La saison 4 de la série d’anthologie reprend les bases posées il y a dix ans : un duo de têtes brûlées complémentaires et la tentation du fantastique. Mais, cette fois, à la tête de True Detective, des femmes. Sensationnel.
Ce n’est pas une nuit. Ce n’est pas une nuit banale dont l’obscurité s’élève au rythme d’un soleil qui décline, puis s’estompe à la lueur d’un autre quelques heures plus tard. Ces nuits-là sont anodines, suivent les révolutions de la Terre et voguent d’un jour à l’autre comme un employé pointe le matin à l’arrivée au bureau puis à son départ, le soir.
Non, ce n’est pas une nuit. C’est LA nuit. Là-haut, loin de l’équateur, près du pôle Nord, elle s’impose, non plus pendant des jours, puisqu’ils ne sont plus, mais pendant des dizaines et des dizaines d’heures difficiles à distinguer les unes des autres, pendant de nombreux tours de cadran qui ne parviennent plus eux-mêmes à servir de repères. C’est elle, c’est la nuit qui décide, désormais.
Elle régit la vie de la cité et celle des dernières âmes errantes en présence. De quoi est-elle donc faite, cette nuit vorace et suffocante ? De secrets qu’elle protège. De cauchemars qu’elle libère. De silhouettes qu’elle dessine. Puis efface. De mystères qu’elle nourrit. Elle piège les candides qui cherchent la lumière. Elle contraint à la folie les inconscients qui la provoquent. Elle dévore les braves qui l’arpentent pour révéler sa nature.
Cette impitoyable nuit sans lune, c’est l’une des protagonistes, à part entière, de la saison 4 de True Detective – au titre complété, pour l’occasion, de Night Country –, série d’anthologie créée par Nic Pizzolatto en 2014. Après une Louisiane suintante dans une première saison coup d’éclat magistrale, une ville de Los Angeles impalpable dans une deuxième tout-à-plat brouillonne et un Arkansas endormi dans une troisième enquête qui, correctement, ravive la verve, voilà un Alaska nocturne, glaciale, hostile comme personnage et théâtre d’un formidable nouveau récit aussi sombre qu’addictif.
Cold case dans le froid
Le soleil s’est couché pour longtemps dans ce coin reculé d’Alaska. C’est la nuit polaire du solstice d’hiver. Là-bas, à l’écart, huit spécialistes de nationalités différentes occupent une base scientifique pour étudier le permafrost. Jusqu’à ce qu’ils soient tous, soudain, portés disparus. Les enquêtrices Liz Danvers (Jodie Foster) et Evangeline Navarro (Kali Reis) vont devoir, à nouveau, travailler ensemble, plusieurs années après une affaire qui a mal tourné et les a déchirées. Ces nouveaux événements pourraient être liés à un cold case qui a marqué la région. La glace, le froid, la nuit renferment d’inavouables, tentaculaires et nébuleuses énigmes.
Si True Detective: Night Country n’a pas été écrite par Nic Pizzolatto, créateur de la série, mais par la showrunneuse mexicaine engagée Issa Lopez, elle n’oublie pas les fondations. Ici aussi, c’est un duo détraqué d’âmes tourmentées qui mène l’enquête. Cette fois, ce sont deux femmes : Liz Danvers et Evangeline Navarro, respectivement portées par l’inégalable Jodie Foster et la prodigieuse Kali Reis, par ailleurs boxeuse professionnelle, première autochtone à devenir championne du monde de sa discipline.
Un traumatisme commun les oppose : elles ont beau être, l’une, une femme blanche sexagénaire, l’autre une femme autochtone trentenaire, tout les rassemble. Elles sont aussi obstinées et belliqueuses l’une que l’autre, toutes deux instinctives et sagaces, habitées par une obsession de la vérité, elles ont la tête aussi dure que leurs mots et leurs gestes.
Autour d’elles, un casting exceptionnel compose une galerie d’êtres abîmés, à la violence toujours prête à exploser. True Detective: Night Country offre des portraits d’humanités brisées, dégradées par les éléments, écorchées par la violence de territoires oubliés. Dans cette bourgade perdue en Alaska, les guitares sont trop sèches ou trop électriques, les voix sont trop rauques ou trop inaudibles, les haleines sont alcoolisées, les mains calleuses, les regards noirs. Et les nuits, blanches. Des vies rongées par la solitude, mais une misère, elle, bien collective.
Mysticisme et féminisme
Issa Lopez, comme son prédécesseur Nic Pizzolatto, a su bâtir une atmosphère marquée et vénéneuse, folklore autochtone et problématiques locales à l’appui. L’autrice la fait endurer à ses personnages comme aux spectateurs. Dans cette nuit noire et mortifère, le territoire est hanté par les souvenirs, les regrets, les blessures, les deuils de chacun. Ces émotions, la fiction les transforme en visions fantomatiques, en messagers de l’au-delà auxquels on croit ou non. Ou peut-être.
Existent-ils ? Les personnages, d’un pas à l’autre, pénètrent de glaciales ténèbres et plus personne ne trouve les frontières, de plus en plus poreuses, entre les croyances et la réalité. Ainsi, True Detective: Night Country renoue sans conteste avec le langage mystique, voire fantastique, presque horrifique, et la fièvre troublante de l’extraordinaire première saison, inoubliable phénomène avec Woody Harrelson et Matthew McConaughey, qui fête, en 2024, ses 10 ans.
Mais Issa Lopez pose sa griffe et compose une œuvre sans concession, féministe, au message appuyé, mais subtil et parfaitement mis en image. Cependant, la créatrice a fait le choix d’une narration plus simple que les saisons précédentes : pas de suivi déconstruit des personnages à différentes époques de leur vie, mais des flashbacks plus fugaces. Qu’importe, le récit, tendu, l’expérience, nerveuse, tiennent toutes leurs promesses d’un bout à l’autre de l’enquête. D’un bout à l’autre de la nuit.