Entretien

Pablo Berger : “Le cinéma est davantage une expérience sensorielle qu’intellectuelle”

28 décembre 2023
Par Lisa Muratore
“Mon ami robot” est attendu ce 27 décembre dans les salles de cinéma.
“Mon ami robot” est attendu ce 27 décembre dans les salles de cinéma. ©Arcadia Motion Pictures, Lokiz Films, Noodles Production, Les Films du Worso

Sorti ce mercredi 27 décembre au cinéma, Mon ami robot suit Dog, un chien qui, pour palier à sa solitude décide de construire un robot qui deviendra son meilleur ami. En adaptant la BD éponyme de Sara Varon, le réalisateur, Pablo Berger, offre son premier long-métrage d’animation. L’Éclaireur a rencontré le cinéaste espagnol afin de parler de ce nouveau challenge artistique.

Mon ami robot est l’adaptation de la BD de Sara Varon. Qu’est-ce qui vous a intéressé dans l’univers de l’autrice ? 

Tout d’abord, j’ai découvert Sara Varon grâce à ce roman graphique, en 2010, car je faisais la collection de BD sans bulles, sans dialogues. Je suis tombé amoureux de l’histoire de Mon ami robot. C’est devenu l’un de mes romans graphiques préférés. 

Je l’ai longtemps gardé sur l’étagère de ma collection. Huit ans plus tard, après Blancavienes (2012) et Abracadabra (2017), je me suis demandé quel serait mon prochain film. Je me retrouve donc devant cette fameuse étagère et je décide alors de reprendre l’histoire de Mon ami robot. Je l’ai relue et, à la fin, j’étais bouleversé. Je me suis rendu compte qu’il y avait un grand film à faire avec cette histoire, parce qu’il y avait un grand final. Je n’ai jamais pensé que j’allais faire un film d’animation, mais c’est grâce à cette rencontre avec le roman graphique que je suis passé à ce genre de cinéma. 

Mon ami robot est le premier film d’animation de Pablo Berger. ©Arcadia Motion Pictures, Lokiz Films, Noodles Production, Les Films du Worso

J’ai aussi été séduit par les thèmes abordés par cette histoire : l’amitié, les relations, mais surtout leur fragilité. Comment surmonter la perte d’amis à travers la mémoire ? C’est bien cette question que pose le film. C’est aussi une œuvre qui parle des secondes chances que nous offre parfois la vie. 

Quel challenge ce passage entre la prise de vues réelles et l’animation représente-t-il pour un artiste ? 

La plus grosse difficulté a été de créer deux studios d’animation et de trouver des animateurs en Europe qui, en pleine pandémie, voulaient venir à Madrid et à Pampelune travailler avec nous pendant deux ans. En revanche, la transition en tant que réalisateur s’est fait très naturellement. Je crois que tous mes films précédents m’ont préparé à Mon ami robot. Au lieu de travailler avec des acteurs, je travaillais avec des animateurs. Par ailleurs, j’ai réalisé quatre films en 20 ans, je suis un cinéaste qui aime cuisiner à feu doux [rires]. Je suis perfectionniste, ce sont des caractéristiques que doit avoir un réalisateur d’animation. 

« Quand les spectateurs vont entrer dans l’univers de Mon ami robot, depuis la salle obscure du cinéma, ils vont découvrir un endroit dans lequel ils peuvent rêver, ressentir les choses et s’éveiller. »

Pablo Berger

Dans tous mes films, j’ai toujours fait du storyboard, ce que les réalisateurs d’images en prises de vues réelles ne font pas. Faire le storyboard de Mon ami robot était quelque chose de naturel. Je n’avais pas peur du fait de ne pas connaître l’animation, car un réalisateur c’est, finalement, la somme de tous les chefs d’équipes qui travaillent avec lui. S’ils sont bons, le réalisateur sera bon [rires].

J’ai pu mélanger tous les horizons, et cela a rendu cette expérience très facile. Le réalisateur apporte la carte au trésor et il faut trouver le trésor, tous ensemble. Il est le leader pour cela, il permet la communication entre les différentes équipes. 

Ce qui nous marque dans le film, c’est évidemment son absence de dialogues. Blancavienes était également un film muet. Qu’est-ce qui vous plaît tant dans les silences ? 

Pour moi, l’une des périodes clés de l’histoire du cinéma, c’est le cinéma muet des années 1920. On vivait une expérience unique qui était différente du théâtre ou de la littérature. La caméra permet de vivre cette expérience. Selon moi, le cinéma est davantage une expérience sensorielle qu’intellectuelle.

Quand les spectateurs vont entrer dans l’univers de Mon ami robot, depuis la salle obscure du cinéma, ils vont découvrir un endroit dans lequel ils peuvent rêver, ressentir les choses et s’éveiller. J’espère qu’ils pourront rentrer dans l’écran, comme s’ils sortaient de leur corps. Le fait de ne pas avoir de dialogue aide à cela. 

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Ceci étant dit, Mon ami robot a du son. Les personnages rigolent et crient ; on les entend. Il y a eu un travail sur le design du son qui est très important, et qui a été très complexe d’ailleurs ; bien plus que sur mes précédents films. J’aime que le spectateur ait de l’espace quand il va voir un film. Nous sommes dans un monde rempli de bruits, les gens parlent sans arrêt. En regardant Mon ami robot, on rentre dans une salle en silence et on s’y sent plus en sécurité. Il y a un moment suspendu. 

L’histoire de Mon ami robot se déroule à New York. ©Arcadia Motion Pictures, Lokiz Films, Noodles Production, Les Films du Worso

Charlie Chaplin est l’un de mes réalisateurs préférés. Il savait raconter des histoires complexes, sans paroles. Le long-métrage Les Lumières de la ville est d’ailleurs l’une des références majeures de Mon ami robot. Le son était déjà arrivé lorsqu’il a fait ce film en 1931, mais il n’a pas utilisé le dialogue. Par ailleurs, le genre de la tragicomédie m’intéresse beaucoup, et c’est ce que Chaplin faisait ! 

Vous avez vécu à New York avant les attentats du World Trade Center. Les tours jumelles sont d’ailleurs très présentes dans le décor. À quel point avez-vous nourri votre film de vos propres souvenirs ?

Mon ami robot est une lettre d’amour à New York. Cette ville est le troisième personnage du film. J’y ai vécu 10 ans et j’ai voulu mettre beaucoup de choses que j’ai vécues là-bas, en montrant notamment le New York que j’ai connu, avec le World Trade Center. À cette époque, j’ai rencontré Yuko Harami, ma compagne de vie, avec qui je réalise tous mes films. 

Dog et Robot dans Mon ami robot. ©Arcadia Motion Pictures, Lokiz Films, Noodles Production, Les Films du Worso

J’ai toujours fait des films d’époque et je suis très précis dans les détails, parce que j’aime raconter une histoire à travers ses détails. Je suis habitué à travailler avec de grandes équipes d’artistes pour les décors afin que ces derniers aient un aspect réel. Quand j’allais à l’université, je voyais les tours jumelles, elles étaient très présentes. Dans le film, elles servent de métaphore à la relation qu’ont Dog et Robot. 

Vous évoquez vos deux personnages principaux. Que préférez-vous chez eux ? 

Je m’identifie énormément à Dog, avec toutes ses imperfections. C’est un personnage ordinaire, je pense que beaucoup de spectateurs peuvent s’identifier à lui. Malgré ses défauts, il a un grand cœur, c’est un personnage avec beaucoup de tendresse. Robot, lui, est la métaphore de l’ami ou du couple idéal que l’on fantasme. Il est généreux et il fait tout sans attendre rien en retour. Curieusement, c’est un robot, mais c’est le personnage le plus humain du film !

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Article rédigé par
Lisa Muratore
Lisa Muratore
Journaliste