Dans une mise en scène signée Anne Théron et adaptée d’un texte de Frédéric Vossier, Condor présente un frère et une sœur qui se retrouvent au crépuscule de leurs vies et exhument une relation blessée.
Anna (Mireille Herbstmeyer) passe un coup de téléphone à Paul (Frédéric Leidgens) et lui annonce sa visite. Anna sait où Paul habite. Paul l’accueille dans son appartement dépouillé, aux airs de bunker. Qui sont-ils l’un pour l’autre ? Au fil des silences, des interjections, des images et souvenirs qui ressurgissent, ressort finalement le lien de parenté qui les unit. Ils sont frère et sœur, ils le savent, mais ce lien du sang semble rouillé par le temps et le ressentiment. Un traumatisme gît au fond de leur relation, sur lequel les deux êtres peinent à mettre des mots. Pour avoir une meilleure idée du contexte, jamais énoncé en toutes lettres et seulement évoqué par bribes, il faut aller fouiller en dehors du théâtre. La pièce évoque l’opération « Condor » : en 1975, les dictatures militaires d’Amérique du Sud conduisent une terrible campagne de liquidation des opposants politiques et cherchent à écraser tout germe de révolte. Noyade, torture ; la répression est sans répit. Dans la mémoire d’Anna, incarnée par Mireille Herbstmeyer avec une sorte de colère rentrée, la plaie est encore profonde. Le texte de Frédéric Vossier, jamais dans l’emphase, évoque ces corps arrachés à la jeunesse et à la liberté. Les souvenirs poétiques des longues plages et de l’écume des vagues font alors étrangement écho aux terribles « vols de la mort » où les victimes, encore vivantes, étaient jetées en pleine mer depuis des engins volants. L’une a été la victime, l’autre son bourreau. L’une vit dans la peur depuis quarante ans, l’autre continue de vanter sa puissance.
La première impression laissée par Condor est alors celle d’une pièce un brin austère, recouverte par le voile d’une écriture allusive et hermétique. Anne Théron s’attaque à vrai dire à un texte difficile à saisir, où la violence des faits n’est jamais clairement énoncée mais distillée dans des dialogues aporétiques, quelque part entre cauchemar et réalité. La mise en scène s’efforce alors de retranscrire ce truchement volontaire de l’écriture en jouant sur les effets de lumière, mais également à travers le travail sonore et les projections vidéos, de telle sorte que le décor représente tout à la fois l’appartement de Paul, la cellule où Anna a certainement été torturée par le passé et l’espace mental où les deux personnages se livrent une bataille psychologique sans merci. Le tout porté par deux comédiens profondément habités et ne reculant devant rien.
Condor de Fréderic Vossier, mise en scène Anne Théron (metteur en scène associée au TNS), du 18 au 28 novembre à la MC93 (Bobigny) – 1h30 – avec Mireille Herbstmeyer et Frédéric Leidgens – Billetterie par ici