Avant une date exceptionnelle au Splendid en décembre, Merwane Benlazar se produit chaque semaine au Point Virgule. Il présente dans la mythique salle parisienne son spectacle intitulé Le Formidable Merwane Benlazar. À l’occasion d’une de ses représentations, L’Éclaireur a rencontré l’humoriste. Entretien.
Qu’est-ce que ça vous fait de jouer au Point Virgule ?
C’était ma première motivation quand j’y suis allé. Je voulais une salle qui, en plus de mon travail, fasse venir les gens les plus réticents ou les gens qui ne me connaissent pas. Être dans une salle réputée, qui a vu passer de grands humoristes, ça ne peut qu’être bénéfique pour moi.
Mais je sens aussi que j’ai envie de plus grand ! Par exemple, le 5 décembre prochain, je serai au Splendid. Mon rêve, ça serait de jouer là-bas plusieurs fois par semaine dans la grande salle. Je me sens bien, je suis content quand il y a du monde, mais je commence à me sentir comme dans une cage à oiseaux. J’ai envie de voir plus grand !
Quels retours avez-vous du public ?
Beaucoup de gens me disent qu’ils ne voyaient pas le monde comme moi je le vois, avant de voir mon spectacle. Je suis content si j’arrive à faire un chemin entre ce que je pense et ce que les gens pensent, même si ça ne change pas leur façon de penser. Ce n’est pas très grave, ça veut dire qu’ils sont sûrs de leur pensée, mais si j’arrive de temps en temps à faire changer des mentalités et à convaincre les gens que j’ai raison, c’est encore mieux.
Faire passer un message, est-ce la raison principale pour laquelle vous avez voulu monter ce spectacle ?
Il y a forcément cette envie de faire passer un message et il y a aussi le fait que je ne lis pas beaucoup de livres. Je pense beaucoup de choses sans arriver à les exprimer. Je crois vraiment au fait que moins tu as de vocabulaire, moins tu arrives à penser. Je me sers aussi de ce spectacle pour justement exprimer ce que je pense à travers des blagues, parfois dire des choses qui me révoltent, dire des choses que je pense vraiment dans la vie de tous les jours, mais que je ne peux pas dire, et en parler dans le spectacle. Je raconte aussi des choses personnelles sur mon mariage ou mes parents. Ce sont des choses que je n’oserais pas dire dans la vraie vie. Hormis la liberté d’expression ou d’idées, il y a un vrai côté cathartique à la scène. J’extériorise beaucoup de choses. Il ne faut pas que ça reste en moi.
Comment vous sentez-vous avant de rentrer sur scène ?
Je ne stresse jamais, car la première fois que je suis monté sur scène, j’avais 16 ans. Depuis tout petit, je vois ça comme un jeu. Je vois des gens stresser, mais je leur dis souvent que le plus grave qui puisse arriver, c’est que le public ne rigole pas. Un public qui ne rigole pas, demain il t’a oublié et il ne va se souvenir que de l’humoriste qui l’a fait rire la veille.
Dans mon spectacle, il n’y a pas de sketch court. Il y a vraiment un fil conducteur et les histoires sont longues. Et s’il y a un fil conducteur, c’est parce que là où la plupart des humoristes vont tester une ou deux vannes par jour, moi j’arrive avec des blocs de cinq ou six minutes sans avoir peur qu’aucune vanne ne marche. Tant pis si le seul passage que j’ai aujourd’hui ne fonctionne pas.
« Mon spectacle, c’est une œuvre et elle doit rester telle que je l’ai imaginée. »
Merwane Benlazar
Au moins, je sais que s’il n’a pas fonctionné, je peux le retirer du spectacle au moment de l’écriture. Ça permet d’étirer l’écriture et d’avoir des sketchs plus longs, de faire un spectacle plus digeste parce qu’on a moins besoin de faire de transitions. Le travail sur les transitions est fait de façon à ce qu’on ne les sente pas.
Plus exactement, comment avez-vous construit votre spectacle ?
Je dois avouer que quand j’ai pris le Point Virgule, je n’avais qu’un spectacle de 30 minutes. Je fonctionne à la pression [rires]. J’avais donc deux mois pour écrire les 15 minutes manquantes. La première fois que je joue, j’ai 45 minutes et Panayotis fait ma première partie. Sur la construction, je me suis rendu compte que l’on pouvait couper les sketchs en deux, mélanger des parties, et que ça rendait les choses plus digestes. C’est ça qui fait que c’est une discussion et que les parties sont interchangeables. Mais il ne faut pas que je change trop de choses, car au final ça reste un spectacle. C’est une œuvre et elle doit rester telle que je l’ai imaginée au début, bien que j’essaie parfois des choses.
Dans l’immédiat, c’est possible de changer quelques passages selon ton adaptation au public, mais ça demande une gymnastique que tu n’as pas quand tu joues ton spectacle pour la première fois. Ce n’est qu’après que tu te mets en mode pilote automatique.
Comment le titre du spectacle vous est-il venu ? Que signifie-t-il ?
Je cherchais un titre qui exprime la démesure. Je voulais qu’il fasse rire les gens et je suis tombé sur le mot « formidable ». Je me suis aussi intéressé à l’étymologie du mot. “Formidable”, pour nous, c’est quelque chose de super, mais il faut le voir comme ce qui effraie, car l’origine du mot c’est formidabilis, dont la racine latine signifie ce qui fait peur, ce qui est nouveau. C’est l’inconnu qui effraie. On est dans la notion de xénophobie.
« Avec le Jamel Comedy Club, le stand-up est apparu comme une évidence, parce que, pour la première fois, c’était des gens qui nous ressemblaient et qui parlaient comme nous. »
Merwane Benlazar
Pour certaines personnes qui n’ont pas l’habitude de nous côtoyer, qui n’ont pas l’habitude de “voir des Arabes arriver dans leurs contrées”, qui n’ont pas l’habitude de voir des mecs de banlieue avec des capuches et des casquettes, on va être “formidables”. D’autres personnes, qui me connaissent et qui ont vu le spectacle, me trouvent “formidable”. C’est un mot qui marche dans les deux sens. Ce double sens me définit parfaitement !
Vous ciblez beaucoup le public pendant votre spectacle. Pourquoi aimez-vous tant interagir avec votre public ?
Je me retiens, car sinon je pourrais parler avec tout le monde pendant une heure [rires]. Après, quand c’est des profils atypiques, je ne peux pas m’en empêcher. Par exemple, une fois, un spectateur est venu habillé en tenue de cycliste. Il avait la tenue de A à Z et son casque accroché à son épaule. Je me suis dit qu’il y avait forcément une histoire. Si je fais semblant de ne pas le voir, le public va se dire qu’ils ont un robot en face d’eux. Il faut s’inclure avec les gens. Je ne sais pas comment je les choisis, mais si je les choisis, c’est qu’il y a quelque chose qui m’a tapé dans l’œil [rires].
Il faut aussi que ça reste occasionnel et que ça soit tempéré. Dans le spectacle, j’ai deux moments où je peux communiquer avec le public et, s’il se passe quelque chose, j’ai un bonus. Quand je leur parle, j’oriente aussi forcément vis-à-vis du thème pour qu’au final, ça serve le spectacle.
Qu’est-ce qui vous a attiré dans le stand-up ? Comment êtes-vous entré dans cet univers artistique ?
Quand j’étais petit, je regardais la chaîne Game One. Je regardais des gens jouer à la PlayStation et c’était leur métier. À ce moment-là, je me suis dit que l’on n’était pas obligé de faire “un vrai métier” c’est-à-dire un métier de bureau, où tu te fatigues. Je voulais faire un métier où c’était quasiment que du plaisir. Au départ, je voulais évidemment jouer à la PlayStation, mais après est apparu le Jamel Comedy Club. C’est là que le stand-up est apparu comme une évidence, parce que pour la première fois, c’était des gens qui nous ressemblaient et qui parlaient comme nous.
Au fur et à mesure, c’est devenu clair, je savais que je voulais faire ça. À l’époque, mon professeur de théâtre, c’était Kheiron. Il avait fait le Jamel Comedy Club, mais il avait aussi un plateau de stand-up sur lequel il m’a programmé. On était beaucoup à vouloir le faire. Puis, quand on a démarré, personne ne voulait nous faire jouer, on s’est donc dit qu’on allait se faire jouer nous-mêmes.
Qu’est-ce qui vous séduit dans l’humour et la comédie ?
C’est difficilement explicable, mais je sais qu’il n’y a rien d’autre qui me motive. Monter sur scène, faire rire les gens, essayer d’être le plus marrant, ce sont les seules choses qui me motivent. Par exemple, je n’ai pas cette envie de cinéma. Beaucoup d’humoristes passent devant la caméra, pour certains c’est même viscéral. J’aime beaucoup la scène parce qu’on est vraiment avec les gens, parce qu’on est vraiment en train de leur faire des blagues et qu’ils sont vraiment en train de rigoler. Il n’y a rien de faux. C’est ça qui m’a plu aussi dans la scène montréalaise. Ils ont une culture anglo-saxonne du stand-up. Ils prennent du plaisir à aller voir des humoristes et à les voir créer. C’est une démarche qui est très honnête.
Quel regard portez-vous sur la scène humoristique française aujourd’hui ?
Je ne sais pas si on est nécessairement en retard par rapport à l’outre-Atlantique. Je pense surtout que l’on va faire un chemin différent. Je pense qu’en France, ça ne sera jamais comme là-bas, mais pour autant ça bouge beaucoup ici. On a une dizaine de comedy clubs à Paris, et ça se démocratise dans toute la France. Ce qui se passe chez nous est incroyable. C’est certain que c’est arrivé plus tard qu’aux États-Unis, mais je ne sais pas si on est si en retard.
Là-bas, ils ont des plus grosses stars comme Dave Chappelle ou Chris Rock. On a peut-être un temps de retard sur l’expérience des humoristes. On prend un chemin qui est différent, mais dont on peut être fiers.
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Vous évoquez des humoristes anglo-saxons. Font-ils partie de vos références ?
C’est vrai que les Américains me régalent. Les derniers shows de Dave Chapelle, je les ai trouvés incroyables ! Chris Rock aussi, bien sûr. Quand on prenait des cours de théâtre avec Kheiron, on regardait le show de Chris Rock sur YouTube. Il nous a aussi montré le spectacle de Jerry Seinfeld, I Am Telling You for the Last Time.
Il nous a montré les deux extrêmes. D’un côté, Chris Rock fait des allers-retours sur une scène de 20 mètres de large en criant des trucs et d’un autre, tu as Jerry Seinfeld statique derrière un micro, en costume. C’est vraiment quand je les découvre que je me dis que c’est ça qu’il faut faire. Chris Rock et Jerry Seinfeld sont d’une justesse folle. Dave Chappelle aussi et, quand je le découvre, j’apprends qu’il a commencé jeune et je me dis que c’est possible.
Peut-être que je serai connu à 40 ans ou 50 ans, mais tant que je peux vivre de ce métier toute ma vie, ça me va ! Quand je regarde ces humoristes, je me dis aussi qu’ils ont rempli leur rôle, ils n’ont pas été consensuels. Ils ont été subversifs, ils soulèvent des débats, ils sont drôles et je pense que c’est finalement cela notre travail.
Peut-on dire qu’à travers ce spectacle vous leur rendez hommage ? Il y a un message politique et social dans Le Formidable.
Quand je fais des blagues qui ne sont pas consensuelles – par exemple sur le catéchisme et les cours d’arabe –, je vois certaines personnes avoir certaines réactions, car je suis du côté de la scène. Le fait de verbaliser, de dire ce qu’il s’est passé, bien sûr que ça fait rire tout le monde, mais dans ma tête je pense surtout à la personne qui a été choquée et j’espère qu’elle va s’en rendre compte. Si elle s’en rend compte et qu’elle en rigole, c’est qu’elle sait qu’elle est ridicule à ce moment-là. Alors peut-être que j’ai instigué le changement et que ça peut la faire évoluer.
Ça veut dire que l’on aura servi à quelque chose. Si je ne faisais pas cela, j’aurais l’impression de ne pas avoir été accompli. J’ai un micro et même si le Point Virgule, ce n’est qu’une centaine de personnes, il a une responsabilité. Les gens t’écoutent et la salle te programme, donc j’ai une responsabilité. Si tu t’es servi de ce micro simplement pour faire des blagues, alors tu n’as servi à rien.
Peut-être que tu auras détendu des gens, mais, sur le long terme, tu n’auras servi à rien. On doit essayer de créer le débat pour faire avancer tout le monde et mettre un peu de bien dans tout cela.
Comment définiriez-vous votre univers humoristique ?
Je dirais que je suis un artiste qui, de base, n’est pas engagé, mais qui a écrit des blagues, engagées par elles-mêmes sur des thématiques de société qui ont surgi naturellement dans le spectacle et qui finissent par faire rigoler tout le monde, mais aussi faire réfléchir le public. Mais attention, le spectacle est surtout marrant [rires] !
Quelles sont vos dernières découvertes culturelles ?
Il faut savoir que j’adore les films contemplatifs. Par exemple, j’ai découvert récemment The Green Knight avec Dev Patel et j’ai adoré ! C’est tellement beau, et j’ai regardé toutes les explications une fois que j’avais terminé. Côté musique, il faut absolument écouter le groupe Low Roar ! Bien sûr, en podcast, je vous conseille le podcast Prétextes de Merwane Benlazar et Jérémy Nadeau [rires]. Il faut également aller voir Jérémy Nadeau en spectacle, mais aussi attendre le spectacle Nathan Bensoussan.