La nouvelle adaptation de l’œuvre d’Emmanuelle Arsan signée Audrey Diwan questionne le désir féminin, mais manque d’impact, malgré des prestations incarnées.
Emmanuelle. Derrière ce nom, sa cache une référence du cinéma et de la littérature érotiques. Sorti dans les années 1960, le livre d’Emmanuelle Arsan, qui suit l’exploration du désir et des fantasmes du personnage principal, a été adapté en 1974 avec Sylvia Kristel dans le rôle-titre, et est rapidement devenu un film culte.
En 2024, c’est au tour d’Audrey Diwan de proposer sa propre itération du personnage, et la réalisatrice de L’Événement (2021) retourne librement à l’œuvre originale pour questionner à son tour le désir, le plaisir et le fantasme, selon un regard féminin au XXIe siècle. Un film qui ouvre de nombreuses portes, sans forcément décider laquelle prendre.
L’histoire suit le voyage professionnel d’une jeune femme, Emmanuelle, dans un hôtel de luxe à Hong Kong. Responsable qualité pour le groupe hôtelier, elle arpente les couloirs et les chambres de l’établissement, et fait la rencontre de personnages plus énigmatiques les uns que les autres. Rapidement, la fascination et le désir prennent le pas sur la curiosité et le professionnalisme. Emmanuelle s’installe tel un film contemplatif et suit la découverte du personnage de l’hôtel et de son luxe. À partir de là, le film joue avec son postulat et son décor.
Puisqu’Emmanuelle évolue dans un lieu de luxure et de raffinement, tout passera par ce prisme, que cela soit à travers les rencontres ou les échanges. La direction artistique en témoigne. Décors, lumière, ton, architecture ou mise en scène, Emmanuelle est un film particulièrement beau à voir.
L’absolutisme de l’écriture
Puisque l’ambiance contemplative et onirique touche à tout, l’écriture des personnages suit le même modèle et se révèle difficile d’accès. Énigmatiques à l’extrême, mystérieux dans leur comportement, les résidents de l’hôtel conversent avec la retenue qui caractérise le film. Parfois à outrance, tant les dialogues passent pour des démonstrations d’écriture et de réflexion. Derrière la beauté et l’érotisme – car le film ne manque pas de poser l’érotisme par la suggestion –, les personnages sonnent trop haut pour paraître vrais. Une distance s’installe avec le spectateur, qui assiste à des échanges quasi philosophiques.
Chaque geste est calculé et écrit, sans naturel ou authenticité. Tout doit s’imbriquer dans cette recherche de fantasme et de désir. Du point de vue d’Emmanuelle – le film existe à travers son seul regard –, le résultat recherché est atteint. Néanmoins, sans offrir un point de vue inversé ou un regard contradictoire à cette quête d’absolu et de perfection, le film d’Audrey Diwan en devient inaccessible.
Heureusement, la prestation tout en sobriété et en intensité de Noémie Merlant – qui tourne dans son premier film en anglais – permet de s’attacher à cette Emmanuelle. Utilisant le regard plus que les mots, elle fascine, intrigue et arrive à atteindre la stature imposée par le nom et le symbole associés à son personnage.
Elle encapsule finalement tout le paradoxe du film : Emmanuelle est une idée, un mythe, mais aussi une femme, tout simplement, avec ses propres envies. En se confrontant à la fois à ces deux aspects, le long-métrage ne parvient pas toujours à se recentrer sur l’humain.
Du désir sans érotisme ?
Tour à tour, Emmanuelle devient une romance, un thriller, un drame, un huis clos, une tranche de vie… Mais est-ce un film érotique ? Malgré la promesse et le regard porté sur le désir féminin, l’œuvre agit en retenue concernant l’élément caractéristique du personnage. Une façon pour Audrey Diwan et Rebecca Zlotowski (qui co-écrit le scénario) de rester maîtresses du fantasme, jusqu’au bout, sans tomber dans l’attente évidente du sexe voyeuriste ?
Là aussi, Emmanuelle assume son choix et son propos, mais frustre habilement le spectateur, jusqu’à un climax qui utilise encore une fois l’aspect théâtral et onirique des personnages pour en devenir aussi évocateur (dans le questionnement et le regard sur le corps) qu’absurde (les personnages sonnent définitivement faux).
Emmanuelle pose ainsi toutes les questions – sur la féminité, sur le fantasme, sur l’érotisme, sur le regard et l’appropriation des corps par les hommes – sans forcément chercher à y répondre, ou en y répondant sans vouloir perdre le mystère et la suggestion. Un entre-deux aussi fascinant que frustrant. Avec ses personnages trop beaux, trop parfaits et trop absolus pour être vrais (et ses décors de luxe), le film ressemble à un rêve érotique : un moment pris hors du temps et de l’existence, où toutes les questions relatives à la vie, au quotidien, n’existent pas. La banalité n’a pas de place en ces lieux, seuls l’exceptionnel et l’interdit existent.
Une façon de confronter la raison et l’impulsion ? Emmanuelle est un fantasme dans le fantasme. Un objet de cinéma, écrit par des autrices et réalisé avec soin par une artiste qui a une vision, mais qui en oublie presque que, parfois, le fantasme et le désir peuvent aussi être d’une grande simplicité.
Derrière l’apparat prestigieux et la beauté de chaque plan, Emmanuelle ne parvient pas à s’extirper de son sujet (et de son héritage). Bien qu’incarné avec passion, le film touche à la fable érotique et laisse à penser que le désir et le fantasme ne peuvent pas exister dans le réel. Trop beau pour être vrai, en somme.
Emmanuelle, réalisé par Audrey Diwan, avec Noémie Merlant, Will Sharpe et Naomi Watts, au cinéma le 25 septembre 2024.