Critique

La résidence : la série de Shonda Rhimes renouvelle-t-elle le genre du whodunit ?

20 mars 2025
Par Marion Olité
“La résidence”, le 20 mars sur Netflix.
“La résidence”, le 20 mars sur Netflix. ©Netflix

Vous attendez impatiemment la prochaine saison d’Only Murders in the Building ? Pour répondre à nos envies de murder party, Netflix dévoile ce 20 mars une nouvelle série produite par Shonda Rhimes.

Exit les froufrous de Bridgerton. La nouvelle production du Shondaland, pas étrangère au genre policier (souvenez-vous de How to Get Away with Murder) se frotte à nouveau au récit à énigme criminelle. La résidence nous invite dans les couloirs de la Maison-Blanche. Un dîner d’État avec une délégation australienne tourne au désastre quand A. B. Wynter (Giancarlo Esposito), l’huissier en chef de la Maison-Blanche, est retrouvé sans vie dans les étages supérieurs. Cordelia Cupp (Uzo Aduba, découverte dans Orange is the New Black), détective aussi brillante qu’excentrique, est appelée à la rescousse pour trouver le ou la coupable. Elle va alors s’intéresser en particulier au personnel éclectique chargé de s’occuper quotidiennement de « la résidence » et de ses habitants.

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Whodunit, mode d’emploi

La série appartient au sous-genre du whodunit (« qui l’a fait ? »). Popularisé en littérature par Agatha Christie (Ils étaient dix) ou John Dickson Carr (Arsenic et boutons de manchette), ce sous-genre policier repose sur des codes précis. Un groupe de personnes se retrouve coincé dans un lieu où un meurtre vient d’être commis.

Paul Fitzgerald, Barrett Foa, Kylie Minogue, Ken Marino, Dan Perrault et Uzo Aduba dans La résidence.©Netflix

Un détective aux méthodes singulières est alors chargé de trouver le criminel, en passant au peigne fin les divers indices et en interrogeant les suspects. Efficaces et divertissants, ces récits à la Cluedo invitent le public à jouer lui-même à l’apprenti détective. Pour rester satisfaisant, un bon whodunit ne cache pas d’indices et ne sort pas du chapeau un coupable dont on n’a jamais entendu parler avant.

S’il a toujours été très populaire, le genre du whodunit connaît un regain d’intérêt sur les écrans depuis le succès du film À couteaux tirés (2019, une suite en 2022 et un troisième volet attendu en 2025) et de la série Only Murders in the Building, diffusée depuis 2021.

Selena Gomez, John Hoffman et Steve Martin dans Only Murders in the Building.©Hulu

Portée par un savoureux trio de détectives joués par Selena Gomez, Steve Martin et Martin Short, cette dernière a revitalisé le genre sur le petit écran. On a vu apparaître des whodunit au ton comique comme The Afterparty (2022) ou Poker Face (2023), ou mélangés au teen drama à l’instar d’A Good Girl’s Guide to Murder (2024). Pas étonnant, donc, que la super-productrice Shonda Rhimes s’y intéresse.

De la série médicale (Grey’s Anatomy) au thriller politique (Scandal) en passant par la romance à la Jane Austen (Bridgerton), les séries du Shondaland ont bousculé divers genres sur le petit écran. On était d’autant plus curieuses de découvrir comment La résidence allait jouer avec celui du whodunit.

Un whodunit énervé

Aux manettes de cette saison de huit épisodes, on retrouve Paul William Davies, un ancien scénariste de la série Scandal (2012-2018), qui se déroulait déjà en bonne partie à la Maison-Blanche. Pour décrire les coulisses de ce lieu de pouvoir, il s’est inspiré du best-seller La résidence : dans l’intimité de la Maison-Blanche, écrit par Kate Andersen Brower en 2016. L’homme est aussi un grand fan de whodunit, au point d’avoir appelé sa fille « Agatha » en deuxième prénom.

Isiah Whitlock Jr., Dan Perrault, Spencer Garrett, Uzo Aduba, Randall Park, Andrew Friedman, Ken Marino et Molly Griggs dans La résidence.©Netflix

Parmi les ingrédients indispensables à la recette d’un whodunit réussi, il cite dans le communiqué de presse de la série : « Avoir une bonne victime et un bon détective. » Dans le rôle de la première, le toujours excellent Giancarlo Esposito interprète le chef inflexible du personnel et des opérations domestiques de la Maison-Blanche.

Dépositaire de traditions parfois centenaires, il a un poste qui le destine à se faire de nombreux ennemis. Plusieurs flashbacks reviennent sur ses diverses altercations avec le personnel. En nous dépeignant une galerie de personnages constamment au bord de la crise de nerfs, la série prend des airs de Downton Abbey à la Maison-Blanche, en plus survoltée.

Giancarlo Esposito et Bronson Pinchot dans La résidence.©Netflix

Les personnages secondaires correspondent à des archétypes : il y a les deux chefs cuistots aussi hystériques que Chef Louis dans La petite sirène, une serveuse alcoolique (Edwina Findley) qui boit avec les invités, une directrice des événements (Molly Griggs) superficielle et obsédée par les « énergies », ou encore un conseiller du Président (Ken Marino) constamment en train de beugler.

De manière générale, cette série chorale aurait gagné à nuancer un peu ses divers protagonistes, qui n’ont souvent qu’une seule note : la colère. On imagine bien que travailler dans un environnement comme la Maison-Blanche – par ailleurs joliment reconstituée (chapeau au département décoration) – est forcément anxiogène. Mais on a parfois un peu mal à la tête.

Nathan Lovejoy, Ken Marino et Brett Tucker dans La résidence.©Netflix

L’intrigue ayant lieu durant un dîner d’État, il y a encore mille et un personnages – plombier, serveuse, agent du FBI, Premier ministre australien, huissière adjointe… – qui vont et viennent dans une grande valse chaotique. Cinq cent cinquante-sept suspects à gérer et 132 pièces à inspecter, ça fait beaucoup ! La narration déstructurée (une partie de l’intrigue se déroule après les événements, pendant une commission d’enquête) donne l’impression de lancer le plus de pistes possible pour nous perdre.

Soulignant des dialogues en ping-pong verbal, le montage épileptique rappelle de nombreuses fois les divers éléments à notre disposition à travers des plans très rapides ou la répétition de dialogues déjà entendus. La série s’appuie sur un aspect méta qui manque de subtilité. Plusieurs personnages balancent à tout bout de champ des références à la pop culture tandis que Kylie Minogue effectue quelques apparitions pour le coup plutôt savoureuses.

Kylie Minogue dans La résidence.©Netflix

Mais trop de méta tue le méta et les enjeux dramatiques. La résidence a un peu trop conscience d’être une série et les personnages n’en deviennent que plus factices. Only Murders in the Building conserve le titre de whodunit le plus cosy du petit écran. Ses personnages ont beau être pleins de tocs et de contradictions, ils demeurent chaleureux et attachants, et cela manque dans la caractérisation de ceux de La résidence.

Une détective pour les calmer tous

Heureusement, une personne est là pour exiger un peu de calme et résister au rythme infernal imposé par les proches du Président, qui veulent en finir avec cette enquête : Cordelia Cupp. Cette cousine moderne de Sherlock Holmes (jusque dans sa tenue très vintage) applique évidemment des méthodes incomprises.

Edwina Findley et Uzo Aduba dans La résidence.©Netflix

Elle ne veut pas prononcer le mot « suspect », dirige ses interrogatoires par le pouvoir de son regard perçant (inoubliable « Crazy Eyes » dans Orange Is the New Black, Uzo Aduba est une pro du regard qui tue) et effectue régulièrement des pauses « observations des oiseaux » pour recharger ses batteries, au grand dam de son acolyte, l’agent du FBI Edwin Park (Randall Park) ou du conseiller Hollinger.

Elle suit son propre cheminement et ne se laisse pas intimider par cette « bande de gars », comme elle les nomme dans le premier épisode. C’est là que la série innove, en proposant une nouvelle figure de détective dans un genre largement dominé par les hommes blancs (Sherlock Holmes, Hercule Poirot, Columbo…).

Susan Kelechi Watson, Uzo Aduba et Ken Marino dans La résidence.©Netflix

Voir une femme noire ayant dépassé la trentaine, à la peau foncée (dans une industrie hollywoodienne qui ne leur laisse généralement que peu de place) être la personne la plus zen et la plus intelligente de la pièce est réjouissant en soi. Uzo Aduba nous rend attachant ce personnage de détective prêt à voyager à l’autre bout du monde et à camper pendant des semaines pour pouvoir observer une espèce rare d’oiseaux.

De Grey’s Anatomy à Bridgerton, les productions de Shonda Rhimes ont toujours eu à cœur de diversifier les représentations. Elles ont notamment pavé la voie à des personnages de femmes noires complexes et novateurs et La résidence ne fait pas exception. Si le show ne réinvente pas la roue du whodunit et aurait gagné à se concentrer sur moins de protagonistes, le personnage de Cordelia Cupp est assez fort pour qu’on ait envie de la voir reprendre du service dans une nouvelle affaire.

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