Entretien

Alex Kapranos de Franz Ferdinand : “J’essaie de trouver mon identité dans la musique”

09 janvier 2025
Par Lucyle Espieussas
Franz Ferdinand sort son nouvel album “The human fear”, ce 10 janvier 2025.
Franz Ferdinand sort son nouvel album “The human fear”, ce 10 janvier 2025. ©Fiona Torre

Après 20 ans de carrière et un album best of, Hits to the Head en 2022, Franz Ferdinand revient avec un nouvel album ce 10 janvier, The Human Fear, dans lequel même le sirtaki trouve sa place. Rencontre avec Alex Kapranos et Bob Hardy, chanteur et bassiste, mais surtout membres fondateurs du groupe de rock originaire de Glasgow.

Votre nouvel album, The Human Fear, sort enfin. Comment vous sentez-vous à ce moment de votre carrière ? 

Alex Kapranos : On s’est amusés à le faire ! On a joué quelques-unes des nouvelles chansons en live et c’était vraiment chouette. Maintenant, j’ai hâte que tout le monde puisse l’entendre. Audacious est ma chanson préférée en concert pour l’instant. On a joué dans des stades au Mexique et les gens mettaient la lampe de leur téléphone sur cette chanson, c’était une nouvelle expérience géniale. On n’a jamais vraiment fait de chanson dans ce style auparavant. Les couplets ressemblent beaucoup à du vieux Franz Ferdinand, mais le refrain, c’est un autre monde. D’une certaine manière, cette chanson fait la transition entre Franz Ferdinand 1 et Franz Ferdinand 2.

Comment s’est déroulé l’enregistrement de cet album ?

A. K. : Quand on enregistre, on enregistre à cinq dans une pièce. Pour cet album, on a écrit les chansons, on les a apprises et répétées, on a installé le studio, on a appuyé sur le bouton d’enregistrement et on a joué. Je pense que si vous avez des chansons vraiment fortes, alors elles sont élastiques. Vous pouvez les changer, vous pouvez les déplacer, vous pouvez les frapper et changer leur forme, expérimenter avec le son. L’ironie c’est qu’on peut être plus expérimental avec une chanson très forte. Une mélodie forte, un thème fort et une idée forte, on peut les jouer comme on veut.

Franz Ferdinand. ©Fiona Torre

L’idée était donc de prendre ces chansons et de les écrire, puis d’expérimenter, et de trouver notre son. Ce qui était plutôt amusant dans le fait d’avoir sorti le best-of, c’est que nous voulions faire un disque qui sonne extrêmement Franz Ferdinand, mais aussi Franz Ferdinand faisant des sons que vous n’avez jamais entendus auparavant. Je pense que toutes les chansons de ce disque nous ressemblent vraiment, mais elles sont totalement novatrices par rapport à ce qu’on a pu faire avant. 

L’album s’appelle The Human Fear. Cela signifie-t-il qu’il est composé de sons que vous aviez peur d’expérimenter auparavant ?

A. K. : Non, pas exactement. Je ne sais pas vraiment quel est le thème d’un album avant d’y être. Quand je commence une chanson, je ne sais pas quelle est la mélodie avant que la chanson ne soit terminée. J’aime bien ne pas savoir de quoi il s’agit avant la fin. Je ne sais pas vraiment de quoi parle l’album jusqu’à ce que je regarde en arrière. C’est un peu la manière dont j’imagine les peintres, je les imagine peindre des tableaux comme ça. Puis, ils prennent du recul et ils peuvent voir ce tableau. Chaque chanson parle d’un type de peur différent. Par exemple, The Doctor parle de la peur de quitter une institution ou Tell me I Should Stay de la peur de devoir dire au revoir à quelqu’un.

Ce sont des peurs ordinaires, des peurs universelles que nous ressentons tous dans nos vies. Nos réponses à ces peurs sont individuelles, et c’est comme ça que nous trouvons nos personnalités, nos caractères. Le meilleur exemple est la chanson Audacious, parce que je parle de la peur de voir sa vie s’effondrer. Je pense que nous avons tous des moments comme ça où nous avons l’impression que tout se désintègre. Comment répondre à cette peur ? La réponse que j’ai est simplement d’être aussi audacieux que possible. D’une certaine manière, je pense que même si l’album s’appelle The Human Fear, il pourrait aussi être appelé Audacious parce que c’est peut-être l’attitude que nous avons adoptée pour faire l’album. 

Vous n’avez donc peur ni des chats ni des oiseaux ?

A. K. : Non, je n’ai pas peur des chats, mais je me méfie d’eux. Je veux connaître un chat avant de m’en approcher. Je pense que c’est aussi vrai pour les chats que pour les humains. Pour les oiseaux, c’est tout le contraire ! Cette chanson parle de vouloir être comme l’un de ces pigeons sales dans le groupe, être simplement anonyme. La peur de cette chanson est l’exclusion sociale, qui est une chose à laquelle nous sommes tous confrontés à l’ère des réseaux sociaux, comme si c’était l’une des plus grandes armes qui existent aujourd’hui, faire honte aux gens et leur donner le sentiment d’être exclus. Il y a quelque chose de très rassurant et de relaxant dans l’anonymat. Dans toutes les grandes villes du monde, tu trouves l’anonymat, c’est un privilège que tu n’as pas dans les petites villes. 

Franz Ferdinand. ©Fiona Torre

Est-ce quelque chose que vous regrettez ? 

Bob Hardy : Peut-être que ça a changé quand le groupe a eu du succès, il y a eu une période où je n’aimais pas la perte de l’anonymat. Fort heureusement, je suis bassiste, donc je reste plutôt anonyme. Quand les gens me reconnaissent, c’est parce que ce sont de très grands fans du groupe, et c’est toujours un plaisir. Si tu connais le bassiste et que tu me reconnais en 2024, c’est généralement parce que tu aimes le groupe, j’adore rencontrer ces gens !

A. K. : Il y a différentes façons d’être anonyme. Certaines personnes marchent dans la foule comme si elles voulaient que les gens les remarquent, d’autres marchent dans la foule et peuvent être invisibles. J’ai appris à faire les deux. Je pense que j’ai passé ma vie, jusqu’à l’âge de 31 ans, à attirer l’attention sur moi et puis, après 31 ans, j’ai changé ça. 

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Vous avez travaillé sur l’album avec Mark Rolfe que vous retrouvez après Right Thoughts, Right Words, Right Action sorti en 2013. La pochette rappelle cet album, était-ce l’intention ?

A. K. : Dóra Maurer est l’artiste qui nous a inspirés, elle a fait cet autoportrait dans les années 1960 appelé Seven Twists. Dans son travail et le nôtre, on peut en profiter immédiatement et avoir de nombreux retours, mais on peut aussi revenir en arrière et voir quelque chose de nouveau. Il y a une profondeur à laquelle nous aspirons dans la musique. Nous avons délibérément utilisé exactement la même teinte d’orange que sur l’album Tonight et le premier album. Si vous connaissez le groupe, vous verrez cette couleur et l’identifierez immédiatement à nous. Cela a un lien avec la décision que nous avons prise d’assumer notre identité, car parfois certains tentent d’être ce qu’ils ne sont pas, et ça se ressent.

Franz Ferdinand. ©Fiona Torre

Ce que je veux entendre, c’est un artiste comme Leonard Cohen, Nick Cave, PJ Harvey ou David Bowie qui assument leur identité à chaque disque. Ils essaient de faire quelque chose de nouveau avec chaque album et de mener leur identité vers un nouvel endroit plutôt que d’en endosser une nouvelle. C’est très bien représenté dans cette pochette, parce que vous la regardez, vous voyez cette couleur et vous savez que c’est Franz Ferdinand. Nous n’avons jamais rien fait avec nos visages sur un album. Et aussi, tout simplement parce que ça rend bien ! 

Certains groupes comme Oasis ou The Libertines sont revenus récemment. Est-ce que vous pensez que vous êtes toujours là parce que vous n’avez pas essayé de changer votre identité ?

A. K. : Je pense que c’est une combinaison de ce que nous faisions, une identité forte, tout en recherchant quelque chose de nouveau. La chose la plus fondamentale, évidemment, c’est quand même d’écrire de bonnes chansons, parce que si tu ne le fais pas, tu deviens un groupe de reprises de toi-même. Je n’ai jamais voulu faire ça. Je n’ai pas particulièrement apprécié faire l’album best of, mais c’était bien parce que j’ai réagi contre ça pour faire ce disque. Je me suis dit : “Mince, je veux faire quelque chose de mieux que l’album best of !” 

Est-ce pour cette raison que vous avez essayé ces nouvelles sonorités, comme le sirtaki dans Black Eyelashes ? Est-ce un clin d’œil à vos racines ?

A. K. : Je dirais que c’est plutôt pour essayer de les retrouver, parce que mon père est Grec, mais je n’ai jamais vécu en Grèce. J’allais souvent voir mes grands-parents ; mon autre famille. Je connaissais la vie grecque, je savais ce que c’était que d’être Grec. L’un des thèmes qui reviennent dans beaucoup de vieilles chansons grecques que j’adore est l’idée des sourcils noirs, des yeux noirs et des cils noirs, mais l’ironie est que j’ai les yeux bleus. Chaque fois que je vais en Grèce, on me dit que je ne parle pas vraiment grec, que je n’ai pas l’air grec, que je ne suis pas vraiment Grec, alors que je m’appelle Kapranos. Je pense que c’est l’histoire des descendants d’immigrés, c’est aussi une histoire universelle et une autre peur, celle de ne pas appartenir, de ne pas avoir d’identité. J’essaie de trouver mon identité dans la musique.

Franz Ferdinand. ©Fiona Torre

Qui dit nouvel album, dit tournée, notamment en France en 2025…

A. K. : Oui, en février, nous jouons à La Cigale ! On a dû se disputer avec notre agent parce qu’il voulait qu’on joue dans une salle plus grande, mais La Cigale est la salle la plus cool, le sol rebondit quand les gens sautent. C’est aussi à quelques pas de mon appartement, donc c’est génial, j’ai hâte !

Vous disiez ne pas avoir apprécié faire le best of. En avez-vous marre de jouer vos vieilles chansons live ?

A. K. : Non, c’est juste plus sympa quand il y a de nouvelles chansons, parce que les gens les entendent en live pour la première fois. Tu as l’impression que ta vie avance, alors que quand tu ne joues que les anciennes chansons, c’est comme si tu faisais du sur-place. J’apprécie ces anciennes chansons, beaucoup plus maintenant qu’il y en a de nouvelles pour les accompagner. Quand elles sont au milieu de nouvelles chansons, elles prennent une ambiance différente. 

Y a-t-il un titre du nouvel album que vous préférez ?

B. H. : En ce moment, Everyday Dreamer est l’une de mes chansons préférées, mais on ne l’a pas encore jouée en live.

A. K. : La mienne est probablement The Birds. J’aime la jouer en live ! Je n’étais pas sûr de la façon dont elle allait fonctionner parce que ce n’est pas une chanson très conventionnelle, assez libre en live, mais je peux vraiment connecter avec le public, ce qui est quelque chose que j’ai vraiment adoré. C’est aussi une chanson qui n’a pas besoin d’être la même tous les soirs, il y a de l’espace pour l’improvisation, que j’apprécie vraiment de temps en temps. 

Franz Ferdinand. ©Fiona Torre

Quelle est votre chanson préférée de toute votre discographie ? 

B. H. : En ce moment, je vais dire Goodbye, Lovers and Friends, qui est une chanson de notre quatrième album et que nous jouons encore de temps en temps.

A. K. : Pour moi c’est Dark of the Matinee parce que c’était la première chanson qui a été écrite pour ce groupe imaginaire. Bob et moi avons écrit ça ensemble pour ce groupe qui n’existait pas vraiment à l’époque, ça me rappelle un peu la genèse du groupe.

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