Avec Les Mots du Q, Camille Aumont Carnel fait entrer, pour la première fois, des expressions sexuelles dans un dictionnaire.
Vous êtes-vous déjà demandé ce que devenaient les expressions une fois disparues ? Vous êtes-vous déjà demandé si quelqu’un recensait tout ce qu’on entend sur la sexualité, dans la rue, à la télévision, sur les réseaux sociaux, tous ces mots sans cesse réinventés, se métamorphosant à mesure qu’ils sont utilisés ? Ce sont les questions que se posait justement Camille Aumont Carnel, militante féministe derrière le compte Instagram @Jemenbatsleclito, qui a sorti en octobre Les Mots du Q. Interview.
Pouvez-vous nous dire en quelques mots qui vous êtes, ce que vous faites ?
Je suis Camille Aumont Carnel, j’ai 26 ans, je suis leadeuse d’opinion, autrice, entrepreneuse et speakeuse. Je suis la fondatrice d’un compte Instagram qui s’appelle Je m’en bats le clito, qui a pour vocation d’abattre les tabous liés à la sexualité et à l’intimité féminines. Et je suis l’autrice du livre qui s’appelle Les Mots du Q aux éditions Le Robert.
Que racontez-vous dans Les Mots du Q ?
Je raconte où en est la langue française, la passée, la présente et la future. J’inscris dans une sorte de dictionnaire un tas d’expressions liées à nos sexualités et à notre intimité, qu’on a l’habitude d’utiliser au quotidien, dont on connaît l’usage, mais dont on ne connaît pas forcément l’origine étymologique ni l’explication de son importance ou, a contrario, de sa problématique. Les mettre dans un livre, ça a permis de montrer la généralité de certains questionnements. Je l’ai pensé pour entamer des conversations.
En quoi est-ce émancipateur de parler de sexualité ?
Cela m’a permis de mettre des mots sur ce que je vivais. En inventant des expressions, en en faisant entrer dans l’institutionnel, je m’affranchis des règles, je laisse complètement tomber les injonctions et les normes pour essayer d’avoir une certaine influence sur l’intimité, sur la société. Cette démarche qui consiste à aller jusqu’à la disruption de ce qui se fait d’habitude permet de dire à tous et toutes : “Si moi je m’y autorise, vous pouvez vous aussi l’autoriser.” Et c’est ça, finalement, le message de ce bouquin.
Pourquoi est-il important de mettre des mots sur toutes ces choses, de faire évoluer la langue ?
Il s’agit de faire un état des lieux de l’évolution de la langue. Je me demandais : “Comment fera-t-on le jour où toutes les personnes qui disent ‘en catchana’ ou ‘faire du sale’ ne seront plus là ?” Pour garder une trace, il faut que cette partie de la langue entre dans l’institutionnel, et ça passe par les bouquins.
On laisse évoluer la langue sans jamais dire “Voilà les expressions qui sont utilisées”, “Voilà ce qu’elles veulent dire”, “Voilà la façon dont les personnes vivent leur sexualité aujourd’hui”. C’est important d’avoir moins de mépris vis-à-vis de cette partie de la langue française. Elle existe, mais elle est jugée et n’a jamais de trace écrite. Voilà ma problématique.
Pourquoi est-il important de mettre des mots sur nos sexualités ?
Parce que cela permet de sortir du tabou. On ne peut pas abattre les tabous si on n’en parle pas. Et pour en parler, il faut des mots. Je me positionne en tant que précurseuse, avec une volonté d’aller vite. Je n’ai pas le temps d’attendre la cinquième vague de féminisme ou de la révolution sexuelle, je veux l’engendrer ! Je souhaite qu’à son arrivée, cette révolution ne soit pas que féminine, mais aussi masculine.
Dans Les Mots du Q, au lieu d’être dans une posture moralisatrice, avec des phrases comme “Vous n’avez pas le droit de parler comme ça parce que c’est discriminant”, je dis plutôt “Voici des expressions qui sont aussi attractives, mais qui, pour autant, ne discriminent personne”.
Il est là, le pouvoir des mots. Ça s’inscrit dans une continuité éditoriale commencée il y a cinq ans, lorsque j’ai créé Je m’en bats le clito, en “punchant” avec des phrases courtes, qui sont presque devenues des expressions, des slogans. Mon terrain d’action, c’est l’intime, donc je placarde l’intime comme on le ferait avec des affiches sur les murs, de façon à ce que les femmes se disent : “Moi aussi, je vis ça, moi aussi, j’aurais pu le dire.”
Quel est votre mot du Q ? Celui que vous préférez dans le livre.
J’aime beaucoup “safe word”. On parle beaucoup de consentement, mais on n’explique jamais tout ce qui peut être mis en place. Et parler de “safe word”, c’est intéressant, parce que ça veut littéralement dire : mot de sécurité, que des personnes qui vont avoir un rapport sexuel définissent en amont.
C’est dur, parfois, de dire “Arrête”, alors le “safe word” peut aider. Ça peut être “cacahuète” ou “crocodile”, peu importe. C’est un terme qui clarifie la possibilité de demander d’arrêter un rapport sexuel en plein milieu, par le terme choisi. C’est aussi ça dont je parle quand j’évoque le pouvoir des mots.
Qu’est-ce qui rassemble Les Mots du Q et #AdoSexo, sorti en 2022 ?
La singularité de ces deux ouvrages, c’est le fait qu’on puisse tous les deux les décrire par une phrase qui commence par “C’est la première fois que…”. #AdoSexo, c’était la première fois qu’on écrivait un livre inclusif, participatif et moderne pour ados, avec des ados. Et Les Mots du Q, c’est la première fois qu’on fait entrer des expressions sexuelles dans un dictionnaire. C’est aussi la première fois qu’on a une autrice qui s’autorise à inventer des mots pour des réalités déjà existantes, sans mot défini.
Le mot du Q de la fin ?
C’est “épectase”, mot qui veut dire “mourir en ayant un orgasme”. C’est ce que je souhaite à tous les couples, mais de façon simultanée.