Un accent à couper au couteau, une capacité à improviser en toute circonstance – durant les interviews comme pendant les tournages –, un rire communicatif… Raphaël Quenard a marqué le cinéma français cette année. Cette étoile montante étant très prisée, L’Éclaireur n’a pu échanger un seul mot avec l’intéressé, alors c’est à travers quelques-unes de ses punchlines que nous lui tirons le portrait.
C’est d’abord sur un terrain de football à Gières, en Isère, qu’on remarque Raphaël Quenard – il est l’un des meilleurs buteurs de sa catégorie poussin. Après un bac scientifique, il intègre l’École des pupilles de l’air 749 Grenoble-Montbonnot (classe préparatoire aux écoles militaires) et là encore, il ne passe pas inaperçu : « Quenard, si tu restes là, je vais te faire la misère », avait-il reçu, en réponse à une blague. S’en suivent un master de chimie et quelques mois en tant qu’assistant parlementaire…
Il en a testé des voies, avant de choisir le cinéma. Qui est cet acteur français présélectionné aux César 2024, qui semble toujours enrhumé et qui fait le show sur tous les plateaux de télévision depuis plusieurs mois ? Réponse avec une sélection de ses envolées lyriques. Un clin d’œil assumé, car Raphaël Quenard est persuadé que le public est avide de punchlines. « C’est pour cela que je ne vois pas d’inconvénient à ajouter des répliques improvisées improbables, quitte à sortir légèrement du rôle », confie-t-il au cours d’une interview avec Numéro.
À lire aussi
“Notre français est certes remixé, mais il est châtié et de haute voltige », Fragile (Emma Benestan, 2021)
Raphaël Quenard ne s’en cache pas : il est fou amoureux des mots, et l’écouter jongler avec eux est un pur délice. Allongement des syllabes, ajout de « x » à la fin des mots… Adolescent déjà, il se lançait quelques défis. C’est entre autres pour cela qu’il a, durant six mois, accompagné Bernadette Laclais, alors députée socialiste de la quatrième circonscription de Savoie : « Je croyais que c’était un truc un peu théâtral, qu’il s’agissait de faire de grands discours », confie-t-il à Sofilm.
Sa passion pour la langue de Molière l’amène à Jean-Laurent Cochet, un professeur de théâtre qui a enseigné à un certain nombre de vedettes, comme Emmanuelle Béart ou Fabrice Luchini. Il s’essaie ensuite à l’improvisation grâce à l’association Mille Visages. C’est d’ailleurs au cours de l’un de ces ateliers qu’il rencontre Emma Benestan, qui prépare alors son premier long-métrage, Fragile.
À la radio comme sur les plateaux télé, il joue encore et toujours. Interrogé au micro d’Europe 1, il lui est impossible de choisir entre Jack Nicholson et Robert De Niro : « Ils déversent dans nos yeux des doses de poésie incommensurables, je ne vais pas commencer à départager ces pourvoyeurs de plaisirs », lance-t-il avant de confier plus tard, sur un tout autre sujet, que « la tong vient semer le doute ». Ici, une tirade de Paul Valéry (« Tout a commencé par une interruption ») et là, du Montaigne (« La plus subtile folie se fait dans la plus subtile sagesse »)…
Le jeune acteur déclame à tout va des citations littéraires qui, parfois, l’épatent lui-même. En juin 2023, sur le plateau de C à vous, il annonce avec sa gouaille solennelle que l’Académie française a accepté l’introduction – à titre exceptionnel – du verbe « Yannicker » dans le dictionnaire. Et pour celles et ceux qui n’auraient pas encore vu le dernier chef-d’œuvre de Quentin Dupieux, sobrement intitulé Yannick (2023), « Yannicker » signifie « Interrompre de façon scandaleuse un événement public ».
“T’as oublié ce que c’est l’essentiel de la vie.
– Quoi, l’argent ?
– Non, c’est le panache.”
Raphaël Quenard dans Cash (2023)
L’auteur de cette réplique mériterait-il de devenir culte ? Peut-être. Prononcée par Daniel Sauveur, le protagoniste de Cash, elle aurait très bien pu être déclamée par Raphaël Quenard, son interprète, tant il vit avec panache ! Et en observant le comédien, nous sommes persuadés d’une chose : point de panache sans maîtrise de la langue ! S’il est fasciné par celles et ceux qui s’en sortent grâce aux mots, il porte également une attention particulière à la trajectoire des personnages.
Dans La Cour des Miracles (2022), Cash (2023), Chien de la casse (2023) ou encore Yannick (2023), il incarne des hommes dont l’origine est modeste, travaillant comme instituteurs, gardiens de nuit, ouvriers à l’usine, ou encore dans la rue, en tant que dealer. Tous sont conscients du rapport de force existant entre les dominés et les dominants, et tous savent user de leur bagout et de leur intelligence sociale pour réussir, se transformer.
Dans cette progression plus ou moins farfelue, ses personnages arrivent toujours à entraîner les foules, à motiver les troupes grâce à un dynamisme contagieux. Loin de toute conception manichéenne, ses personnages acceptent et composent avec la complexité de la société. De l’autre côté de l’écran, dans la vraie vie, son enthousiasme est lui aussi contagieux. Il embarque son auditoire sans aucune difficulté – en témoignent ses apparitions dans les médias, où il fait toujours le show.
« On sert à divertir, peut être possiblement à anesthésier quelque peu pour maintenir dans l’inaction des gens qui pourraient par ailleurs vouloir manifester des mécontentements justifiés », déclare-t-il durant une émission de Clique, conscient que ses préoccupations sont « insolemment culturelles ». Ce serait donc cela le panache façon Raphaël Quenard : un ingénieux mélange de culot, d’énergie et d’intelligence.
“Ma grand-mère m’a toujours dit que le travail, c’est la santé”, Raphaël Quenard sur Europe 1 (2023)
À 32 ans seulement, Raphaël Quenard a eu 1 000 vies et trois grands rôles. Il décroche le premier (Mirales, dans Chien de la casse) après un acharnement certain. CV sous le bras, l’Isérois a assisté à de nombreuses soirées et avant-premières avec un objectif double : peaufiner sa culture cinématographique et croiser des réalisateurs et réalisatrices.
Il ne compte pas non plus les emails et les messages sur les réseaux sociaux adressés aux cinéastes. « Il m’a tellement traqué que j’ai accepté de le rencontrer en me disant qu’au pire je perdrais une heure. J’ai alors assisté à un petit miracle, il chaussait parfaitement les chaussures de Mirales. Raphaël possède une incroyable intelligence du texte, il est brillant, cultivé, curieux de tout, des gens. Son génie est évident et il l’offre dans l’excès », confie Jean-Baptiste Durand à une consœur du Monde.
Si ce premier rôle l’a catapulté au-devant de la scène, Raphaël Quenard préfère toujours le travail aux vacances et ne se repose pas sur ses lauriers. Depuis 2021, il a joué dans 16 longs-métrages et quatre courts-métrages, sans compter ses interventions dans les séries télévisées et téléfilms.
« La valeur du travail est très importante pour mes parents et je l’ai intériorisée au-delà des mots. Je suis rigoureux dans le travail, mais j’aimerais être rigoureux dans le désordre. Je suis toujours hyper préparé et tout est très consigné dans ma tête. Je peux m’atteler très longtemps à une tâche si c‘est pour un objet créatif que je kiffe », explique-t-il pour Konbini.
“Être acteur, ça permet de dégueuler tous les monstres qui s’agitent en nous”, Raphaël Quenard pour So film (2021)
« La liberté, c’est un truc que j’aimerais avoir. Mais on n’est jamais libres, on réfrène tout le temps les pensées qui nous viennent. On est constamment obligés d’y appliquer un filtre. Mais la fiction, elle excuse tout, donc dans un personnage, tu peux y mettre toute la chiasse qui constitue ta pensée. »
Raphaël Quenard utilise ses personnages pour déborder, tout livrer. C’est ainsi qu’il apprend à canaliser son énergie. Et pas de quête de liberté sans humour. Pince-sans-rire ou absurdes, tous les personnages qu’il incarne usent du registre comique. Dans un article paru dans So Film, il revient sur le tournage de la saison 3 de Family Business : « Chaque seconde passée à rigoler est une seconde de gagnée sur la vie. Avec Jonathan Cohen et les autres, c’était de la rigolade du matin au soir. Le matin, dès le maquillage, on pleurait de rire, on avait des courbatures stomacales. »
Un imaginaire débordant, un goût pour le risque… Une chose est certaine : l’acteur français n’a pas peur du ridicule. Si sa carrière ne fait que commencer, il convient de finir ce portrait par une réplique magistrale, tirée du film de Quentin Dupieux, Fumer fait tousser, dans lequel une femme que l’on devine propriétaire d’une scierie broie littéralement son neveu avec une machine à déchiqueter le bois. Raphaël Quenard, alias Max – un des employés du lieu –, lui tend un seau contenant son neveu en morceaux et ponctue : « Tout est bien qui finit bien. »