Entretien

Thomas Jolly : “Tous les spectacles sont politiques, même les plus divertissants”

24 décembre 2023
Par Benoît Gaboriaud
Thomas Jolly dans “Un jardin de silence”.
Thomas Jolly dans “Un jardin de silence”. ©Nicolas Joubard

De Roméo et Juliette à Starmania, il dépoussière les grands classiques à coups de projecteurs. Il est en ce moment sous ceux des plateaux de télévision où il sème quelques indices sur les cérémonies des Jeux de Paris 2024, dont il assure la direction artistique. Thomas Jolly est le metteur en scène le plus en vogue. Il revient, pour nous, sur son année spectaculaire.

Hasard du calendrier, Thomas Jolly présentait cette année sur les planches Roméo et Juliette à l’Opéra de Paris, Fantasio et Macbeth Underworld à l’Opéra-Comique, puis Starmania, ou encore Arlequin poli par l’amour partout en France… faisant chaque fois salle comble !

Généralement dans l’ombre, le metteur en scène français fait figure d’exception. Nommé directeur artistique des cérémonies des Jeux de Paris 2024, il évolue désormais sous les projecteurs, dont il a fait la signature de ses spectacles agrémentés subtilement de paillettes et de confettis. Couronné de prix, il a un talent sans pareil pour illuminer et colorer les tragédies classiques sans les dénaturer, les transformant en des clairs-obscurs flamboyants et politiques.

En 2023, une belle poignée de vos spectacles a investi les théâtres et les opéras de France. Auriez-vous peur de vous ennuyer ?

Ce n’est pas réellement la peur de l’ennui qui me guide, mais davantage la quête d’un émerveillement permanent et une envie de fiction. Enfant, je fabriquais déjà des mondes dans ma chambre et je racontais des histoires à mes parents ou à ma sœur. Ensuite, j’ai continué à le faire en tant qu’acteur.

Thyeste.©Jean-Louis Fernandez

Au fil du temps, j’ai glissé vers la mise en scène, puis la conception et la direction artistique de projets. Ceci étant, c’est vrai que je m’ennuie vite [rires], alors mes gestes artistiques sont assez généreux. J’en fais beaucoup, un peu trop, me dit-on parfois, mais je pense qu’il vaut mieux en faire trop que pas assez. 

Émerveiller les gens, est-ce votre challenge dans la vie ?

J’écoute et j’entends parfois dire : “Thomas, il est toujours dans la performance.” En réalité, pas vraiment ! Je crois à la puissance de la fiction. Cette capacité à s’y projeter et à se rassembler autour fait partie, il me semble, de nos gènes d’Homo Sapiens. On donne davantage de crédit au croire qu’au savoir, d’où le fondement des religions, des mythes d’entreprise et du spectacle vivant. Grâce à la fiction, le monde réel se transforme. C’est un outil formidable et c’est en ce sens qu’il m’anime.

La lumière semble aussi vous guider. De Starmania à Macbeth Underworld, vous imaginez des clairs-obscurs singuliers. La peinture vous inspire-t-elle ?

La lumière me vient d’un goût très prononcé pour le noir. Pour créer un spectacle, je pars toujours d’un espace noir, vide et silencieux. Je me retrouve devant un plateau noir comme un écrivain devant une page blanche. La lumière vient percer et “architecturer” cet espace.

À partir de
39,95€
En stock
Acheter sur Fnac.com

Dans mon travail, on trouve des références à la peinture, mais surtout au cinéma du début du XXe siècle, notamment l’expressionnisme allemand comme Le Cabinet du docteur Caligari (1920) de Robert Wiene, ou Nosferatu le vampire (1922) de Friedrich Wilhelm Murnau. Je m’inspire aussi des jeux vidéo, dans lesquels on peut tout se permettre. Je suis un grand fan de Zelda, d’Assassin’s Creed et évidemment de Super Mario, étant issu de la génération NES. Le théâtre doit se nourrir des autres arts, il fait partie d’un tout dans lequel il y a matière à piocher des idées. 

De Marivaux à William Shakespeare, vous dépoussiérez essentiellement les classiques. Pourquoi vous êtes-vous intéressé à Starmania ?

Sûrement parce que Starmania parle du noir, des forces noires intimes comme la dépression, la mélancolie, le sentiment de vacuité de l’existence, la vanité, mais aussi des forces noires publiques, comme la montée des extrêmes.

Starmania. ©La Scène Musical

Cette ville de Monopolis, où se situe l’action, est en proie à des violences urbaines et politiques proches de celles que nous observons actuellement en Europe. Mais Starmania est aussi ce jeu télévisé dans lequel les participants veulent exister, être dans la lumière, se sentir utiles et vivants. Au final, c’est une comédie musicale sur le combat du noir contre la lumière, et inversement. 

Vous avez mis en scène Henri VI, Richard III, Macbeth Underworld et Roméo et Juliette. Peut-on en déduire que vous êtes plus Shakespeare que Molière ?

Oui [rires] ! Molière est un immense auteur, mais Shakespeare décrypte à la perfection qui nous sommes. Il parvient à mettre des mots simples sur des émotions complexes, tout en restant universel. En termes d’écriture, Starmania est d’ailleurs proche de son univers. Ce n’est pas si simple de parler de nostalgie ou des tourments internes qui rongent des personnages. Pour moi, les œuvres de Shakespeare sont comme des manuels sur nos interactions humaines, intimes ou politiques. 

Sur quels auteurs et autrices aimeriez-vous vous pencher à l’avenir ?

Je cherche désespérément la ou le Shakespeare contemporain [rires]. Je viens de mettre en scène Fantasio, mais Alfred de Musset, Alexandre Dumas ou Victor Hugo ont une dimension universelle qui m’intéresse beaucoup.

Roméo et Juliette à l’Opéra de Paris – Opéra de Gounod d’après l’œuvre de Shakespeare.

Comptez-vous un jour vous plonger dans l’écriture ?

Oui, c’est un regret ! Enfant, je voulais en faire mon métier. J’ai dans mon ordinateur des tas de projets qui n’aboutissent pas, celui d’une série notamment. Un jour, je prendrai le temps de m’y consacrer pleinement. 

Pour l’heure, vous vous consacrez aux cérémonies des Jeux de Paris 2024. Prendront-elles une allure politique ?

Je crois que tous les spectacles sont politiques, même les plus divertissants. Attention d’ailleurs aux comédies qui enfoncent les clous de certains clichés et qui font finalement plus de mal que de bien ! En art, tout est politique, d’autant plus quand on s’adresse à 1,5 milliard de personnes en même temps. Sans militantisme, nous enverrons des messages qui, je l’espère, seront fédérateurs et permettront de faire avancer l’humanité. L’isolement et l’individualisme restent les vrais dangers de notre époque. Les Jeux sont là pour nous rappeler que nous partageons tous la même planète, et que nous devons façonner l’humanité ensemble. Cette idée est déjà politique. 

Quels sont les projets artistiques qui vous ont le plus marqué en 2023 ?

Je dois absolument aller voir l’exposition Mark Rothko à la Fondation Louis Vuitton. C’est un de mes peintres préférés. En 2023, j’ai été très heureux de pouvoir enfin découvrir le premier album de Clara Ysé, une autrice-compositrice-interprète magnifique, ainsi que le nouvel album d’Eddy de Pretto ou de Raphaële Lannadère que je suis depuis ses débuts. Le nouveau jeu Zelda est également sorti. J’attendais Tears of the Kingdom avec impatience, j’y ai passé beaucoup d’heures. Sur scène, le spectacle 40° sous zéro du Munstrum Théâtre, actuellement en tournée, est saisissant d’inventivité, de drôlerie, et de théâtralité… Tout ce que j’aime.

À lire aussi

Article rédigé par