En pleine valse des adaptations, une petite piqûre de rappel : le cinéma doit beaucoup à la littérature. Voici trois romans qui ont fait l’actualité cinématographique.
On pourrait remplir des bibliothèques entières de romans dont l’existence même a été mise sous silence par la destinée glorieuse de leur adaptation au cinéma. Qui se souvient de Peter Benchley, d’Armitage Trail ou de Michael Chrichton ? C’est pourtant à eux qu’on doit Les Dents de la mer, Scarface et Jurassic Park, ces histoires cultes, entrées dans la légende.
| L’actu : La Zone d’intérêt, de Martin Amis
Pari risqué, très risqué que celui d’adapter l’un des romans les plus décriés du plus corrosif des romanciers anglais, Martin Amis, sur un sujet parmi les plus douloureux : les camps de concentration. Un projet hautement explosif qui débouche pourtant sur un chef-d’œuvre de Jonathan Glazer, récompensé du Grand Prix à Cannes. Le livre est paradoxalement assez éloigné de la proposition faite par le réalisateur britannique.
Refusé par Gallimard, la maison historique d’Amis, puis par son éditeur allemand, parce que considéré comme choquant, La Zone d’intérêt est un roman extrêmement dérangeant qui a suscité la polémique. À la téléréalité de l’horreur, sombre, glaciale, assourdissante, de la Shoah en marche, l’écrivain anglais préférait lui la satire et le burlesque du vaudeville. Pour raconter le quotidien de Rudolf Hoss, celui qui dirigea Auschwitz pendant près de trois ans et en fit la plus odieuse des machines de mort, pour donner vie à la banalité du mal, Martin Amis use d’un humour grotesque qui n’est vulgaire que parce que ces monstres le sont. Un petit théâtre de Guignol dont on ne sort pas indemne.
| Le classique : Il était une fois en Amérique, de Harry Grey
Grâce au travail des éditions Sonatine, une injustice va enfin pouvoir être réparée. À l’occasion du quarantième anniversaire de la sortie en salle d’Il était une fois en Amérique, elles font paraître une traduction inédite de The Hoods, l’œuvre autobiographique de Harry Grey qui servit de matière première à Sergio Leone pour réaliser son éblouissant chant du cygne. Alors que Né un dimanche et La Crème des hommes, les deux autres romans de l’auteur, avaient eu les honneurs de la « Série noire » de Gallimard, ses mémoires de gangster, écrites depuis une cellule de la prison de Sing Sing, n’avaient jamais eu droit à une version française.
Magie du cinéma oblige, on entre pourtant des images plein la tête et des souvenirs plein le cœur dans ce récit d’apprentissage qui retrace l’ascension de Noodles, Patsy, Cockeye, Max et Dominick, ces gamins des rues devenus rois de la pègre new-yorkaise lors de la Prohibition. Car, en plus d’être un grand roman, Il était une fois en Amérique est une expérience de lecture troublante, une confrontation, à rebours, entre une œuvre littéraire et son adaptation.
| Le poche : La Bête dans la jungle, de Henry James
En août dernier sortait en salle le film de Patric Chiha, La Bête dans la jungle avec Anaïs Demoustier et Béatrice Dalle. Un huis clos dans une boîte de nuit et une danse frénétique partagée plusieurs fois entre 1979 et 2004. Il y a quelques jours, Bertrand Bonello projetait à son tour sa Bête avec Léa Seydoux et George Mackay. Un conte futuriste sur l’amour et surtout la peur d’aimer, qui se déroule à trois époques différentes en 1910, 2014 et 2044.
Deux films en six mois, deux interprétations qui n’ont rien à voir pour un roman court, une novella de moins de 100 pages. Avant eux, les icônes Marguerite Duras dans La Maladie de la mort (1982) et François Truffaut dans La Chambre verte (1978) avaient eux aussi cédé aux sirènes de l’œuvre étrange d’Henry James. C’est dire si cette histoire fascine, intrigue, dérange. Elle hante quiconque en franchit le seuil.
Le récit est emblématique des fantômes qui hantent le géant des lettres américaines. Il illustre, mieux qu’aucun autre, le drame des âmes en peine qui toujours échouent à se comprendre et à se retrouver. John Marcher est persuadé que quelque chose de grand va lui arriver. Il sait aussi qu’il y a une contrepartie et qu’une bête rôde pour l’en empêcher. Alors, il attend – une rencontre, un choix cornélien, une illumination. Il se méfie aussi.
À ses côtés, May Bartram attend elle aussi. Par peur de la bête, John Marcher a toujours refusé de se marier. Aux dangers de l’amour, il préfère les certitudes rassurantes de l’amitié. Un jour, May meurt et il comprend l’horrible vérité. Le grand bouleversement était là, à sa portée, sous les traits d’une femme qui lui avait juré fidélité. Un drame puissant et bouleversant sur l’attente et les actes manqués.