Camille de Peretti et Thomas Snégaroff illuminent la rentrée hivernale en puisant dans l’art et ses mystères pour bâtir de passionnantes œuvres littéraires.
Le Tableau du maître flamand d’Arturo Pérez-Reverte, La Jeune Fille à la perle de Tracy Chevalier, Le Chardonneret de Donna Tartt ou encore Les Onze de Pierre Michon : les exemples sont nombreux des chefs-d’œuvre romanesques qui puisent dans la peinture. La beauté des œuvres et leurs mystères, la vie des peintres, les secrets de l’histoire de l’art fournissent un matériau inépuisable à celles et ceux qui voudraient bâtir des récits à la croisée de l’érudition et du divertissement. La preuve en ce début d’année avec deux livres épatants.
| Les Vies rêvées de la baronne d’Oettingen, de Thomas Snégaroff
Agrégé d’histoire, professeur à Science Po Paris, spécialiste des États-Unis, Thomas Snégaroff s’est fait connaître du grand public à travers son travail de journaliste, notamment sur France 5 aux manettes des émissions C politique et C dans l’air. Mais, depuis quelques années, il s’est également lancé dans une carrière de romancier couronnée de succès.
Dans son premier roman, Putzi – Le Pianiste d’Hitler, il racontait la folle destinée d’Ernst Hanfstaengl, un marchand d’art devenu dans les années 1920 le confident et le pianiste d’Hitler. Il levait le voile sur une des éminences grises qui forgea l’influence du Führer. Un homme qui fut acclamé, jalousé, puis jeté aux chiens. Un agent double qui a fini par travailler pour Roosevelt et les États-Unis. En retraçant la vie d’un homme digne des plus grands personnages de fiction, Thomas Snégaroff avait brillamment passé l’épreuve du premier roman.
Et comme on ne change pas une équipe qui gagne, il récidive aujourd’hui avec une seconde exofiction et une nouvelle figure truculente dans Les Vies rêvées de la baronne d’Oettingen. Icône méconnue du Montparnasse bohème du début du XXe siècle, elle fut à la fois une muse et une mécène pour tous les grands artistes de l’époque. En s’inspirant des souvenirs de son arrière-grand-père, célèbre imprimeur d’art et ami de la baronne, le romancier part sur les traces de cette femme mystérieuse.
Née Elena Miontchinska en Ukraine, elle devient baronne par un premier mariage et garde le titre toute sa vie. Elle arpente l’Italie avant enfin d’atterrir à Paris. C’est dans la capitale artistique du monde, à une époque foisonnante, qu’elle devient une femme d’influence proche de Modigliani, Picasso, Le Douanier Rousseau, Max Jacob, Léger et même Apollinaire. Elle les inspire, les aide, les envoûte parfois. Un roman haletant sur un Paris qui n’est plus, mais qui continue à fasciner le monde entier, et le portrait saisissant d’une grande dame tombée dans l’oubli.
| L’Inconnue du portrait, de Camille de Peretti
Pour tisser sa toile romanesque autour d’un tableau de maître, il faut de l’audace et une bonne dose de talent. Deux choses dont ne manque pas la romancière Camille de Peretti. Pour preuve, son roman le plus acclamé, Blonde à forte poitrine (2016), proposait une relecture naturaliste du destin tragique de la playmate Anna Nicole Smith en déployant un jeu de miroir avec le roman de Zola, Nana. Un récit ambitieux, complexe, déroutant, qui avait fait mouche et confirmait l’émergence d’une voix à part.
Avec L’Inconnue du portrait, elle se saisit de l’une des histoires les plus folles de l’histoire de l’art, celle d’un tableau méconnu peint par Klimt en 1910, Portrait d’une dame, qui fut tour à tour retouché, volé puis retrouvé. Une œuvre dont l’histoire traverse le XXe siècle. Camille de Peretti avance dans un récit choral tentaculaire, qui jongle entre les lieux et les époques, avec une question en tête : qui est la femme représentée sur le tableau ?
Pour répondre à cette interrogation, les récits s’entremêlent. Celui d’Isidore, cireur de chaussures de Wall Street, qui investit ses pourboires grâce aux conseils avisés de ses clients. Celui de Martha, mère célibataire de 17 ans qui se bat pour s’en sortir. Celui de Michelle, une femme qui veut faire reconnaître son enfant à un riche texan. Enfin, celui de Franz Brombeere, un homme de la haute société viennoise arrivant dans l’atelier de Gustav Klimt pour lui demander une faveur. Grâce à un éblouissant sens du récit, Camille de Peretti parvient à assembler toutes les pièces du puzzle et à forger un récit plein de suspense où l’art et la vie ne font qu’un.