Alors que les Desperate Housewives soufflent leur vingtième bougie cette année, une nouvelle génération de sériephiles se plonge avec délice dans les aventures rocambolesques de Bree, Lynette, Gaby et Susan. Cette dernière, autrefois girl next door attachante, s’attire aujourd’hui les foudres des réseaux sociaux. Mais pourquoi ?
Le 3 octobre 2004, les notes du générique culte de Desperate Housewives résonnent pour la première fois sur la chaîne ABC (puis sur M6 en France). Les spectateurs découvrent alors la voix de Mary-Alice, narratrice de la série qui a mis fin à ses jours sans raison apparente, mais aussi l’univers de Wisteria Lane, une banlieue chic américaine où résident la trophy wife Gaby (Eva Longoria), la trad wife Bree (Marcia Cross), la mère surmenée Lynette (Felicity Huffman) et la mère divorcée, Susan (Teri Hatcher).
Créé par Marc Cherry, le show allie avec bonheur soap, thriller et comédie. Avec un ton frais et une ironie irrésistible, il aborde néanmoins des problématiques féminines rarement vues à la télé à l’époque, comme la dépression, l’addiction ou encore la culpabilité maternelle. Le verdict est sans appel : critiques et public sont sous le charme.
Si Desperate Housewives repose sur la dynamique de son quatuor féminin, Marc Cherry a pensé le personnage de Susan Mayer comme « l’ancrage émotionnel » et la leadeuse de la série. Cette dernière est incarnée par Teri Hatcher, une actrice très aimée outre-Atlantique, héroïne de la production culte des années 1990 Loïs et Clark. Mère divorcée élevant seule sa fille adolescente, Susan correspond à l’archétype de la girl next door des années 1990-2000 (pensez à Rachel dans Friends).
Très maladroite, elle se met constamment dans des situations improbables façon Bridget Jones, autre célibataire « loseuse » de cette époque et cascadeuse à ses heures perdues. Grande romantique, trompée et quittée par son mari pour une femme plus jeune, Susan jette son dévolu sur le nouveau voisin sexy, Mike. Elle formera avec lui le couple le plus iconique de la série.
Un archétype féminin dépassé
Durant la première saison de Desperate Housewives, le jeu comique et la vulnérabilité qu’apporte Teri Hatcher au personnage de Susan remportent tous les suffrages. Sa performance est qualifiée d’« époustouflante » par les critiques. En 2005, elle remporte le Golden Globe de la meilleure actrice, qui entérine sa résurrection à Hollywood. Vingt ans plus tard, Susan n’est plus vraiment en odeur de sainteté. Ces dernières années, une nouvelle génération découvre la série (disponible sur Disney+ en France) et la commente sur les réseaux sociaux.
La gaffeuse impénitente, occasionnellement demoiselle en détresse, se fait clouer au pilori. En France, elle a acquis le charmant surnom de « Susan la conne », qui est devenu un t-shirt tendance pour initiés. Sur X/Twitter, les internautes analysent la stupidité du personnage sous toutes les coutures. Un passage est souvent cité : vivant mal le fait d’avoir dû dissimuler un meurtre, Susan utilise la peinture comme thérapie.
Elle peint pas moins de cinq tableaux (!) dévoilant le meurtre et les silhouettes de ses copines, qui se retrouvent exposées à un vernissage. En 2024, jouer les romantiques écervelées qui ne savent pas mettre un pied devant l’autre sans tomber, de préférence nue, ça ne paie plus. Cet archétype féminin, venu des comédies romantiques et typique des années 1990-2000, ne parle pas aux nouvelles générations.
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Marc Cherry expliquait avoir conçu Susan comme une mère divorcée et « désespérée d’attraper un homme ». Là encore, les représentations féminines dans la pop culture ont (heureusement) changé. Et l’on regarde désormais avec perplexité ces héroïnes romantiques autocentrées comme Ally McBeal (dans la série éponyme) ou Carrie Bradshaw dans Sex & the City, qui se percevaient comme d’éternelles loseuses parce que célibataires et ne se sentaient véritablement vivre qu’à travers le regard des hommes.
De la plus gentille des Desperate à la méchante involontaire
Le créateur du show n’avait pas prévu qu’à partir de la deuxième saison de Desperate Housewives, d’autres protagonistes plus complexes allaient tirer leur épingle du jeu, comme Bree, qui se révèlera la véritable âme de la série. Coincée dans son rôle de comique de situation, Susan fait du surplace.
Rompues à l’exercice de l’analyse des personnages, les nouvelles générations prennent conscience de ses manquements. Susan a la fâcheuse tendance de ne jamais assumer les conséquences de ses actes. Elle peut aussi se montrer particulièrement cruelle quand elle se sent menacée par une autre femme, comme en témoigne cet extrait.
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La baisse de popularité de Susan a entraîné la rédemption de sa némésis, Edie (Nicollette Sheridan), un personnage secondaire resté dans les mémoires. Écrite comme une « bimbo méchante » prête à croquer tous les hommes de Wisteria Lane, Edie possède une qualité que Susan n’aura jamais : l’honnêteté. Dans les commentaires sous la vidéo TikTok concernant le tableau évoquant le meurtre, une fan demande innocemment : « Mais pourquoi tout le monde déteste Susan ? »
L’utilisatrice Cindy_Nero lui répond : « Parce qu’elle agit toujours comme si elle était si innocente et gentille. Mais à chaque fois qu’elle fait quelque chose de mal, elle se comporte comme une victime. Les gens aiment davantage Gabrielle et Edie parce qu’au moins, elles admettent qu’elles ne sont pas gentilles. Susan n’admet jamais qu’elle a fait quelque chose de mal et elle est parfois très égoïste. Comme lorsqu’elle a essayé de manipuler sa propre fille pour qu’elle garde un bébé dont elle ne voulait pas. »
Le syndrome Gilmore Girls
Edie assume qui elle est, et ça fait toute la différence pour les fans de la Gen Z, qui ne supportent pas l’hypocrisie. Or, dès les premiers épisodes de la série, Susan met le feu (accidentellement) à la maison de sa rivale, qui a eu le malheur de flasher, elle aussi, sur Mike. Celle qui est censée représenter la boussole morale de la série cache ce méfait. Pire, Susan embarque sa fille dans cette galère, en lui demandant des conseils quand une voisine la fait chanter.
C’est un autre point noir dans la caractérisation du personnage : l’héroïne entretient une relation à la Gilmore Girls avec sa fille, où les rôles parentaux sont inversés. L’adolescente se retrouve dans une situation malsaine pour son propre développement, à materner sa propre mère, qui en retour ne lui accorde pas toujours sa confiance, la fait culpabiliser et envahit sa vie privée en allant lire son journal intime.
Une haine sexiste ?
Dans une vidéo au titre limpide, Pourquoi Susan Mayer est le pire personnage de Desperate Housewives, un journaliste de PureVow explique qu’elle est en plus une partenaire romantique catastrophique, « toujours en demande d’affection, névrosée et chaotique ». Susan agit quasiment toujours pour son propre intérêt, mais parvient à se faire passer pour une oie blanche.
Voilà notre Housewife rhabillée pour l’hiver ! Si le personnage a bien des défauts intéressants à analyser, attention toutefois à ne pas tomber dans la haine sexiste. Comme par hasard, c’est la mère de famille monoparentale du show qui prend le plus cher.
On sait que les personnages féminins s’attirent facilement une haine tenace (coucou Skyler dans Breaking Bad), qui peut rejaillir injustement sur leurs interprètes. Mais heureusement, Susan n’est pas la seule protagoniste de Desperate Housewives à subir une relecture peu flatteuse. Le personnage de Tom Scavo (Doug Savant), censé être le mari sympathique, a été percé à jour. Les fans ne supportent pas son immaturité et son irresponsabilité tandis que sa femme, Lynette, croule sous la charge mentale.
@raychjackson Tom Scavo was the main villian out of all the seasons of Desperate Housewives! #desperatehousewives #tomscavo #lynettescavo #breevandekamp #gabbysolis #susanmayer #ediebritt #abctv #tvshow #villian #villains ♬ Caleb Hearon So True Podcast – caleb hearon
C’est inévitable. Le phénomène a été observé dans diverses séries (Friends, Dawson, Buffy…) lancées il y a 20 ou 30 ans. Avec le recul que nous possédons et l’évolution de la société, les vilains canards d’hier deviennent des personnages avant-gardistes quand ceux qui représentaient la norme de l’époque paraissent terriblement datés. Mais que Susan se rassure : sur le plan fashion, elle reste une icône qui a même relancé la tendance du cardigan automnal cette année.