Loin de l’image d’Épinal de l’auteur casanier, attablé sagement derrière son bureau, des pépites littéraires parues ces dernières semaines prouvent que l’aventure sur le terrain est aussi un formidable moteur d’écriture.
| Alain Damasio, Vallée du Silicium
Il y a quelques mois, l’annonce surprise du prochain livre d’Alain Damasio a surpris tous les observateurs, mais aussi tous les fidèles de l’auteur. Lui, l’ermite anarchiste, celui qui se met en retrait du monde pour faire fleurir son imagination et accoucher tous les dix ans d’un nouveau chef-d’œuvre de l’imaginaire, allait publier une non-fiction racontant une investigation effectuée sur le terrain, loin, très loin de son camp de base. Un contrepied total pour une réussite éblouissante.
Cinq ans après Les Furtifs, le boss de la science-fiction française revient avec Vallée du Silicium, un recueil de chroniques tiré de son pèlerinage à la Mecque du numérique : la Silicon Valley. Loin du réquisitoire au lance-flammes, ce voyage d’un technocritique au pays du prophète Apple, du mythe de l’homme augmenté et des monstres dopés à l’IA est une incroyable réflexion sur la place de l’humain dans le monde qui vient. Mais si le romancier délaisse pour un temps les rivages de la fiction, il n’en oublie pas sa plus belle obsession, celle de la distorsion de la langue. Un reportage littéraire au sens le plus noble du terme.
| Sylvain Tesson, Avec les fées
S’il est un auteur qui nous a prouvé au fil de son œuvre que de grands livres naissaient parfois de grandes expéditions, c’est bien Sylvain Tesson. Le roi des écrivains voyageurs a baladé sa plume aux quatre coins du globe : l’Asie centrale dans La Chevauchée des steppes (2001), les terres les plus hostiles de Russie dans L’Axe du loup (2004) ou Dans les forêts de Sibérie (2011), les hauts plateaux du Tibet dans La Panthère des neiges (2019) et même la France sauvage dans Sur les chemins noirs (2016).
Son nouveau livre, Avec les fées, nous convie à une pérégrination d’un nouveau genre, alternant entre réalité et fiction. Cette fois, il entreprend un voyage le long des côtes Atlantiques, de la Galice à l’Écosse en passant par la Bretagne, le pays de Galles ou l’Irlande. Dans ces terres magnifiques, mais hostiles, battues par les vents, fracassées par des mers démontées, il se met en quête des créatures fantasmagoriques qui nourrissent encore aujourd’hui contes et légendes. Un récit fascinant qui se lit comme une invitation à aller au-devant du monde, mais aussi un plaidoyer pour une réconciliation avec nos imaginaires en acceptant, au détour d’un chemin, le « surgissement du merveilleux ».
| Ian Fleming, Les Villes électriques
Printemps 1960. Huit ans après avoir publié Casino Royale (1952), première aventure de James Bond, l’espion le plus célèbre de l’histoire de la littérature, Ian Fleming est envoyé par le Sunday Times en reportage à travers le monde et séjourne notamment dans les villes les plus palpitantes d’Europe. Quatorze courts récits, dans un Berlin scindé en deux, une Vienne moribonde, une Suisse surprenante ou un Hambourg déjanté. Autant de voyages dans lesquels le romancier anglais va puiser la matière des futures missions de 007.
Dans un jeu de piste savoureux, on s’amuse à retrouver leur trace. Et si l’on grince souvent des dents face à certaines réflexions borderline, racistes et misogynes, on est happé par cette plume pince-sans-rire, so british et par ce romancier fanfaron reconverti en journaliste qui ne se doute pas encore de la marque qu’il laissera dans l’histoire.
| Aurélien Bellanger, Le Musée de la jeunesse
Nouveau venu dans l’excellente collection Ma nuit au musée, qui invite les écrivains à une virée nocturne dans les plus grands temples d’art et d’histoire, le romancier Aurélien Bellanger, auteur de L’Aménagement du territoire (2014) ou plus récemment des Derniers jours du parti socialiste (2024), a choisi d’établir ses quartiers au Musée du Louvre, rien que ça.
Dans la galerie de peinture classique, face aux œuvres de Nicolas Poussin, il livre un épatant exercice de style, à mi-chemin entre la biographie débridée et l’autofiction adolescente. Dans l’obscurité silencieuse, il redécouvre une de ses premières œuvres, forcément honteuse et extravagante : 48 heures de rushs d’un film tourné pour immortaliser ses débuts d’artiste. Avec une autodérision tordante, Aurélien Bellanger déambule dans les souvenirs de sa jeunesse. Il se la réapproprie et délivre, en amoureux transi de Balzac, un intime roman d’apprentissage.
| Julien Blanc-Gras, Bungalow
Si le récit de voyage tient en Sylvain Tesson son auteur lyrique et grand siècle, il possède aussi avec Julien Blanc-Gras son joyeux trublion, drôle et décomplexé. Après Touriste (2011) et Envoyé un peu spécial (2021), on embarque dans un nouveau périple décalé. Cette fois, l’auteur nous entraîne dans une course effrénée à travers l’Asie et raconte le voyage entrepris avec sa famille juste après le Covid pour fuir la ville et la folie de la civilisation.
De la Thaïlande à la Corée, en passant par le Cambodge, le Vietnam, le Laos et le Japon, il partage l’intimité d’un trio toujours en mouvement, qui se nourrit des découvertes d’un enfant aussi curieux qu’innocent. Plus qu’un récit de voyage, c’est le journal de bord d’une famille qui réapprend à vivre en s’ouvrant au monde. Touchant.