Viggo Mortensen est de retour avec Jusqu’au bout du monde. À l’occasion de sa sortie, ce 1er mai, L’Éclaireur a rencontré l’acteur et cinéaste pour évoquer cette seconde réalisation après Falling.
Quatre ans après sa première réalisation, Viggo Mortensen est de retour derrière la caméra avec Jusqu’au bout du monde. Après nous avoir plongés, à travers les souvenirs de John, dans l’Amérique des années 1960 dans Falling (2020), l’acteur dévoilé grâce à la trilogie du Seigneur des Anneaux, nous emmène, cette fois-ci, au Far West.
Direction le Grand Ouest et les saloons de l’âge d’or américain, où les magouilles politiciennes côtoient les règlements de comptes. Pourtant, ce n’est pas un western pur et dur que choisit, ce 1er mai, de présenter le comédien dans les salles obscures. Pour son second long-métrage, Viggo Mortensen préfère se concentrer sur l’histoire d’amour entre Vivienne (Vicky Krieps) et Olgen, à qui le cinéaste prête également ses traits.
Le cadre du western sert alors de contour à cette romance et à cette trajectoire féminine. « Au début, il y avait l’image de ma mère, nous confie Viggo Mortensen avant de poursuivre. J’ai eu l’idée de raconter l’histoire de cette fille qui rêve et qui joue dans la forêt. Puis, quand j’ai continué à écrire, c’est devenu l’histoire d’une femme libre et indépendante qui évolue constamment, qui repousse sa propre frontière. J’ai trouvé que c’était intéressant de placer une telle histoire à une époque où les frontières étaient ouvertes, où la société n’avait aucune loi et était dominée par les hommes. »
Vivienne dans l’Ouest
Conscient de l’héritage qu’implique le genre du western, Viggo Mortensen avoue s’être inspiré de sa propre expérience de cinéphile « pour les décors, les costumes, les paysages, la photographie, et le vocabulaire, afin de construire cette tradition du western » autour des personnages.
Le réalisateur confie notamment avoir tiré de véritables leçons de cinéma des films et séries avec lesquels il a grandi. Pour autant, cela ne l’empêche pas de reconnaître, amusé, que la plupart des westerns de l’époque ne « sont pas bons » : « J’ai beau avoir grandi avec le genre, comme beaucoup de garçons de ma génération, en regardant les séries à la télévision, ou bien le grand écran, les westerns étaient pour la plupart trop naïfs ou maladroits. »
Des écueils qu’évite aujourd’hui le cinéaste en choisissant d’offrir toute la lumière à Vivienne, incarnée par la brillante Vicky Krieps. Dans Jusqu’au bout du monde, le réalisateur explore la notion de liberté à travers un personnage féminin à la « décence ordinaire et au courage quotidien », comme se plaît à le décrire Viggo Mortensen ; loin des archétypes super-héroïques spectaculaires.
À une époque où le mouvement #MeeToo continue d’infuser les projets des artistes outre-Atlantique, Viggo Mortensen s’est emparé de l’histoire de Vivienne avec philosophie et vérité. « J’ai voulu raconter l’histoire d’une femme normale, une héroïne de la vie, qui sait aussi ce qu’elle veut. »
Outre l’indépendance d’une femme, Jusqu’au bout du monde est aussi une histoire d’amour. Toutefois, le réalisateur n’a pas voulu tomber dans le romantisme cliché. Il a préféré donner à la relation de Vivienne et d’Olgen une modernité bienvenue. « Jusqu’au bout du monde est aussi une histoire entre deux êtres qui s’aiment, une histoire de confiance mutuelle, où le pardon est plus important que la violence ou la vengeance. Ce que j’aime dans la relation de Vivienne et Olgen, c’est qu’ils sont capables de s’adapter, d’évoluer, de changer et d’accepter. Ils ne se mentent jamais et n’ont pas peur de se parler. Dans toute relation qui dure longtemps, cela doit se passer comme ça. Si une personne ou les deux décident qu’elles ne veulent pas changer, ça ne va probablement pas fonctionner. »
Il en ressort un long-métrage dense dans lequel l’esprit de vengeance digne des plus grands westerns laisse place à un récit d’apprentissage et à une romance qui résonnent profondément par leur contemporanéité.
La langue des choses parlées
Dans Jusqu’au bout du monde, le cinéaste déploie toute sa sensibilité dans un montage morcelé entre passé et présent. Loin de la popularité d’Aragorn, l’artiste casse son image en devenant un véritable auteur qui ausculte la société et les relations humaines.
Ainsi, la langue occupe une place primordiale dans le film, les personnages s’exprimant tour à tour en anglais, en français, ou bien en danois. Trois langues que connaît très bien Viggo Mortensen et qui apportent une touche autobiographique au long-métrage. « Un jour, un réalisateur m’a dit qu’il fallait raconter les histoires que l’on connaissait. J’ai voyagé toute ma vie et c’est vrai que j’ai des connexions avec différentes langues et cultures. Mais ce n’est pas pour cette raison que le film utilise plusieurs langues. Je voulais avant tout montrer comment est véritablement la société. J’aime le fait que le mélange des langues offre plusieurs couches sur la façon qu’ont les êtres humains de communiquer entre eux. L’emploi de différentes langues est aussi un élément de mise en scène. Parfois, dans un film, on peut montrer une chose avec seulement deux mots. »
La langue est aussi là pour montrer la difficulté qu’ont les gens à échanger, un thème que l’on retrouvait déjà dans Falling, dans la relation entre le père et son fils, et que poursuit aujourd’hui Viggo Mortensen dans Jusqu’au bout du monde.
Ce n’est d’ailleurs pas la seule obsession du réalisateur. Dans son précédent film, l’artiste explorait déjà la solitude et les retrouvailles de ses personnages, ou encore le souvenir. « Chaque fois que l’on se souvient de quelque chose, ou quand quelque chose d’important se passe, on pense au passé. Chaque fois que l’on se souvient de quelque chose, c’est une retrouvaille d’une certaine façon, même si la personne n’est pas là, on la voit, on pense à cette personne ou à cet événement. »
« Je pense que j’essaie juste de comprendre comment les membres de ma famille ont interagi et comment j’ai réagi afin de comprendre comment les gens interagissent dans la société, car nous réagissons avec ce que chacun a vécu. Je pense qu’en faisant ces deux films, je raconte d’une certaine façon mon passé. Le premier film, c’était peut-être le processus que fait un petit garçon, tandis que le deuxième film est le processus que fait un jeune adulte. »
Le troisième long-métrage reflétera-t-il la réflexion d’un artiste âgé aujourd’hui de 65 ans ? Peut-être. En tout cas, une chose est sûre, l’acteur et réalisateur le fera toujours avec la sensibilité et la puissance qu’on lui connaît.
Jusqu’au bout du monde de et avec Viggo Mortensen et Vicky Krieps, 2h09, le 1er mai au cinéma.