Décryptage

La quête de l’amour à l’ère numérique, épisode 2 : quand les algorithmes se prennent pour Cupidon

22 juillet 2024
Par Florence Santrot
La quête de l'amour à l'ère numérique, épisode 2 : quand les algorithmes se prennent pour Cupidon
©Roman Samborskyi/Shutterstock

Les algorithmes qui régissent nos applications de rencontre sont-ils vraiment nos alliés ? Alors qu’ils sont censés nous aider à trouver l’amour, leurs biais peuvent parfois nous induire en erreur.

Les algorithmes sont-ils en train de saboter notre quête de l’amour véritable ? À l’ère du tout numérique, ces règles mathématiques règnent en maîtresses sur nos vies. Et les applications de rencontre ne font pas exception. Derrière l’apparente magie de la technologie, ces codes mystérieux cachent des biais puissants. Formés à partir de données imparfaites, ils perpétuent stéréotypes et inégalités. Nos choix et relations, influencés par ces programmes invisibles, sont ainsi façonnés de manière souvent insidieuse.

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Pour de nombreux utilisateurs, l’espoir de trouver l’amour se transforme en désillusion. Les témoignages abondent, racontant des histoires de matchs incohérents et de rencontres décevantes. Les experts en intelligence artificielle le confirment : ces échecs ne sont pas des accidents.

Selon une étude publiée dans le Journal of Artificial Intelligence Research, les biais des algorithmes de rencontre sont largement dus aux données historiques biaisées sur lesquelles ils sont entraînés, perpétuant ainsi des stéréotypes et des inégalités. Et ce qui devait faciliter les rencontres vient souvent compliquer une quête de l’amour qui devrait être plus simple et sincère.

©Tada Images/Shutterstock

Par exemple, aux États-Unis, les personnes noires (hommes et femmes) sont dix fois plus susceptibles de contacter des utilisateurs blancs que l’inverse, ce qui démontre un biais racial important dans les interactions en ligne. Et les femmes noires sont celles qui ont le moins de chance d’être contactées, explique Cornell News.

Comprendre le fonctionnement des algorithmes de rencontre

Ces systèmes informatiques sont conçus pour analyser les données des utilisateurs et proposer des correspondances potentielles en fonction de divers critères. Ces données peuvent inclure des informations démographiques (âge, sexe, localisation), des préférences (type de relation souhaitée, intérêts), ainsi que des comportements d’utilisation (profils consultés, messages échangés). Par exemple, lorsqu’un utilisateur « like » ou « dislike » un profil sur Tinder, cela influence les suggestions futures, créant un système d’apprentissage basé sur les interactions.

Les algorithmes utilisent aussi des modèles statistiques pour prédire les affinités entre les profils, influençant ainsi les choix des utilisateurs en essayant de déterminer à leur place quelles personnes pourraient être les plus compatibles. « Les algorithmes ne sont pas neutres ; ils sont façonnés par les données qu’ils traitent et les biais de leurs concepteurs, explique Kate Crawford, chercheuse australienne réputée pour ses travaux sur les effets sociaux du numérique. Cela signifie que les préférences des utilisateurs peuvent être amplifiées ou déformées, conduisant à des résultats qui ne reflètent pas nécessairement la diversité des relations humaines. »

©Alexander Limbach/Shutterstock

Thomas, 28 ans, déçu par son expérience avec les apps, confirme que l’erreur est, aussi, informatique : « Malgré mes efforts pour remplir mon profil de manière détaillée, je reçois constamment des suggestions de personnes avec lesquelles je n’ai rien en commun. C’est comme si l’algorithme ignorait complètement mes préférences. »

Les trois biais majeurs des algorithmes

Laurence Devillers, professeure en IA à la Sorbonne et chercheuse au CNRS, met en garde contre les risques de ces biais : « Les algorithmes de rencontre, en se basant sur des données biaisées, peuvent renforcer les stéréotypes et les inégalités. Il est crucial de développer des systèmes plus éthiques et transparents pour garantir une expérience équitable pour tous les utilisateurs. »

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Ce que confirme Marie, utilisatrice de différentes applications de rencontre : « J’ai l’impression que l’application me montre toujours le même type de profils, comme si elle m’enfermait dans une bulle. C’est sympa, mais ça finit par être frustrant de ne pas avoir accès à une plus grande diversité de rencontres potentielles. Et ça en devient même un peu lassant… » Risque de croire en la « correspondance parfaite », comportement de « consommation » lié à la facilité de passer d’un profil à l’autre ou encore anxiété et perte de l’estime de soi à force de rejets répétés… les conséquences sont multiples.

On distingue trois grands types de biais. Le biais de sélection : les algorithmes peuvent favoriser certains profils basés sur des critères populaires, créant un cercle vicieux où les profils déjà populaires deviennent encore plus visibles. Ainsi, Tinder a été critiquée pour son « score de désirabilité » secret, qui classait les utilisateurs en fonction de leur attractivité perçue.

©Prostock Studio/Shutterstock

Le biais de confirmation : les algorithmes peuvent renforcer les préférences initiales des utilisateurs, limitant ainsi leur exposition à la diversité. Le biais de représentation : certains groupes peuvent être sous-représentés ou désavantagés par les algorithmes. L’application OKCupid, par exemple, a elle-même reconnu en 2014 que les utilisateurs de certaines ethnies recevaient systématiquement moins de messages et de réponses, reflétant des biais sociétaux plus larges.

Des solutions pour contrer ces biais algorithmiques

Face à ces défis, plusieurs initiatives voient le jour pour réduire ces défaillances dans la promesse des sites de rencontre. Des chercheurs, comme Ujué Agudo et Helena Matute de l’université de Deusto, à Bilbao (Espagne), travaillent sur des techniques de debiasing, visant à rendre les algorithmes plus justes et inclusifs. Par exemple, certains développeurs proposent désormais des options pour réinitialiser l’algorithme ou pour permettre aux utilisateurs de contrôler davantage leurs critères de recherche.

©Roman Samborskyi/Shutterstock

L’intégration de l’intelligence artificielle est aussi une piste d’amélioration. La fondatrice de l’appli Bumble, Whitney Wolfe Herd, espère ainsi « aider à créer des relations plus saines et équitables ». Et de donner un exemple : « Vous pourriez partager vos insécurités [avec l’IA qui fera office de concierge des rencontres, ndlr] et expliquer : “Je viens de sortir d’une rupture. J’ai des difficultés à m’engager.” Et l’IA pourrait vous aider à travailler sur vous-même et avoir une meilleure opinion de vous. Et puis, le service pourrait vous donner des conseils productifs pour mieux communiquer avec les personnes que vous rencontrez. »

Pour les développeurs, il est crucial d’inclure des données diversifiées et de concevoir des algorithmes transparents et responsables. Les utilisateurs, quant à eux, peuvent se montrer vigilants et critiques face aux suggestions algorithmiques, en gardant à l’esprit que ces outils ne sont pas infaillibles.

Algorithmes ou rencontres traditionnelles ?

Certes, les rencontres traditionnelles ne sont pas exemptes de préjugés sociaux, mais elles offrent néanmoinsune approche plus organique et souvent moins biaisée. Dans le monde réel, les rencontres sont souvent caractérisées par une spontanéité qui permet des connexions inattendues et parfois surprenantes. Cette sérendipité est difficile à reproduire dans l’univers numérique, où les algorithmes tendent à prédire et à contrôler les interactions potentielles. De plus, les rencontres traditionnelles offrent une perception plus holistique de la personne, englobant des aspects subtils comme le langage corporel, le ton de la voix et l’énergie personnelle, des éléments que les profils en ligne sont incapables de capturer.

« Sur ces applications, j’ai constamment l’impression qu’il faut maintenir la conversation à tout prix. Si je ne réponds pas dans l’heure, j’ai peur que la personne perde intérêt et passe à quelqu’un d’autre. C’est épuisant et ça rend les échanges artificiels. »

Carla, 30 ans

A contrario, les applications de rencontre ont tendance à fragmenter les individus en une série de critères spécifiques, ce qui peut conduire à une approche plus mécanique de la recherche de partenaire. Le rythme des interactions diffère également : dans les rencontres traditionnelles, il est naturellement dicté par les interactions en personne, permettant une progression organique de la relation. Les rencontres en ligne, quant à elles, peuvent créer une pression pour des interactions rapides et constantes, parfois au détriment de la profondeur de la connexion.

Entre efficacité et authenticité, le dilemme des utilisateurs

Les expériences des utilisateurs révèlent un paradoxe : alors que les algorithmes sont conçus pour faciliter les rencontres, ils peuvent parfois créer des obstacles à des connexions authentiques et diversifiées. Mais leur efficacité a aussi son intérêt… Sonia, résume bien cette dualité : « Les applications de rencontre ont leurs défauts, mais elles m’ont permis de rencontrer des personnes que je n’aurais jamais croisées autrement. Y compris mon mari ! Mais quelle libération de pouvoir enfin désinstaller ces applis et de ne plus avoir à subir leur loi… »

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L’avenir des rencontres en ligne dépendra de notre capacité à équilibrer l’efficacité des algorithmes avec le besoin d’interactions humaines authentiques. Dans l’idéal, il faudrait des systèmes qui enrichissent nos vies relationnelles tout en préservant la spontanéité et la diversité des connexions humaines. La quadrature du cercle ?

Pour aller plus loin, un peu de lecture :

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