Depuis la parution de Santa Muerte il y a quatre ans, le romancier portoricain déroule une œuvre habitée qui détonne dans le paysage du polar. Portrait d’une nouvelle icône littéraire.
Une coupe mécheuse, garnie de jolies rouflaquettes, qui lui donne un petit air d’Elvis ; un physique impressionnant, tout en muscle, à la Rocky Balboa ; si Gabino Iglesias est écrivain, il n’a en tout cas pas la tête de l’emploi. Culturiste le jour, romancier la nuit, notre homme mène une double vie. Une drôle d’association qui a fait beaucoup parler.
Ce qui interpelle le plus chez lui, ce n’est toutefois pas cette dégaine originale, mais bien cette plume virtuose et cette littérature musclée, bourrée de talent. En quelques années seulement, le natif de Porto Rico, immigré aux États-Unis, est devenu un oiseau rare dans le paysage littéraire mondial ; un écrivain qui incarne à lui seul un genre littéraire : le barrio noir. À la croisée du polar, du thriller et du réalisme magique, en arpentant les deux côtés d’une frontière qui cisaille l’Amérique, Gabino Iglesias nous emmène dans de dangereux territoires, ceux où le rêve américain s’est transformé en cauchemar.
La mort lui va si bien
Gabino Iglesias arrive aux États-Unis avec 236 dollars en poche. Austin a beau être la ville la plus progressiste du Texas et la capitale artistique du sud des États-Unis, il subit de plein fouet une discrimination endémique à cet État chargé d’une histoire radicale. On lui dit que son nom comporte trop de voyelles pour réussir. Traduction : pas de littérature pour toi, muchacho.
Février 2020. La revanche est grandiose. Après avoir connu un succès surprise et éblouissant aux États-Unis, Gabino Iglesias s’invite dans la rentrée hivernale française. Son roman à la couverture hypnotique et au titre sans équivoque, Santa Muerte, vient défrayer la chronique et secouer le monde du polar à papa au pays de Simenon et Manchette.
Moins de 200 pages gonflées à bloc, pour un roman qui défouraille sec. L’histoire se déroule à Austin, dans le barrio, ce quartier hispanique qu’on retrouve aujourd’hui dans toutes les grandes villes américaines. Un jeune Mexicain, immigré depuis cinq ans, vit tant que bien mal en multipliant les petits boulots pas toujours légaux. L’un d’eux consiste à dealer pour un truand local. Mais un matin, il est enlevé par la bande rivale et chargé par ses tortionnaires d’une funeste mission : délivrer un message à son patron, la soumission ou la mort. La mort justement, il la prie tous les jours à travers cette figure puissante de la culture mexicaine, la Santa Muerte. Saura-t-elle guider son bras et l’aider à faire les bons choix ?
De l’action effrénée, magnifiée par un implacable sens du récit, mais également une réflexion politique et sociologique sur ces questions fondatrices, épineuses, qui traversent l’histoire des États-Unis : l’immigration et sa petite sœur, le communautarisme.
À travers le personnage de Fernando, c’est aussi toute une mystique latino-américaine et un réalisme magique envoûtant que déploie le romancier. Le réel est âpre, brutal, mais il est peuplé de croyances, d’illusions et d’apparitions qui lui confèrent une dimension fantastique, nous font croire à la possibilité d’un monde meilleur. C’est d’ailleurs tout le sujet du deuxième roman de Gabino Iglesias, Les Lamentations du coyote, paru un an plus tard. Et si une présence divine veillait sur les immigrés du Mexique et d’ailleurs qui entreprennent le voyage jusqu’à la Terre promise américaine ? Et si quelqu’un était capable d’apporter à ces voyageurs du malheur une protection inespérée ?
Il s’appelle le Coyote, un envoyé de Dieu, ou plutôt de la Virgencita mexicaine. C’est un guerrier sacré chargé de faire sonner la révolte latina et de balayer tous ceux qui s’en prennent quotidiennement aux immigrés désireux de passer la frontière. Dans ce no man’s land dangereux, ils sont des cibles faciles, pris au piège entre les autorités américaines qui verrouillent le secteur et les cartels mexicains prêts à profiter de leur désespoir. Gabino Iglesias choisit le pulp et le tarantinesque pour raconter une réalité sordide.
Ascenseur pour l’échafaud
Parfois, les dieux vous protègent, parfois ils vous pourchassent et s’acharnent. Malheureusement, pas de Coyote protecteur pour Mario, le nouveau héros de Gabino Iglesias. Entre la maladie foudroyante de sa fille, son licenciement brutal, le désespoir de sa femme et les dettes qui s’accumulent, son existence est une succession de coups du sort. La Huesuda, déesse de la mort, plane sur son existence et attend son heure pour le précipiter aux portes de l’Enfer.
Le Diable va prendre la forme d’un homme, Brian, ancien collègue devenu dealer de meth. Il propose à Mario un effroyable pacte faustien : 6 000 dollars pour tuer un homme. De quoi sauver sa fille. Une vie contre une vie. En acceptant cette basse besogne, le bon père de famille se mue en assassin et entre dans une spirale de violence infernale. Un chemin de croix sacrificiel dont l’issue ne peut être que fatale.
Comme une consécration, mais aussi symbole d’une œuvre protéiforme qui est loin d’être un simple polar à grand spectacle, le nouveau roman de Gabino Iglesias, Le Diable sur mon épaule, paru en France en février dernier aux éditions Sonatines, a reçu le prix Bram Stoker récompensant habituellement les œuvres fantastiques ou d’horreur. Gabino Iglesias, c’est l’alliance implacable du noir et d’une mystique qui bouscule le réel et questionne notre monde.