerre mondiale, charnière pour l’évolution des femmes dans la société. Alors que les hommes étaient au front, elles ont pu accéder à des espaces professionnels qui leur étaient interdits. Mais alors que la guerre s’achève, cet état de grâce prend brutalement fin. De nombreuses femmes font face au retour d’un mari violent ou dépressif et se retrouvent reléguées dans l’espace domestique.

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Parmi elles, Kate Galloway (Julianne Nicholson) est virée sans cérémonie d’une boucherie alors que son mari traumatisé rentre du front et finit par se pendre. À la rue avec sa fille adolescente, Kate débarque à Londres, dans le quartier de Soho, où elle connaît une jeune danseuse, Billie, qui accepte de l’héberger.

Les deux femmes s’allient pour créer une boîte de nuit, sous l’œil méfiant d’une famille mafieuse violente, les Salucci, et d’une police non moins brutale. On fait aussi la connaissance de Violet Davies (Eliza Scanlen), l’une des premières femmes policières de l’époque, chargée d’infiltrer ces bars nocturnes où ont lieu divers trafics. Sans surprise, les trajectoires de Kate et Violet sont amenées à se croiser.

L’inévitable comparaison avec Peaky Blinders

Une série d’époque, anglaise, post-Première Guerre mondiale, qui met en scène l’ascension d’un antihéros extrêmement stylé dans un milieu mafieux ? Dope Girls ne pouvait échapper à la comparaison avec Peaky Blinders, alors autant l’embrasser. Au moment de l’annonce de son développement, la BBC évoquait déjà un « successeur spirituel » de la production culte de Steven Knight.

Au-delà de l’appât marketing, les deux shows possèdent effectivement des points communs. Ils sont notamment inspirés de personnes ayant réellement existé : un gang criminel de Birmingham qui cachait des lames de rasoir sous leur casquette d’un côté, une pionnière de la nuit londonienne de l’autre.

Julianne Nicholson dans Dope Girls.©BBC/Bad Wolf/Kevin Baker

Le personnage de Kate Galloway dans Dope Girls est basé sur celui de Kate Meyrick. Séparée de son mari et sans le sou, cette mère de huit enfants se lance dans la vie nocturne londonienne et ouvre son premier établissement, le Dalton, en 1919. Fêtards, gangsters et travailleuses du sexe s’y mêlent.

Après sa fermeture par les autorités, Kate Meyrick fonde le 43 Club sur Gerrard Street : riches décadents et malfrats en tous genres se donnent rendez-vous dans cette boîte de nuit jazzy ouverte jusqu’à 6 heures du matin, avec alcool illicite, soirées dansantes, dîners et même petits-déjeuners. Dans les premiers épisodes de Dope Girls, on suit sa version fictive, Kate, alors qu’elle monte son premier club.

Julianne Nicholson et Umi Myers dans Dope Girls.©BBC/Bad Wolf/Kevin Baker

Traumatisé par la violence de la guerre, souffrant d’un syndrome de stress post-traumatique, l’antihéros Tommy Shelby représente un point de vue masculin sur l’entre-deux-guerres dans Peaky Blinders. Esseulée dans une société patriarcale qui ne tolère les femmes qu’assujetties à leurs maris, l’antihéroïne Kate Galloway se tourne vers le milieu de la nuit pour se sortir de la misère avec sa fille. Elle représente un point de vue féminin inédit sur une époque historique systématiquement racontée dans une perspective masculine.

Les deux séries bénéficient également d’un excellent casting. On a largement mis en avant celui de Peaky Blinders, porté par la performance hypnotisante de Cillian Murphy. Dans le rôle d’une Walter White (elle possède les mêmes motifs, mettre sa famille à l’abri du besoin) en devenir, Julianne Nicholson apporte une détermination sans faille à son personnage.

Eliza Scanlen dans Dope Girls.©BBC/Bad Wolf/Kevin Baker

Un peu comme si son rôle d’épouse était une sorte de masque, tandis que celui de patronne de bar illicite, un job a priori plus dangereux, lui permet de devenir réellement elle-même. Eliza Scanlen, remarquée depuis Sharp Objects, captive aussi les esprits dans le rôle d’une apprentie policière dont la violence cache mal son besoin de reconnaissance.

Un anachronisme assumé

Peaky Blinders et Dope Girls partagent par ailleurs une ambition esthétique commune, celle de restituer l’énergie de l’époque, son champ des possibles grand ouvert (ici, la naissance d’un empire de la nuit), mais aussi sa violence et sa débauche décomplexées. Cela passe par des choix de costumes, de montage et de musique audacieux. La séquence « clippesque » du premier épisode de Dope Girls sonne comme une note d’intention artistique. Kate Galloway, vêtue d’un costume d’ange ensanglanté, se mêle à la foule venue fêter la fin de la guerre sur Trafalgar Square.

Julianne Nicholson et Umi Myers dans Dope Girls.©BBC/Bad Wolf/Kevin Baker

Shannon Murphy, la réalisatrice des six épisodes, détaille : « C’était une époque très créative, la mode était alors fascinante et je voulais que le public expérimente ce que cela pouvait donner. Pour ce faire, nous avons opté pour une explosion de couleurs et d’énergie, sans être totalement authentiques, que ce soit au niveau de la musique ou de l’apparence des danseurs, nous avons opté pour une version plus moderne. »

Musique électro, insert de textes qui apportent une touche méta (à la façon du film Le journal de Bridget Jones, où s’affichent les unités d’alcool ou de clopes consommées par Bridget, la série affiche avec une typo stylisée le nombre de meurtres ou de vols commis par Kate), costumes revisités… Les fans de dramas d’époque traditionnels passeront leur chemin.

Michael Duke et Umi Myers dans Dope Girls.©BBC/Bad Wolf/Kevin Baker

Dope Girls ne cherche pas le réalisme historique. À l’image d’autres séries d’époque créées ces dernières années et centrée sur des femmes (Dickinson, Gentleman Jack, My Lady Jane…), elle assume un regard progressiste et inclusif. Le personnage de Billie, brillante danseuse à la santé mentale précaire, permet d’aborder le point de vue d’une artiste fauchée et femme racisée vivant à cette époque.

Dope Girls devrait ainsi toucher un public plus large que les fans de Downton Abbey & co. On se laisse embarquer dans les bas-fonds mi-glauques, mi-glamour du quartier de Soho à travers la trajectoire de ces femmes, ni déesses ni mères sacrificielles, qui tentent de survivre et osent même rêver de prospérité dans un milieu hostile. Le show contient sa dose de violence, de sexe et de méchants vraiment méchants.

Dope Girls, dès le 20 mars sur Canal+.©BBC/Bad Wolf/Grant Royce

On peut lui reprocher une écriture qui ne fait pas dans la dentelle. Il faut avouer qu’avec ses tropes (le mafieux italien fils à sa maman, les danseuses exotiques, les flics et les politiques corrompus), la série mafieuse n’invite pas franchement à la subtilité. Diffusée sur BBC One en Angleterre, Dope Girls a été acquise par Canal + en France. Un choix cohérent pour la chaîne cryptée, qui a produit Maison close, au tournant des années 2010.

Cette production au casting majoritairement féminin s’intéressait à un bordel de luxe dans le Paris de la fin du XIXe siècle. A contrario de Dope Girls, Maison close est produite et créée par Jacques Ouaniche, et réalisée par des hommes. Laisser les femmes apporter leur vision de la grande histoire dans les imaginaires collectifs, c’est aussi là que se niche l’enjeu des séries historiques.

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