[Rentrée littéraire 2023] La rentrée littéraire se passe aussi en dehors de nos frontières. Panorama des romans étrangers qu’il faut absolument lire.
| Stupeur, de Zeruya Shalev
Il y a des livres qui marquent votre existence et dont le souvenir est encore vivace des années après. Ils inscrivent un auteur dans votre panthéon personnel. Désormais, vous monterez la garde et vous surveillerez avec attention toutes ses prochaines parutions. Voilà l’effet produit, il y a presque dix ans, par Ce qui reste de nos vies, formidable chronique familiale couronnée du Prix Femina étranger en 2014. Mais on a beau être sur le qui-vive, Zeruya Shalev se fait rare. Certes, il y a eu Douleur en 2017, mais depuis, plus rien. Quel ne fut pas notre bonheur alors de voir que la romancière israélienne serait de la partie en cette rentrée littéraire.
Texte ambitieux, hypnotique, bouleversant, à cheval entre deux vies de femmes et deux générations, Stupeur rassemble ce qui fait le sel de sa littérature. Elle mêle avec brio les petites histoires de l’intime et la grande Histoire de son pays natal.
Sur son lit de mort, le père d’Altara perd le sens des réalités, passé et présent se confondent. L’espace d’un instant, il prend sa fille pour Rachel, cette première épouse mystérieuse, secrète, dont il n’a presque jamais parlé. Comme s’il revivait leur rencontre, il lui déclare sa flamme et ce masque de sévérité qu’il a porté toute sa vie se craquèle enfin. Troublée, Altara décide de partir à la recherche de cette femme. Contre toute attente, elle découvre une combattante, une ancienne figure de la lutte armée qui s’opposa aux Anglais avant la fondation de l’État d’Israël. Leur rencontre donne lieu à un moment magique qui sonde l’âme humaine, questionne la destinée des familles et interroge les failles de la société israélienne. Une fable humaniste qui creuse le passé pour mieux se tourner vers l’avenir.
| Paradise Nevada, de Dario Diofebi
Tout plaquer pour devenir joueur professionnel de poker à Las Vegas. Son Italie natale, ses études de littérature à la prestigieuse université de Rome, La Sapienza. Voilà le choix qu’a fait Dario Diofebi à un moment crucial de sa vie. C’est le genre d’attraction incompréhensible qu’exerce sur vous la capitale du jeu, la ville de tous les possibles. Revenu à la raison, passé par un master d’écriture à New York et installé depuis aux États-Unis, le jeune écrivain italien a voulu raconter cette folie passagère, ce coup de poker, dans un roman ébouriffant.
Paradise, Nevada est un sublime récit choral et une plongée vertigineuse dans les arcanes de ce royaume du vice dont le vernis se craquèle chaque jour un peu plus. Car Las Vegas a bien changé depuis l’âge d’or décrit par Scorsese dans Casino. Au moment où Dario Diofebi la capture, quelques mois avant l’élection de Donald Trump, c’est un monde désenchanté où, certes, l’argent est toujours roi, où le rêve d’une autre vie perdure, mais où la saleté s’est répandue partout.
Dans ce cloaque répugnant, un jeune prodige du poker en ligne venu se frotter à la véritable compétition, une journaliste qui tente de décrocher un scoop auprès d’une légende de la ville, une serveuse du plus majestueux hôtel et un immigré illégal italien qui a de l’or dans les mains vont se frôler, se croiser, parfois même se percuter. Un roman mené tambour battant pour raconter la mort d’une utopie et la fin d’un rêve, celui du miracle américain.
| Cavaler seule, de Kathryn Scanlan,
Il arrive parfois qu’un·e romancier·ère ait de la chance. Sans crier gare, les choses lui tombent tout cru dans la bouche, comme un coup de pouce du destin. C’est ce qu’a dû se dire Kathryn Scanlan quand elle est tombée sur Sonia. Pourquoi inventer un personnage quand il vient lui-même à votre rencontre ? Alors, avant d’écrire, la romancière américaine a d’abord écouté. Religieusement, elle a laissé tout le temps à Sonia de lui raconter sa vie, son enfance dans le Midwest et surtout son rêve fou de devenir entraîneuse de chevaux.
Aux côtés de cette jeune femme tenace, au caractère bien trempé, on plonge dans un monde méconnu, celui des hippodromes. Propriétaires et entraîneur·se·s possédé·e·s, jockeys prêts à tout pour gagner : on découvre les magouilles et la cruauté d’un monde entièrement tourné vers la compétition, la richesse et la gloire. Un monde d’hommes gonflés par l’égo, qui va devoir apprendre à faire de la place à une femme déterminée et amoureuse des chevaux. Avec un style épuré et une narration qui va droit au but, Kathryn Scanlan écrit le roman vrai de la vie de Sonia. Un destin hors du commun qui nous offre une belle leçon de vie.
| Les Naufragés du Wager, de David Grann
En cette rentrée culturelle bouillonnante, un nom est sur toutes les lèvres, celui de David Grann. En plus de la sortie du film événement de Martin Scorsese, Killer of the Flower Moon, adapté de son livre phare, le journaliste emblématique du New Yorker et éblouissant narrateur du réel signe un retour fracassant avec Les Naufragés du Wager, roman vrai d’une tragédie maritime restée dans les annales de la marine britannique.
1740. En pleine guerre de l’Oreille de Jenkins, un des bateaux de l’escadre anglaise chargée de dérober le plus grand trésor de l’Empire espagnol s’échoue après une terrible tempête sur une île au large du Chili. Commence pour les survivants une robinsonnade mortelle sous fond de mutinerie et de folie. Des mois plus tard, alors qu’on les croyait perdus, des grappes de survivants ressurgissent au compte-goutte et racontent des histoires bien différentes. La guerre des récits est déclarée et le seul moyen d’échapper aux pelotons de l’amirauté est de faire triompher sa vérité.
| Trust, d’Hernan Diaz
Quand l’écrivain américain d’origine argentine Hernan Diaz enfile la casquette du romancier, c’est pour jouir sans entrave des infinies possibilités que lui offre cette forme littéraire qui consacre, plus n’importe quelle autre, la liberté. Dans Trust, pas d’écriture à l’économie, de science de l’épure ou de narration au cordeau, mais plutôt un kaléidoscope vertigineux, un récit labyrinthique dans lequel on prend plaisir à se perdre et à se retrouver.
Pour raconter L’Amérique des années 1930, ce royaume de l’argent qui élève le capitalisme au rang de divinité sacrée, il retrace la folle destinée d’un couple qui symbolise mieux que quiconque cette course à la richesse et à la gloire. Mais, comme un cinéaste en pleine expérimentation, il alterne les focales et les points de vue. Le récit se découpe ainsi en quatre parties. La première est un roman dans le roman, le récit de la vie des époux Rask par un écrivain nommé Harold Vanner. La deuxième est une autobiographie, celle du couple qui se raconte lui-même, mais d’une tout autre manière. La troisième nous livre les coulisses de l’écriture de ce livre confession. La dernière partie, enfin, se présente sous la forme d’un journal intime, celui de la femme de ce couple.
Autant d’éclairages pour observer un passionnant sujet d’expérience, symbole de l’emprise de l’argent sur nos vies. Une étude au microscope de la naissance du mythe capitaliste. Un grand roman américain aux forts accents balzacien